Cet ouvrage traite des problèmes de sécurité régionale dans cette zone mal connue du Caucase et de l’Asie Moyenne. Partie de l’arc de crise, la région est devenue le lieu d’un grand jeu que se livrent grandes puissances, Etats-Unis, Russie, Chine, et puissances régionales, Iran, Pakistan, et même indirectement l’Inde.

Introduction :

Deuxième ouvrage de la collection politique étrangère et sécurité, dont il est traité sur le site des Clionautes, cette « Asie centrale et Caucase » apporte un éclairage original à la géopolitique régionale. Attentifs aux évolutions des puissances intermédiaires, les chercheurs québécois ne se limitent pas à une simple description des rapports de forces locaux entre grandes puissances. Ils évoquent aussi, et de la plus précise des manières, les enjeux en termes mondiaux des tensions qui se déroulent dans cette zone mal connue, hors le conflit Tchétchène. L’Europe est d’ailleurs dramatiquement absente de cette région, alors que les trois autres grands (Etats-Unis, Russie, Chine), s’y livrent à une sorte de grand jeu qui n’est pas sans rappeler celui auquel se livraient les diplomates Russes et Britanniques sur les confins Nord de l’Empire des Indes.

Dès l’introduction, Gérard Hervoet justifie le choix de coupler deux zones, proches à divers points de vue. L’Asie centrale et le Caucase partagent sans nul doute une histoire tumultueuse et une domination Russe et Soviétique. Ils sont aussi encore proches de par les enjeux actuels, pétroliers et sécuritaires. Dans cette zone aussi, plus sans doute que dans bien des points chaudes de la planète, le 11 septembre constitue un tournant majeur. Zone d’affirmation d’un fondamentalisme islamique ayant clairement choisi l’option terroriste, l’Asie Centrale et le Caucase ne sont plus pour l’instant au centre des préoccupations de Etats-Unis confrontés à l’hypothèque Irakienne et Proche Orientale.
La Chine et plus encore la Russie, avec des moyens qui leurs sont propres, sont par contre très présents avec des soucis énergétiques et gaziers pour la Chine, en Asie Centrale, et militaires et pétroliers pour la Russie dans le Caucase et le Kazakhstan. Tous ces points sont largement développés par les contributeurs de cet ouvrage collectif.

Partie 1 : Cadrage historique et géopolitique

Une histoire hypothéquée par les conflits

Clairement conflictuelle, l’Asie centrale ex-soviétique a du mal à construire les bases de son développement. Anciennes républiques soviétiques, ces Etats restent largement marqués par les conflits antérieurs et par la méthode brutale de russification des Tsars comme Alexandre II et de Staline, notamment après la seconde guerre mondiale.
Les tentatives de Gorbatchev de maintenir l’Union sur de nouvelles bases ont d’ailleurs commencé à être contestées au Kazakhstan, dès décembre 1987 lors des émeutes d’Alma Ata. Dès lors il était clair que les anciens apparatchikis nationaux héritiers du Brejnévisme s’opposeraient à toute remise en cause des pouvoirs claniques et, une fois reconvertis en nationalistes, maintiendraient leur pouvoir autoritaire sur leurs nouveaux Etats indépendants. L’argument du terrorisme islamique permet d’ailleurs à Islam Karimov en Ouzbékistan de faire régner la terreur dans le pays.

C’est d’ailleurs le point commun de ces Etats, avec des situations sensiblement identiques. Structures politiques anté-soviétique de type clanique et tribal sur lesquelles se sont maintenues les fidélités du système soviétique, avec une greffe mafieuse… Le tout donne des régimes caricaturaux, comme celui de Saparmurad Niyazov au Turkménistan, ou celui du Kirghizistan, un des pays les plus pauvres du monde. La drogue de production locale ou de transit d’Afghanistan, venant d’ailleurs freiner la constitution d’Etats modernes.

Pourtant cette région dispose d’atouts énergétiques non négligeables, convoités par les grandes puissances qui souhaitent diversifier leurs sources d’approvisionnements.
A propos des pétroles de la Caspienne, le litige perdure entre la Russie et l’Iran, même si la situation est rendue plus complexe avec les revendications des riverains ex-soviétiques, comme l’Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kazakhstan.

Cette région d’après Guy Morissette, n’a pas réglé le problème de sa transition post-soviétique en étant confrontée à trois problèmes délicats. Les répercussions de la crise afghane, des trafics frontaliers de drogue et d’armes et le militantisme fondamentaliste islamique étant des défis communs à tous les Etats de la région. Des difficultés spécifiques affectent aussi d’autres pays comme les riverains de la mer d’Aral, de l’Amou Daria et du Syr Daria, pollués et en déficit hydrique grave.

Dans cette région, les puissances mondiales et leurs alliés ou clients régionaux ont pu se livrer à une sorte de grand jeu. Toutefois d’après Frédéric Lassère, les ambitions iraniennes et pakistanaises ont fait long feu. La Turquie dont on pouvait imaginer qu’elle pourrait jouer sur la solidarité ethnique et linguistique a dû moduler ses ambitions et s’intéresser essentiellement aux répercussion des tracés des oléoducs et gazoducs sur son propre territoire. Le triangle Russie – Etats-Unis – Chine, déjà évoqué dans un ouvrage précédent, joue un rôle déterminant dans cette région, les Etats-Unis et la Chine pour des raisons finalement assez proches essayant de remettre en cause l’influence russe dans cette région.

