Avec ce volume consacré à la première vague de la colonisation européenne, lors de l’époque moderne, la série des atlas historiques publiée par les éditions Autrement s’enrichit d’un fleuron appelé à faire référence. Rédigé par Marcel Dorigny, universitaire ayant déjà à son actif le très complet « Atlas des esclavages » publié par les soins de la même maison d’édition, ce scrupuleux travail de synthèse, pleinement servi par la cartographie de Fabrice Le Goff, couvre parfaitement tous les aspects de son sujet.

Depuis l’âge des Grandes Découvertes jusqu’à l’émancipation de l’Amérique du Sud au début du XIXe siècle, cette première mondialisation est mue par un puissant moteur qui peut se définir en un triple C : Colonisation, Christianisation, Commerce. L’esprit d’aventure des explorateurs et des savants, le goût de puissance des princes et l’appétit de richesse des pionniers créent une dynamique de conquête qui repousse les limites du monde connu. L’élan mercantiliste qui se nourrit des richesses des nouveaux territoires passe de la pulsion de prédation à la logique d’exploitation, développant l’économie de plantation et le système des compagnies à charte. Le coût humain de ce modèle économique est énorme, engendrant la presque extermination des autochtones des Amériques et la traite négrière. Si le XVIe siècle est ibérique, le XVIIe voit entrer dans la compétition coloniale les puissances de l’Europe du Nord-Ouest : Britanniques, Français et Hollandais. Les horizons de négoce et de conquête s’élargissent, contournant l’Afrique, franchissant l’Atlantique et explorant le Pacifique, atteignant les Amériques mais aussi les Indes orientales. Dans les territoires soumis, qui deviennent de nouveaux théâtres et de nouveaux objectifs pour les guerres intra-européennes, des sociétés se développent en affirmant des cultures et des identités coloniales spécifiques. Des formes de sociabilité locales s’y enracinent, tout en conservant de forts liens avec les métropoles et en participant à l’internationale maçonnique du Siècle des Lumières. Tandis que la Grande-Bretagne construit sa destinée impériale, la diffusion des idées nouvelles fait fermenter une dynamique d’émancipation dont la naissance des États-Unis est le premier fruit notable, précédant la révolte d’Haïti et la libération de l’Amérique du Sud.

Le découpage de ce petit livre en une série de petits chapitres formulant autant de mises au point thématiques à la fois concises et précises en fait un outil de référence idéal. Son format très pratique bénéfice d’une cartographie colorée, aussi séduisante par son abondance et sa diversité que par le soin de sa réalisation. Elle est étayée par divers graphiques, une bibliographie sélective et une chronologie. Le faisceau des approches examinées passionne par sa variété et sa complémentarité. L’évocation d’angles originaux ajoute une ampleur et une profondeur supplémentaires au rappel des évidences les plus canoniques et les plus incontournables : citons ainsi, parmi d’autres, le voyage de Marco Polo, les équipées des Vikings, les Compagnies des Indes, les «îles à sucre», les Indiens d’Amérique du Nord, l’implantation des réductions jésuites en Amérique du Sud, la découverte du Gulf Stream, la constitution de collections botaniques et zoologiques, ou encore l’essor en Europe des idées critiquant la colonisation et l’esclavage.

Voilà donc en définitive un ouvrage aussi maniable qu’accessible, irréprochable dans le registre de la vulgarisation exigeante. S’il fallait émettre un seul regret pour échapper au reproche d’un éloge trop exclusif, ce serait celui de la typographie très serrée du texte. Mais son contenu et sa mise en forme cartographique n’en possèdent pas moins tous les attributs d’une précieuse ressource pour les étudiants et les enseignants, notamment ceux en charge des programmes de collège, et en font une référence à peu près incontournable pour les CDI.

© Guillaume Lévêque