Fabrice Erre : Une année au lycée, guide de survie en milieu lycéen, éditions Dargaud, 17,95 €.

Parmi les heureuses découvertes du début de l’été, lorsque déambulant sur les allées Paul Riquet de Béziers, j’ai franchi les portes de la librairie Clareton, qui connaît de grandes incertitudes sur son avenir, http://www.midilibre.fr/2014/07/08/la-mairie-pour-sauver-clareton,1021910.php il y a cette bande dessinée d’un de nos collègues, Fabrice Erre.
Professeur d’histoire et de géographie dans un lycée, présent sur le terrain, ce qui nous change considérablement des appréciations du type « profs bashing » que nous subissons à chaque période de rentrée, Fabrice Erre pointe avec bonheur tous les dysfonctionnements du système éducatif en général et ceux de l’enseignement de l’histoire de la géographie dans le second degré en particulier.
Fabrice n’est pas de ces auteurs enseignants qui pratiquent l’autoflagellation, où le dénigrement systématique, ce que l’on lit trop souvent dans les écrits de quelques journalistes ayant fait un bref passage dans le système éducatif ou d’enseignants en temps partiel, – il y en a qui ont les moyens – qui se répandent avec complaisance sur certains blogs.http://maragoyet.blog.lemonde.fr/author/maragoyet/

Ses planches ont le goût de l’authentique, elles nous font sourire mais aussi réfléchir. On y retrouve ses débuts de rentrée, cette découverte des classes et ce premier appel. Souvent irritante cette petite remarque d’un élève qui nous reprend au moment où l’on écorche son nom lors du premier appel ! Règle de base, je jamais s’excuser !
Comment l’interpréter d’ailleurs ? Remise en cause de l’autorité ? Volonté de tester ? Quête d’identité affirmée ? J’avoue que je n’ai pas la réponse, même si j’ai une réplique cinglante en réserve !

Je confesse une grande tendresse pour ce personnage un peu dégarni, celui qui cherche à projeter ses élèves sur leurs études futures, leur projet professionnel, et qui se retrouve confronté à une question dérisoire sur la cantine où l’emploi du temps.

Je me reconnais totalement dans cette « mise en route » de classe, avec ces lycéens de seconde, collégiens avec deux mois de plus, à qui il faut imposer des règles. Ce que Fabrice montre dans sa bande dessinée c’est surtout la résilience de ces têtes blondes ou brunes qui nous sont confiées pour une petite trentaine de semaines. Comment ne pas se reconnaître en effet face à cette génération du zapping, que l’on parle de toutes les vertus dans certains milieux pédagogiques, et qui font de l’activité ludique l’alpha et l’oméga de l’activité enseignante.

Historiens géographes, nous sommes bivalents, voire trivalents avec l’éducation civique, et nous sommes toujours confrontés à cette question lancinante qui devrait tout de même vous interpeller : « Monsieur ? C’est de l’histoire ou de la geo ? ».

De la même façon, le combat pour « le port du manuel », sans doute moins médiatisé que celui du voile, semble beaucoup préoccuper notre collègue. Il a incontestablement raison, et il n’est pas inutile d’en rappeler l’importance.

Le croquis de géographie, et ce sera un clin d’œil pour nos collègues qui ont mis en œuvre dans la galaxie des Clionautes, Clio Carto, http://lycee.clionautes.org/spip.php?rubrique173 est un pur bonheur lorsqu’il est traité par notre estimé collègue.
Le rapport entre le schéma plus ou moins abstrait que nous réalisons, avec plus ou moins de bonheur, selon le temps de préparation et les moyens techniques mises en œuvre, et la perception que les élèves peuvent en avoir pourrait susciter de vastes débats.

Il est difficile de citer toutes les planches, tous les micros récits de cet album. Je citerai simplement celui du « mythe pédagogique » dans lequel l’auteur avec quelques dessins décrit le parcours d’apprentissage d’un élève, les obstacles qu’il rencontre dans l’acquisition des connaissances, et le résultat en termes de restitution. De quoi nous rendre modestes, surtout au moment, (page 71) où l’on remplit les bulletins. L’usage du copier coller a été grandement facilité par le numérique, sans doute un effet pervers. Il est tout de même possible de contourner ces appréciations toutes faites, « élèves montrant peu d’intérêt pour la discipline. Il faut réagir et retrouver une dynamique positive », en utilisant la reconnaissance vocale qui permet de s’affranchir du clavier tout en gagnant du temps.

Alors oui, pour Fabrice comme pour nous autres, c’est une nouvelle année au lycée qui commence. On pourra, doté de cet album, entre deux paquets de copies, sourire ou parfois rire.
Rire de nous-mêmes et de nos travers, dans une démarche salutaire d’autodérision, parfois très mal comprise par nos propres collègues.
S’interroger sur le sens de notre métier, des contenus que nous sommes censés transmettre, et de ce qui, finalement, peut en rester.

La dernière planche s’achève avec la publication des résultats du bac : « dans la dignité, la rigueur, sérieux, et la satisfaction du devoir accompli ! ».
Eh bien non, c’est avec un sentiment d’insatisfaction constant que nous terminons, comme nous commençons nos années scolaire.
À nous de transformer cela en action positive, à nous également de changer le réel et d’inventer les possibles. C’est aussi cela le message, implicite sans doute, de notre collègue.

Merci Fabrice

Bruno Modica, 34e rentrée, 31 août 2014

http://www.dargaud.com/annee-au-lycee/album-6630/annee-au-lycee/