Partie II : sécurité régionale

Dans une partie intitulée enjeux et grand jeu en Asie centrale, Thomas Juneau évoque les positions respectives des trois grandes puissances dans cette région. Les Etats-Unis, la Chine et la Russie se livrent à un grand jeu qui n’est pas sans rappeler la rivalité des Russes et de l’Angleterre impériale au XIXe siècle. Les trois puissances semblent avoir des intérêts communs dans la région, la pacification de l’Afghanistan, la lute contre les trafics et le fondamentalisme, la stabilité économique. Parmi les cinq républiques d’Asie centrale, l’Ouzbékistan semble vouloir jouer un rôle de puissance régionale.
La stabilité et la sécurité du Caucase du Sud semblent avoir été largement remises en cause depuis le 11 septembre. C’est en tout cas, le point de vue de Pierre Jolicoeur, chercheur au centre d’étude des relations internationales et spécialiste des régions caucasiennes. La compétition entre grandes puissances se fait sentir largement, mais aussi avec les puissances régionales, l’Iran, le Pakistan, la Turquie.

Le 11 septembre a largement modifié la situation locale.
Bien entendu, dans la zone, la proximité avec le territoire Tchétchène, la présence des troupes armées de la guérilla fondamentaliste aux confins du territoire fédéral Russe avec la gorge de Pankissi, amènent les forces Russes à maintenir une forte pression dans cette zone. Toutefois, ans la mesure où cette pression menace directement la Géorgie, les Etats-Unis ont déployé sur place une présence militaire minimum, ce qui constitue un précédent que les Russes ne doivent pas forcément apprécier.

La Tchétchénie est traitée à part dans ces questions de sécurité régionale avec un très utile retour d’Isabelle Facon, chercheur spécialisé dans les politiques de défense de la Russie. Le constat sur cette politique est d’ailleurs accablant, et les développements récents, postérieurs à la sortie de cet ouvrage, (massacre de Beslam en septembre 2000 ou la prise d’otages de Moscou en 2002) le démontrent aisément. Le coût de ce conflit estimé à 160 millions de dollars par mois n’est pas comparable à celui entraîné par l’occupation en Irak mais il n’est pas anodin non plus. La solution politique et le référendum de 2003, ne semblent pas non plus suffire à permettre à la Russie de maintenir son emprise dans cette région.

Partie III : sécurité et religion

L’islamisme d’après de nombreux auteurs est devenu dans cette région de l’Asie centrale la principale force de déstabilisation. L’appauvrissement du plus grand nombre consécutif à l’implosion de l’URSS a favorisé l’émergence de mouvements radicaux et d’une religiosité omniprésente. Les gouvernements locaux sont d’ailleurs plus prompts à tirer le signal d’alarme sur cet état de fait que pour reconnaître que leur politique, leur incapacité à développer leurs territoires respectifs sont largement responsables de cette situation.
La greffe d’un islam importé, on dirait wahhabite, dans la zone semble avoir pris sur un islam local, de rite Hanafite et soufite. En Ouzbékistan, le problème a pour origine cette tentative d’Ouzbékization qui s’est produite au détriment des russophones et qui a favorisé un courant identitaire dans lequel l’Islam wahhabite a su s’engouffrer. Cet islam d’origine saoudienne a été d’ailleurs favorisé par les Etats-Unis aux temps de la guerre contre les soviétiques en Afghanistan.

Partie IV : Le désenclavement régional

Cette partie heureusement enrichie de deux cartes a le mérite de relier deux questions en apparence isolées. Pour Emmanuel Gonon, le désenclavement des pays riverains de la Caspienne permettra le développement économique, sous réserve que les intérêts des différents acteurs régionaux trouvent à s’accorder. La question des routes pétrolières et des tracés des oléoducs expliquant largement les positions contradictoires des uns et des autres.
Pour Jérome Leroy, spécialiste du transport ferroviaire, ce moyen de transport, largement dégradé par l’implosion de l’URSS pourrait pourtant contribuer au désenclavement de cette région par la création d’un pont transcontinental, un point de passage eurasiatique qui reprendrait peu ou prou le tracé cohérent de la route de la soie.
Au final cet ouvrage est remarquable et stimulant. Sa bibliographie est précise, documentée et incorpore aussi de très nombreuses ressources sur le web, que ces universitaires québécois, appellent la toile. On ne peut que regretter l’absence de cartes plus précises qui seraient fort précieuses à la compréhension de ce sujet. Pour les localisations, on pourra se reporter utilement à l’atlas des guerres et des conflit dans le Monde de Dan Smith dont il a été rendu compte sur ce site.

Bruno Modica

Tout comme le précédent ouvrage de cette collection Québécoise, on appréciera également la précision et l’abondance des sources documentaires récentes, y compris les ressources internet particulièrement précieuses. On pourra revoir utilement l’Atlas des guerres et des conflits dans le monde, ainsi que Pierre Biarnès : Pour l’empire du monde, les américains sur les frontières de la Russie et de la Chine. (Ces deux ouvrages ont été l’objets de Compte rendus sur ce site.)

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