Historien spécialiste de la France Libre et de la Seconde Guerre mondiale, François Broche a co-dirigé le Dictionnaire de la France Libre (Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010) et publié de nombreux ouvrages parmi lesquels : L’Armée française sous l’Occupation ( trois volumes, Presses de la Cité, 2002-2003) et Une Histoire des antigaullismes des origines à nos jours (Bartillat, 2007). Il nous propose aujourd’hui un gros dictionnaire de la collaboration, composé d’une courte introduction synthétique, de plus de 850 notices et d’un index des noms propres, des œuvres, des organisations et des publications, de plus de 1500 entrées (ce qui n’est pas courant dans un dictionnaire). Les notices sont précises, complètes, synthétiques et toujours assez brèves comme il convient pour ce type d’ouvrage. Leur titre est suivi d’une définition de leur contenu et elles sont toujours complétées par une bibliographie présentée par ordre chronologique de rédaction des ouvrages.

« Le mot et la chose »

Une introduction d’une douzaine de pages présente la genèse du mot collaboration, en esquisse une définition et en précise les formes et les niveaux. Le mot « collaboration » s’est imposé alors qu’il en existait d’autres, tels que « cohabitation », « coopération » et « réconciliation ». Le premier utilisateur du mot -qui ne figurait qu’incidemment dans la convention d’armistice du 22 juin 1940- est Gaston Bergery, ancien radical, proche du Maréchal et de Pierre Laval. Dans une déclaration du 8 juillet 1940, il dénonce la IIIe République et, réclame un « ordre nouveau, autoritaire, national et social » demande le retour du gouvernement à Paris et souhaite que le vainqueur trouve devant lui « des hommes qui veuillent et puissent tenter l’oeuvre de réconciliation et de collaboration » dans le cadre d’un « nouvel ordre européen ». Le mot est repris dès le lendemain par Pierre Laval, puis par le maréchal Pétain dans son discours du 10 octobre 1940, inspiré par Gaston Bergery et prélude à l’entrevue de Montoire, deux semaines plus tard. François Broche met en évidence « trois caractéristiques communes à toutes les formes de collaboration, à l’ensemble des collaborateurs, actifs et passifs » : acceptation de la défaite et de l’armistice qui en découle, valant, explicitement ou implicitement, désapprobation ou condamnation de tous les « dissidents » qui s’y opposent ; soulagement à l’idée que dans le désastre, le maréchal Pétain prenne en main le destin de la France vaincue et occupée ; volonté de donner à la collaboration un contenu positif, en dehors de tout parti pris idéologique. « La collaboration est un concept mouvant, évolutif, qui ne se laisse pas facilement cerner : elle recouvre  » un large éventail d’idées et de comportements qu’il est impossible d’enserrer dans un cadre rigide  » (Henri Rousso). Elle implique une adaptation permanente aux circonstances, aux exigences de l’occupant, à l’opinion des Français, au déroulement de la guerre mondiale. » Les motivations en sont diverses, la plus fondamentale étant la conviction politique fondée sur des analyses tactiques, stratégiques ou idéologiques. Mais elle repose toujours sur la conviction de la victoire définitive des forces de l’Axe ; elle est donc « un état d’esprit, une vision mentale du conflit des années 1939-1945, développée dans le camp des vaincus et non des vainqueurs » (Henri Rousso).

Un ensemble de notices qui vise à l’exhaustivité

 

Le dictionnaire aborde toutes les formes de collaboration : collaboration d’État, collaborationnisme parisien, collaboration économique, militaire, technique, policière, littéraire, journalistique, artistique, cinématographique, mondaine, « horizontale » etc. Les rubriques sont consacrées au concept de collaboration, aux événements, aux lieux, aux organismes, aux publications, aux acteurs, mais aussi à la mémoire et à l’historiographie du phénomène. Voici quelques exemples de notices destinées à montrer la grande diversité du contenu de ce dictionnaire.
Le concept de collaboration
Anglophobie ; Anticommunisme ; Antigaullisme ; Antimaçonnisme ; Antisémitisme ; Corporatisme ; Maréchalisme, pétainisme, vichysme ; Révolution nationale ; Droite dans la collaboration ; Gauche dans la collaboration ; Germanophilie ; Germanophobie ; vichysto-résistants etc.

Les types de collaboration

Collaboration d’État ; Collaboration économique ; Collaboration « horizontale » ; Collaboration militaire ; Collaboration policière ; Collaborationnisme etc.

Les événements de la collaboration

Retour des cendres de l’Aiglon ; Armistices ; Procès de Riom ; Voyages en Allemagne ; Discours du « Vent mauvais » ; Épuration des collaborateurs ; Épuration des fonctionnaires ; Protocoles de Paris etc.

