André Louchet : la planète Océane, précis de géographie maritime, édition Armand Colin, collection U, deuxième édition, 559 pages.

Réédition d’un ouvrage paru en 2009, ce précis de géographie maritime a été mis à jour à l’occasion de la question du CAPES et de l’agrégation de géographie. Au-delà de la préparation du concours cet ouvrage est une référence solide et pratiquement exhaustive pour la préparation du cours de terminale sur les espaces maritimes. L’étude numéro vingt-trois sur la géographie des ressources minérales marines et sous-marines se révélera également précieuse pour la préparation du concours de l’école militaire interarmes–filière lettres–géopolitique du pétrole. L’étude numéro sept sur les flux maritimes et le défi des seuils peut se révéler extrêmement précieuse dans ce contexte, la géopolitique du pétrole incluant bien évidemment les transits, notamment maritimes.

Cet ouvrage porte parfaitement son nom, de « précis », tant il contient de références de base et réactualisées sur l’espace qui constitue son objet. L’appareil cartographique, l’index des notions, l’index des noms et des lieux, constituent un outil indispensable, assorti d’une bibliographie générale conséquente. L’auteur prévoit également à la fin de chaque étude un questionnaire de connaissances très précis et fournit en marge des réponses et des commentaires. Des documents sont également proposés il y a de fortes chances que certains d’entre eux ne servent d’exemples pour des questions de concours.

L’ouvrage est composé de vingt-cinq études qui abordent l’ensemble des questions touchant à la géographie océanique. Dans l’étude sur les grands reliefs océaniques les étapes de la mise en place des connaissances sont abordées avec la théorie de la dérive des continents et celle de l’expansion océanique. De la même façon dans l’étude sur l’océanographie le fonctionnement et l’interaction des masses d’eau, eaux de surface, eaux profondes, les courants marins sont étudiés.
On peut trouver également dans l’étude cinq une réflexion sur les projections cartographiques et la navigation.
Les études qui suivent les précédentes qui sont directement destinées à des spécialistes de la géographie physique, concernent davantage ceux qui auraient à présenter les questions de géopolitique des espaces maritimes en lien avec la mondialisation. La question des routes maritimes pose en effet un certain problème, la route est un espace virtuel qui n’est pas, a priori délimité, sur la mer. Le notion de routes maritimes a pu évoluer dans le temps, notamment avec la marine à voile qui était largement dépendante des vents dominants.

