Aissata kane Lo est historienne spécialiste de la place de la femme dans l’histoire africaine, enseignante à l’Université d’Aix en Provence et à l’Université Gaston Berger de Saint-louis (Sénégal). Elle présente ici une recherche sur un personnage incontournable de l’histoire des élites urbaines du Sénégal : la Signare, compagne des premiers colons blancs ou fille métisse. Ces femmes furent des acteurs sociaux importants de la colonie dès la fin du XVIIe siècle.

Elle s’interroge sur l’émergence et les caractéristiques de ce groupe social, la culture signare et ses prolongements jusqu’au phénomène contemporain des Diriyankés.

Les nombreuses citations de contrats, d’inventaires constituent une riche documentation pour une étude de cas sur la société coloniale.

 

En introduction l’auteure fait une place à celles et ceux qui avant elle se sont intéressés au sujet avant de clarifier les raisons des choix de son sujet de recherche.
Elle évoque les grandes étapes chronologiques et sources de son travail.

Les Signares à Saint-Louis : naissance et affirmation d’un groupe aux XVIIe-XIXe siècles.

La ville de Saint-Louis est une ville cosmopolite : rappel des atouts du site et de sa création, l’évolution de sa population, des activités économiques et notamment du commerce de détail aux mains des femmes indigènes.

C’est dans ce contexte que les femmes ont pu jouer un rôle de passerelle entre la ville et les communautés de l’intérieur du pays, qu’elles ont trouvé face aux premiers colons blancs, hommes jeunes peu adaptés aux réalités locales , l’occasion de se rendre indispensables comme gouvernantes puis comme concubines. A la fin du XVIIIe siècle, souvent prête-nom dans le commerce de la gomme, du mil ou des esclaves, certaines signares sont, d’après les inventaires après décès, à la tête de véritables fortunes et jouissent d’une grande considération.
Elles contractent un mariage  » à la mode du pays » qui concoure au développement d’une bourgeoisie métisse. Ce mariage qui respecte le cérémonial local sans être reconnu par l’Eglise légalise le concubinage et permet la transmission du nom et des biens blancs aux enfants métisses, il se développe de la fin du XVIIIe au milieu du XIXe siècle.
A la seconde génération les signares se comportent plus en Européennes qu’en femmes.africaines

A partir d’un exemple l’auteure montre qu’au-delà du mariage on assiste à un processus d’accumulation, un placement à côté d’autres formes d’enrichissement. Le mariage entre un blanc et une signare est alors une association d’intérêts qui permettait aux femmes de développer leurs propres affaires: accumulation foncière, faire travailler des esclaves, commerce de la gomme, investissement dans les maisons de commerce et même prêt à intérêt.

Le déclin du groupe tant sur le plan économique que social est mis en relation avec l’abolition de la traite en 1848. Avec la fin de l’esclavage un pan de leur activité disparaît, l’influence des missionnaires et l’arrivée de colons accompagnés de leurs épouses annonce leur déclin social et leur impose une reconversion économique : location de bâtiments souvent à des congrégations, investissement dans l’activité textile.

Décryptage d’une identité signare XVIIIe – XIXe siècle

Il s’agit pour l’auteure de faire connaître ce qu’on pourrait appeler la culture signare exprimée dans le paraître, vêtement, coiffure mais aussi habitation et pratiques sociales.

La recherche de la beauté et du raffinement affiché par ces femmes tant pour séduire que pour montrer un statut se matérialise dans la mode. A la suite des voyageurs du temps et de l’auteur partons à la découverte des costumes qui au XVIIIe sont encore proche de l’élite sénégalaise avec des emprunts de plus en plus nombreux à la mode européenne. Ce qui retient l’attention c’est surtout le pagne avec sa déclinaison de couleurs et de motifs qui donne l’occasion d’une rapide étude sur leur origine, les diverses influences et les modes de fabrication. Le second élément fondamental est la coiffure, le foulard de tête puis les bijoux, or ou argent, objets de paraître et d’accumulation.
Au XIXe siècle la robe et le corsage d’inspiration européenne gagne du terrain mais les signares conservent une place importante dans la confection des tissus africains des pagnes qui demeurent aujourd’hui un élément essentiel du vêtement féminin au Sénégal.

Empreintes signares sur l’organisation de l’espace: l’habitation, maison plus que case, est décrite avec la maison saint-louisienne type qu’on retrouve dans la « maison aux esclaves » de Gorée encore visible aujourd’hui avec don double escalier qui conduit aux pièces d’habitation du premier étage. A partir du XIXe le mobilier européen pénètre dans la maison où vivent, outre la domesticité servile, des jeunes filles à marier: les « rapareilles », des griots qui interviennent lors des réceptions.

Un chapitre est consacré à la situation de la religion dans la colonie où le premier clergé est destiné aux colons sans souci d’évangéliser la population locale du moins jusqu’en 1816. Les écoles congréganistes au XIXe vont jouer un rôle dans l’assimilation des femmes. Si les signares participent aux cérémonies c’est plus par opportunisme, il semble qu’elles restent d’abord animistes.

L’auteur décrit les fêtes nombreuses et animées de la société signares: Mbootaay, folgar ou simbs, la fête est une occasion de paraître, de vivre l’africanité mais aussi un moment de métissage culturel qui trouve son expression la plus sûre dans la cuisine.

De la signare à la diriyanké : continuité et rupture, de la fin du XIXe aux années 2000

L’auteure analyse ici le savoir-être féminin contemporain qu’elle nomme diriyanhisme. Ce statut se construit au cours du XIXè à Saint-Louis face à une société où l’homme s’affirme à la fois sous l’influence de l’Islam et du code napoléon dans la colonie. Quelques grandes dames noires incarnent à la fois beauté et élégance et valeurs éthiques et morales qui leur ont permis de d’avoir un réel impact dans la sphère du pouvoir et de marquer l’histoire du Sénégal.
L’auteur décrit avec précision leur art du paraître, les codes précis du vêtement, grands et petits pagnes des élégantes dakaroises. (on peut regretter les illustrations petites et en noir et blanc).
Le rôle économique social des femmes, leur sociabilité: mbootaay et autres tontines et montre que la diriyanké n’a que peu à envier à la signare dans ce domaine.
Le dernier chapitre est consacré à la place des femmes en politique avec l’exemple de Caroline Faye Diop et Adjaratou Arame Diémé.

Un livre qui apporte un éclairage utile pour comprendre le femme sénégalaise du XXIè siècle.