CR de Patrick Mougenet

Actes du colloque international tenu à Paris les 27, 28 et 29 avril 2006 à l’initiative du Centre d’histoire cuturelle des sociétés contemporaines de l’Université de saint-Quentin en Yvelines, de l’INA et de l’Institut des Images à l’AgroParisTech.

Assurément, la jeune et dynamique maison des éditions Nouveau Monde souhaite coupler cet ouvrage avec la magistrale somme que constitue le Dictionnaire mondial des images, 1 119p, publié en novembre 2006 sous la direction de Laurent Gervereau. Ce dernier, accompagné de Christian Delporte, qui a coordonné le présent ouvrage, et de Denis Maréchal a co-organisé en avril 2006 un colloque (cf le compte-rendu que j’avais fait de la présentation de ce colloque pour Jean-Pierre Meyniac, sur le site cinehig : http://www.cinehig.clionautes.org/spip.php?article303 ) posant la question « quelle est la place des images en histoire ? » dont la réponse appelait à un bilan de ces vingt dernières années. Bilan et manifeste : intégrer aujourd’hui les images comme source à part entière de la démonstration historique ne doit plus relever de l’acte solitaire éclairé comme cela fut le cas avec un Pierre Sorlin ou un Marc Ferro dans les années 1970. De la légitimation de l’utilisation d’un type de document qui parut longtemps comme mineur, aux yeux même des historiens, l’image s’est affirmée comme source privilégiée d’accès à l’histoire et à l’imaginaire des sociétés, aidée par le souffle de l’histoire culturelle devenue quasi-hégémonique durant la même période.

L’ouvrage est articulé autour de trois parties solidement étayées :

1/ Recherches sur l’image : quel bilan ? De l’image illustration à l’image-objet d’études.

Paradoxalement, ce sont les antiquisants, médiévistes et modernistes qui se sont emparés de l’image comme objet d’histoire. Ce que rappellent les interventions de François Lissarague (qui partant d’une offrande votive, s’interroge sur la chaine gestuelle qui a abouti à la création de cet objet visuel), de Jean-Claude Schmitt (qui rappelle, dans « les images médiévales », la place privilégiée de ce qu’il préfère nommer « imago », terme qui a d’emblée « un sens anthropologique fondamental puisqu’il ne désigne rien moins que l’homme, dès l’instant où il est créé ‘’à l’image de dieu’’ », en même temps qu’il désigne les images mentales et les images matérielles, produites et reçues sous toutes formes de supports : enluminure, statuaire…) et Joël Cornette (qui se demande dans un premier temps si la rencontre entre l’historien moderniste et l’image ne traduit pas un rendez-vous manqué, considérant que de –trop- nombreux travaux n’ont tenu l’image qu’au rang d’illustration, puis présente les façons neuves et récentes de partir des images comme l’ont fait Patrick Boucheron, Olivier Cristin ou encore Serge Gruzinski qui insiste sur le pouvoir et le métissage de l’image, sa circulation et son aptitude, depuis les Grandes découvertes, à la mondialisation, ou Hélène Duccini qui traite l’image comme archive pour étudier l’opinion publique au temps de Louis XIII).

Christian Delporte trace ensuite les relations tumultueuses entre histoire contemporaine et images, montrant l’intérêt tardif montré par les historiens pour diverses raisons : le volume et la quantité des archives écrites qui a rejeté l’image au rang d’anecdote peu sérieuse, la difficulté d’accès aux archives filmées, les obstacles méthodologiques ayant trait à la formation pour conclure que l’histoire contemporaine n’a pas été saisie par les images. Jérôme Bourdon enfin s’attache aux relations entretenues entre les historiens et la télévision et montre que les chercheurs ont enfermé l’objet télévisuel (son histoire technique, celle de ses programmes…) sur lui-même et plaide pour une ouverture vers l’histoire culturelle et sociale.

2/ Quelles sources, quelles méthodes pour l’historien ?