Des routes maritimes en évolution constante

L’océan Indien occidental vivait au rythme de la mousson alternée entre la côte africaine et l’Arabie. La Méditerranée traditionnelle était « ouverte » d’avril à octobre et fermée le reste de l’année. Les routes maritimes sont également concernées par la configuration des continents eux-mêmes qui, par les quatre, les détroits, les archipels, les hauts-fonds, impose des tours et des détours à la circulation maritime. Les routes maritimes dépendent de contraintes physiques et techniques, et notamment la capacité des navires à surmonter les différents dangers. L’auteur étudie donc dans ce chapitre l’organisation des routes maritimes associant la navigation des lignes, ce que font désormais les porte-conteneurs et la navigation dite de tramping, une réponse en temps réel à des besoins qui permettent à l’armateur de fournir un moyen de transport spécifique à un moment donné. La Méditerranée a connu des évolutions extrêmement rapide et même si entre 1967 1979, en raison de la guerre des six jours et de la fermeture du canal de Suez, la fonction de transit a pu diminuer, le trafic s’est intensifié, le passage des porte-conteneurs ayant pris de plus en plus d’importance avec le développement des hubs méditerranéens, en croissance particulièrement rapide en Italie du Sud et en Espagne. En Méditerranée orientale l’entonnoir de Suez s’étire sur 175 km avec une largeur de 150 m et de 12 m de profondeur. De la mer Rouge vers la Méditerranée le trafic essentiel reste celui du pétrole même si les porte-conteneurs, l’empreinte de plus en plus souvent. Le canal de Suez joue évidemment un rôle majeur dans les échanges entre l’Europe et l’Asie. Pour la circulation en Atlantique là où la navigation est numériquement la plus dense trois grands axes se détache nettement. De Gibraltar au Cap Nord avec des trafics de marchandises Nord-Sud et une forme de cabotage de l’Afrique occidentale aux ports de la façade atlantique des États-Unis ou de l’Europe. L’essentiel des flux est constitué par deux faisceaux posés l’un qui conduit à Londres à l’ouest et surtout à Rotterdam à l’est. La mer du Nord est aujourd’hui la limite de la saturation en raison de l’étendue des hauts-fonds et débrouillards ce qui ne laisse qu’une marge étroite pour les routes maritimes. La mer Baltique semi fermée sert d’exutoire exclusif ou quasi exclusif à la Finlande, la Russie, les pays baltes, la Pologne et l’Allemagne orientale. Le canal de Kiel a toujours une importance stratégique, avec 50 000 navires parents mais de petite taille.
Dans les routes de l’Atlantique il convient de citer également les faisceaux Est-Ouest qui relient les ports de la mer du Nord à ceux de la façade Est des États-Unis, avec un trafic de marchandises exceptionnelles par sa masse et son organisation. À ces faisceaux Est-Ouest qui desservent La baie d’Hudson et les ports de la côte Est, on peut opposer les faisceaux Nord sud, entre les ports des deux Amériques d’une part et entre les ports d’Europe et d’Afrique d’autre part. On retrouve également les routes de transit qui mène du Cap à l’océan Indien au golfe persique à l’Australie, aux routes de desserte de la façade ouest de l’Afrique avec des cargos mixtes et des transports de produits pondéreux à partir de navires spécialisés. Enfin l’auteur étudie les différents moyens de relier l’Atlantique au Pacifique avec les routes australes et notamment l’ensemble Cap Horn Cap de Magellan, qui suppose des contraintes physiques et climatiques avec les forts vents d’Ouest, les cinquantièmes rugissants. Pour les liaisons nordiques l’auteur retrace l’ouverture des passages du Nord-Ouest et du nord-est qui sont aujourd’hui objets de convoitise, même si la réalité des chiffres semble démentir l’enthousiasme, malgré le réchauffement climatique que les autorités russes avaient pu manifester.
Pour le Pacifique, en Asie du sud-est comme en Asie orientale le cabotage joue un rôle fondamental. Les contraintes physiques des espaces terrestres ont conduit le Japon a développer une activité de transit et de redistribution sur sa façade pacifique. Paradoxalement le cabotage semble très peu actif sur la façade américaine du Pacifique à l’exception du Canada avec la conurbation Vancouver Seattle la basse Californie avec San Francisco–Los Angeles–San Diego.
Pour la circulation au long cours la route la plus active est celle qui relie San Francisco à Yokohama qui assure les échanges entre les États-Unis et le centre du Japon. Pour les matières premières, la route de Vancouver à Yokohama est désormais la route essentielle pour les matières premières avec un retour de produits manufacturés.
Dans le Pacifique Sud les faibles densités de population, sont à l’origine de flux diffus, de faible volume, où les exportations de matières premières de l’Australie s’ajoutent à des trafics de marchandises spécialisées, notamment de produits de la mer.

Les routes du pétrole et du café

Dans ce chapitre on trouve cinq cartes qui montrent l’évolution des routes maritimes du pétrole avant la première guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. On citera les ruptures de 1967 avec la guerre des six jours et ses suites qui ont imposé au transit pétrolier un détour de 12 000 milles marins et un changement dans l’organisation du transport avec la naissance du supertankers. Depuis 1975 le rééquilibrage semble s’être opéré, même si c’est davantage le pipeline qui double le canal de Suez qui permet de maintenir les flux pétroliers en Méditerranée. Les supertankers se sont également adaptés à ces contraintes liées à la faible profondeur du canal, en le traversant à vide et en contournant l’Afrique à pleine charge. L’auteur présent également et cela peut servir de croquis de réflexion sur un produit de la mondialisation, le café, les routes maritimes de ce produit, avec les zones anciennes de transit à partir du sud de la péninsule arabique avec le port de moka et les circuits actuels Sud Nord essentiellement vers les États-Unis et l’Europe.
L’étude qui suit cette partie sur les routes maritimes est consacrée aux défis des seuils avec un examen exhaustif des contraintes spécifiques à chacun des caps et des détroits comme Bonne-Espérance, Gibraltar, le Pas-de-Calais, Malacca, le Bosphore et les Dardanelles, Bab el Mandeb et Ormuz. Chacun de ces points de passage obligé souffre de quelques limites, qu’elles soient politiques ou simplement matérielles, le tirant d’eau, la largeur, mais aussi la saturation.

