La situation peu satisfaisante de l’enseignement de la géographie au cycle 3 s’explique partiellement par l’offre éditoriale disponible : les classiques manuels mixtes souvent dirigés par des historiens dominent le marché et les ouvrages davantage clés en main peinent à s’imposer. La très riche collection des « 50 activités » du réseau CRDP-Canopé s’offre, sur ce créneau, un volume consacré à la géographie rédigé ici par Jean-Luc Parmentelot (IEN à Saint-Gaudens), Jean-Charles Saura (conseiller pédagogique à Tarbes-Est), Charlène Froment, Léa Martin, Sabrina Navarro, Séverine Simplex (professeurs des écoles dans les Hautes-Pyrénées).

Si ce nouvel outil apparaît séduisant lors du premier coup d’œil (présentation soignée, titres de séances accrocheurs, prix abordable…), c’est malheureusement un sentiment de déception qui prend le dessus dès lors que l’on creuse un peu plus les contenus.

Après une introduction posant plutôt bien la nécessité d’une géographie plus humaine et axée sur la compréhension de notre monde malgré deux premières idées présentées de manière assez maladroite (l’opposition caricaturale entre une matière appréciée des élèves mais pas des enseignantsUne référence aurait été ici la bienvenue pour voir quels élèves, à quel âge, selon quel degré de conscience disciplinaire… ?  ; la somme des interrogations des enseignants qui débouche sur la question bateau « quelle géographie enseigner à l’école primaire ? ») et une programmation ne questionnant pas les instructions officielles (dosage en trois tiers à peu près équilibrés selon les différentes échelles territoriales – locale, européenne, mondiale), l’ouvrage déroule les 50 activités autour de 5 grands thèmes reprenant, eux aussi, les intitulés des programmesTerritoires à différentes échelles (12 séances), la répartition de la population (10 séances), la circulation des hommes et des biens (10 séances), activités économiques (13 séances), les outils du géographes (5 séances).

Les mises en situation apparaissent bancales avec des consignes :
– trop larges (« Sur un fond de carte de l’UE, faire inscrire les noms des États et les colorier en fonction des étapes de leur adhésion », p 53),
– qui ne rendront très certainement rien (en CE2, « Demander aux élèves de représenter par un schéma le territoire français », p 46, après leur avoir simplement demandé, en diagnostic, « Qu’est ce que le territoire français ? »),
– qui n’en sont pas (« Nous allons nous intéresser aux principaux fleuves qui sillonnent la France », p 20),
– qui peuvent potentiellement poser de très gros problèmes à l’enseignant à notre époque (à propos d’un parcours photo dans l’école « Chaque équipe part en autonomie dans les différents lieux photographiés de l’école et dans un temps donné (10 à 15 minutes maximum) »).

Les documents, s’ils sont nombreux et variés, ne demeurent pas toujours utilisables par l’élève :
– la nuance est subtile entre « montagne » et « massif », p 19, selon le niveau de zoom considéré,
– le travail (intéressant et utile) sur l’identification de « la bonne carte » propose, p 239, une carte de l’Europe avec différentes nuances de bleu qui ne sont pas explicitées car la légende est absente,
– les photographies censées représenter les secteurs d’activités (activité 33 « 1, 2, 3 secteurs ! » p 177-178) ne montrent presque aucun homme en action…le zoom sur la tartine de pain illustrant l’artisanat ne permettra pas d’aller au-delà de la première des trois cases du tableau « ce que je vois/ce que je comprends/ce que cela signifie » p 179…et donc de « rôle d’étayage de l’enseignant », dans le déroulement p 176, il en faudra un sacré !

Mais si cette liste d’apparence ciblée pourrait se voir encore allongée, il convient toutefois de nuancer, à ce stade du compte-rendu, ce constat sombre en précisant que certaines idées sont plutôt bonnes, voire même parfois originales. Ce qui demeure fâcheux, c’est qu’elles ne sont souvent pas assez abouties pour diverses raisons, essentiellement de programmation et d’enchaînement des activités (ce que la co-écriture pourrait expliquer mais nous ne savons pas comment ont été réparties les différentes séances entre les auteurs) mais aussi de bonne adéquation des documents.