Dix interventions interrogent chacune pour moitié l ’univers des images fixes et celui des images mobiles. Elisabeth Parinet plaide pour « une diplomatique de l’image », constatant que les historiens, s’ils abordent les documents écrits avec plus d’un siècle et demi de tradition critique, manquent singulièrement de méthode dès lors qu’ils utilisent les images de façon « désinvolte », la reléguant au rang d’illustration documentaire. A partir d’un événement, la bataille de Bouvines, Annie Duprat pose les ressorts de « l’enquête iconographique » qui doit procéder de trois étapes successives : s’interroger sur l’objet à étudier ; rechercher ses différents éléments iconographiques ; en faire l’étude sérielle et comparative en constituant un corpus. Trois types de sources visuelles sont ensuite envisagés dans leur spécificité et dans leur rapport à l’histoire de l’art : la gravure d’actualité au 18ème siècle (Christine Vogel et Pierre Wachenheim), dont les contours de media des informations est mis en relief, articulé autour de l’approche historique et artistique ; la photographie (Ilsen About et Clément Chéroux) distinguée comme un matériau pour historien comme un autre, soulevant l’impérieuse nécessité de décloisonner l’étude des images photographiques de ce qui l’entoure (texte, autres images) et examinant un cas précis appuyé sur une quinzaine de documents, les photographies des camps de concentration et d’extermination nazis ; la bande-dessinée (Thierry Crépin et Jean-Paul Gabilliet) brièvement abordée dans une perspective méthodologique comparative entre chercheurs français et états-uniens, reflet d’une approche qui passe davantage par l’histoire de l’édition, en de part et d’autre de l’atlantique, que par l’histoire des représentations.

Concernant l es images cinématographiques et télévisuelles, Denis Maréchal s’interroge, en partant des collections de l’Inathèque, sur l’accumulation observée, depuis 20 ans, d’émissions télévisées sur la photographie. Des images télévisuelles tour à tour « source miraculeuse » et/ou « cauchemar » pour l’historien (Pierre Sorlin), Evelyne Cohen montre en quoi elles se prêtent à une approche historique par le visuel autant que par le sensible. Pour raconter ce que les Français ont vu, l’auteur suggère de partir des programmes qui donnent un aspect plus complet des images conservées et accessibles, tout en portant l’attention sur l’identification exacte des sources… dont la traçabilité et la provenance ne sont pas toujours assurées : les images diffusées en mai 1958 sur l’Algérie proviennent-elles de la RTF d’Alger ? des envoyés spéciaux de l’ORTF en France ? Le visionnement d’un maximum d’images peut infirmer quelques poncifs repris sans cesse depuis des années par les journalistes, les manuels scolaires etc… Ainsi un film diffusé par la RTF les 29 novembre et 1er décembre 1954 montrant le ministre de l’Intérieur de l’époque, François Mitterrand, prononcer un discours dans le paysage des Aurès et évoquer le terme de « guerre », terme qu’on a longtemps affirmé jamais être employé par les autorités françaises, et tout particulièrement par celui dont on a retenu que « l’Algérie, c’est la France ». Comme les autres intervenants du colloque et auteurs de l’ouvrage, Evelyne Cohen souligne combien désormais il importe de centrer l’analyse sur la chaîne et le processus de l’image : conception, production, diffusion, réception, appropriation. Un leitmotiv qui parcoure quasiment toutes les contributions et qui peut lasser, mais qui en même temps montre combien, comme les autres sources de l’histoire, plus « traditionnelles », l’image doit se prêter à la rigueur analytique, gage de la confiance qu’on peut lui accorder, comme n’importe quel autre document. Michel Cadé complète le dispositif critique de l’analyse d’image en proposant une analyse interne à quatre niveaux, délivrant chacun un point de vue particulier : le plan, la séquence, le film et la série. Trop souvent utilisés comme éléments d’appui strictement illustratifs, l’auteur montre que le « plus petit élément filmique », le plan, peut échapper, pour peu que le chercheur s’en donne la peine, à une « instrumentalisation paresseuse ».