Suez et Panama, les effets de seuil

Le canal de Suez et celui de Panama sont également des zones saturées. Le canal de Panama qui pourrait organiser trente-huit passages par jour et parfois bloqué entre deux à douze navires selon l’engorgement. Il a été créé depuis le 1er avril 2006 un système d’enchère qui permet de réduire le temps d’attente. En 2014 le doublement du canal après sept ans de travaux permet de faire transiter des navires de toutes tailles à l’exception des porte-avions nucléaires américains et des portes conteneurs de plus grande taille, au-dessus de 12 000 équivalents vingt pieds.
La voie maritime du Saint-Laurent permet d’accéder à la véritable mer intérieure que constituent les Grands Lacs au nord des États-Unis et une activité de cabotage et de desserte permet de concurrencer aujourd’hui le rail. Au-delà de ces seuils matériels, des seuils virtuels, immatériels, existent. Il s’agit d’intersections de routes maritimes qui permettent de redistribuer des trafics éventuellement en fonction des besoins des armateurs. Les seuils maritimes sont donc les véritables révélateurs de l’activité économique et commerciale du monde, par l’intensité du trafic, par la multiplication des voies de passage, par la valeur croissante des marchandises qui circulent. Assurer leur sécurité, tant du point de vue militaire que technique, est donc essentiel.

Les pavillons de complaisance

Les amateurs de technologie pourront lire avec beaucoup d’intérêt l’étude consacrée aux marines marchandes, aux bâtiments qui naviguent et aux hommes qui desservent. Ce chapitre est richement illustré et constitue une indispensable base sur la révolution des transports maritimes.
On s’intéressera à la question des pavillons de complaisance qui souffrent d’une connotation péjorative mais qui mérite un classement plus attentif, puisqu’ils constituent 30 % de la flotte mondiale.
On distinguera les pavillons du Panama, du Libéria et du Honduras qui sont les véritables pavillons de complaisance en raison d’une fiscalité très allégée sur les armements.
Les pavillons de nécessité sont constitués par des armateurs pour se mettre en conformité avec des lois nationales, comme la loi française qui exige que deux tiers des importations de pétrole du pays soient transportés sous pavillon français. Une société comme Exxon a donc développé un pavillon français spécifique pour ce transport.
Le pavillon de refuge fiscal est un terme utilisé indistinctement pour les navires nationaux sous pavillon étranger ou pour les flottes Panama Libéria Honduras comme par exemple le pavillon des Kerguelen.
Enfin les véritables pavillons de complaisance comme ceux du Costa Rica, des îles Marshall, du Belize et même de la Somalie sont ceux qui posent les problèmes les plus délicats de sécurité et de réglementation.

La troisième partie de l’ouvrage examine les différents aspects régionaux, avec les différents espaces, Atlantique, Pacifique, méditerranéen et l’océan Indien. L’océan Austral et Antarctique sont l’objet d’un traitement particulier avec une description précise des différentes dorsales, notamment dans les mers australes.
La dernière étude est consacrée à l’observation et aux télécommunications dans les océans, avec les différents réseaux de câbles sous-marins qui restent indispensables même s’ils sont aujourd’hui doublés par des liaisons par satellite. Ces réseaux de câbles sous-marins dont certains remontent à la faim du dix-neuvième siècle sont actuellement remplacés par des réseaux de fibre optique. Enfin l’avant-dernière étude traite du droit de la mer et de la géographie Océane posant les principaux débats sur la délimitation des eaux territoriales, sources de conflits.
C’est donc une étude très complète qui est proposée même si elle reste essentiellement descriptive. C’est un petit peu le sentiment d’inachevé que l’on ressent à la lecture de cet ouvrage. Des questions comme les déploiements des marines militaires, les zones de piraterie, l’analyse précise de différents litiges, comme celui des Senkaku entre la Chine et le Japon, et il y en aurait bien d’autres, auraient mérité de figurer dans cet ouvrage.
Toutefois, d’autres études, et notamment des publications dans des revues de géopolitique permettent de compléter ces bases qui restent extrêmement solide et qui doivent bien entendu constituer le socle d’une réflexion sur les espaces maritimes.

Bruno Modica