Les lieux de la collaboration

Afrique française du Nord ; Alsace-Moselle ; Argentine ; Empire colonial ; Hôtel du parc, Hôtel Lutétia ; Hôtel Majestic ; Lille ; Marseille ; Paris ; Toulouse ; Alger ; Lyon ; Mur de l’Atlantique ; Strasbourg ; Zone libre ; Zone occupée ; Camp de Drancy ; Camp de Pithiviers ; École des cadres d’Uriage etc.

Les organismes de la collaboration. Les notices portent sur :

Les partis et organismes collaborationnistes. Division Charlemagne ; Groupe collaboration ; Parti populaire français ; Mouvement social révolutionnaire ; Parti Franciste ; Légion des volontaires français contre le bolchevisme ; La Cagoule ; La « Carlingue » (Gestapo française) etc.

Les institutions et organismes français, politiques, policiers, militaires, économiques, culturels etc.. Académie française ; Académie Goncourt ; Armée d’armistice ; Brigades spéciales ; Chantiers de jeunesse ; Commissariat général aux questions juives ; Conseil d’État ; Institut d’études des questions juives ; Préfets ; Radio-Paris ; Radio-Vichy etc.

Les institutions et organismes allemands, policiers, politiques, militaires, économiques, culturels etc.. Abwehr ; Haut commandement allemand ; Autorités allemandes d’occupation ; Institut allemand, Bureau « Otto » ; Propaganda Staffel etc.

Les publications de la collaboration. Les notices portent sur :

Les journaux défendant la Révolution nationale et la collaboration d’État et les journaux collaborationnistes. L’Action française, L’Alerte, L’Appel ; Aujourd’hui ; Le Combattant européen ; L’Émancipation nationale ; La France au travail ; La France socialiste ; La Gerbe ; L’Illustration ; Je suis partout ; Les Nouveaux Temps ; Paris-Soir ; Le Petit parisien ; Révolution nationale etc.

Les revues, études et romans, films etc. Anthologie de la nouvelle Europe et Journal de la France (Alfred Fabre-Luce) ; Les Beaux draps (Louis Ferdinand Céline) ; Les Cahiers franco-allemands ; La Chronique de Vichy (Maurice Martin du Gard) ; Comment reconnaître le juif (Georges Montandon) ; Les Documents maçonniques ; Forces occultes (Paul Riche) ; Guide allemand pour Paris ; Les juifs en France (collection) ; Signal etc.

Les acteurs de la collaboration

Les notices portent sur les acteurs allemands, les intellectuels français, les chefs de partis collaborationnistes et leurs entourages, les hauts fonctionnaires de l’État français etc. On y trouvera tous les noms que l’on est susceptible d’y chercher, plus ou moins connus ; le fait de figurer dans ce dictionnaire n’étant pas une preuve de collaboration mais permet de situer un personnage par rapport au phénomène de collaboration, avec souvent il est vrai une dose d’ambiguïté du personnage par rapport au phénomène : Jean Anouilh, Arletty, Robert Aron, Marcel Aymé, Jean Azéma, René Barjavel, René Bousquet, François Brigneau ; Marcel Cachin ; André Castelot ; Coco Chanel ; Maurice Chevalier ; André Citroën ; Marguerite Duras ; Maurice Duverger ; Fernandel ; Bernard et Raymond Grasset ; Sacha Guitry ; Marcel Jouhandeau ; Le Corbusier ; Corinne et Jean Luchaire ; Mistinguett ; François Mitterrand ; Viviane Romance ; Tino Rossi ; Jean-Paul Sartre ; Suzy Solidor ; Charles Trenet ; Dominique Venner ;.

La mémoire et l’historiographie de la collaboration

Henri Amouroux ; Le Chagrin et la Pitié ; Histoire de la Collaboration (1964, plaidoyer pour la Collaboration de Saint-Paulien) ; Les Collaborateurs (1976, étude scientifique du phénomène par Pascal Ory) ; Histoire de la Collaboration (2000, autre plaidoyer pour la Collaboration de Dominique Venner) ; Christian de la Mazière ; Lacombe Lucien (Louis Malle) ; Rivarol ; Le Syndrome de Vichy (Henri Rousso) ; La Traversée de Paris (Claude Autant-Lara) ; Vichy, un passé qui ne passe pas ( E. Conan et H. Rousso) ; Le Vieil homme et l’enfant (Claude Berri).

Avec cet ouvrage, nous avons à notre disposition un excellent outil de travail, sans doute assez proche de l’exhaustivité, très aisément accessible et qui tient compte de l’historiographie la plus récente.

© Joël Drogland