Pour reprendre l’exemple précité des secteurs d’activités, il est dommage de trouver, en activité 34 « Paysages et activités » et donc après coup, de bonnes photographies montrant, p 182, un agriculteur labourant son champ, un ouvrier creusant un trou et une assistante maternelle jouant avec un enfant. Ici, la consigne demandant de « décrire les trois personnes » et de « deviner leur métier », en utilisant les mots « exploite, transforme, rend service » fonctionne tout à fait bien !

Dans le même ordre d’idée, l’identification des noms de fleuves par homonymie apparaît intéressante et peu répandue (« son nom se prononce de la même façon que le lieu où se déroule les spectacles », « son nom se prononce comme le nom d’un de nos organes ») mais ne pourra être basée ici que sur un rappel de noms déjà intériorisés (ce qui, en CM1 comme cela est proposé ici, peut se concevoir).

La séance 24 « Quel transport ? Pour qui ? » est tout à fait pertinente sur le fond mais la carte sans noms de villes constituera un obstacle majeur, surtout ici en CE2, pour identifier l’itinéraire de l’élève fictif qui souhaite parcourir la France pendant ses vacances, tout comme l’absence d’éléments naturels (reliefs, fleuves) et humains (axes de transport) qui ne laisse que le franchissement de la Mer Méditerranée vers la Corse comme obstacle net orientant vers la possibilité de recourir au bateau.

Question de quantité aussi parfois : l’association des descriptions de logos des régions avec leur visuel, activité 5, va sans doute fonctionner sans problème, notamment en binôme comme proposé ici, mais risquera d’épuiser plus d’un CE2 s’il s’agit d’aller au bout des 27…

A l’enseignant de creuser un peu et d’adapter les documents pourrait-on entendre à ce stade du commentaire ? Certainement…mais celui-ci ne sera pas nécessairement en bons termes avec la discipline comme évoqué en introduction et l’ouvrage ne les aidera que peu sur ces aspects pratiques : une seule page de « définitions pour l’enseignant » sur les unités urbaines p 85, un guide sur le choix des documents lorsqu’ils sont à personnaliser aurait été bienvenu (faire choisir la carte IGN de sa localité par l’enseignant, p 38, n’est, par exemple, pas chose aisée sans aide).

Dommage à nouveau, d’autant que les entrées choisies pour aborder les thèmes du programme sont souvent en bonne adéquation avec les préoccupations de la géographie scientifique actuelle. A part quelques conceptions qui semblent hélas immuables chez nos collègues (toujours ces frontières « naturelles » et un découpage territorial de la France qui semble figé à vie alors que les débats politiques sur le sujet vont bon train), de nombreux sujets sont dignes d’intérêt (notamment ceux liés à la pollution avec ce « 7ème continent », le « prix » des autoroutes ou encore l’impact des avions sur l’atmosphère avec deux très bonnes cartes p 144-145).

Parfois utilisée pour conclure des comptes-rendus, la formule «  à prendre et à laisser » se prête plutôt bien à la caractérisation de cet ouvrage : à laisser de par les écueils signalés plus haut qui montrent que bâtir un enseignement de géographie est exigent, mais à prendre parce que, justement, des idées sont prometteuses même si elles demeurent souvent à l’état de « pistes ». Au vu de ses défauts et de son prix modeste, ce volume se devra, de toutes façons d’être complété. Les nombreuses propositions de prolongements « pour aller plus loin » et de « ressources » (sites internet proposant des vidéos, des exploitations d’albums, des cartes, des données…) constituent une plus-value intéressante de même que les pistes bibliographiques où l’auteur de ces quelques lignes a eu plaisir d’y trouver ses ouvrages cités.

Rappelons enfin que le livre ne peut pas tout, et une solide formation, notamment continue, est urgente à mettre en place.