3/ Des études sur l’image à l’histoire du visuel

La dernière partie de l’ouvrage renvoie à l’Histoire du visuel publiée au Seuil par Laurent Gervereau en 2000 et rappelle combien l’univers visuel, les images, composent nos représentations mentales, de l’image du pouvoir véhiculée chez les Gonzague de Mantoue à la Renaissance (Delphine Carrengeot) aux séries télévisées américaines narrant la guerre du Vietnam (Marjolaine Boutet). Laurent Véray va plus loin et se demande si « dans certains cas, il y aurait une conscience historique » sans la présence des images. A titre d’exemple, la contribution de Patrick Minder suscite de l’intérêt : quel peut être l’imaginaire colonial… d’un pays sans colonies, la Suisse ? Ainsi en terre helvétique, sur près de 150 000 affiches produites entre 1885 et 1939, une centaine seulement mettent en scène les colonies. Mince corpus, mais pas moins homogène pour autant, il reprend les principaux stéréotypes véhiculés dans la production visuelle des puissances coloniales : infériorité des peuples, infantilisation, sauvagerie/brutalité, proximité avec la nature… Une forme de violence a posteriori. Une violence que Benjamin Stora traque dans le film La Trahison, un film de Philippe Faucon sorti sur les écrans français en janvier 2006. Traditionnellement, la première des violence précise l’auteru est de faire disparaitre l’autre de l’écran pour mieux valoriser le militaire français, ce que s’interdit le réalisateur qui réintroduit l’indigène dans le film, comme il fait réapparaitre le pays réelle, l’Algérie, non celle fantasmée ou reconstruite à travers des décors ; mais dans sa ruralité, rappelant que 80 à 90% de la guerre d’Algérie s’est déroulée dans le monde rural. Contre-pied de la production cinématographique qui précède encore lorsque Philippe Faucon montre la violence dans son intériorité, dans les sentiments de chacun, quel que soit le camp : la guerre n’est pas seulement affaire d’affrontements, mais de guerre civile intérieure, de bouleversements, de fractures multiples.

Au total, les contributions fort diverses et parfois inégales (qui ici consacrent 25 ans de recherches et de publications, de directions de thèses etc…, là font entrevoir les travaux à venir de jeunes doctorants) dressent un constat qui tient du bilan et de l’urgence. Bilan : somme toute positif car nombre d’historiens intègrent enfin dans leurs travaux l’image non comme source annexe d’illustrations d’un propos basé sur des matériaux écrits, mais comme sources à part entières. Bilan mitigé toutefois car trop souvent encore les chercheurs tendent-ils à cloisonner leur étude et manquent de s’ouvrir aux autres champs disciplinaires (ainsi ces « Histoire de la photographie », « Histoire de la télévision de tel pays » etc…). Urgence car l’image, les images, envahissent notre quotidien sur tous les supports, mélangeant toutes les époques représentées sur un même support et poussant à une confusion forte. Face à ce phénomène planétaire, ce livre se veut être comme une arme méthodologique, au risque de se répéter souvent : il faut s’entourer d’un certain nombre de précaution dans l’analyse rigoureuse et scientifique de la source.

On peut regretter, comme c’est souvent le cas dans la publication d’actes de colloque, l’absence d’outils de travail comme un ou plusieurs index (que les traitements de texte d’aujourd’hui facilitent !) mais plus encore d’une bibliographie détaillée qui aurait pu faire le point sur les productions de ces 20 dernières années et recenser les ouvrages méthodologiques consacrés au thème (les collègues pourront se diriger vers la bibliographie établie par Pierre Borgo pour cinehig : http://www.cinehig.clionautes.org/spip.php?article132 ) . Regret de n’avoir abordé que par allusion en propos introductif la place des images dans l’enseignement de l’Histoire. Regret enfin du prix : l’ouvrage, certes jalon important de la réflexion sur la place des images en Histoire, coûte autant que le magistral et merveilleux Dictionnaire mondial des images , composé de 1 119 p et de centaines de documents en couleur, publié… chez le même éditeur.

Patrick MOUGENET© Les Clionautes