L’ouvrage Lieux de mémoire en Centre-Val de Loire, publié sous la direction de Pierre Allorant, Walter Badier, Alexandre Borrell et Jean Garrigues, constitue l’une des dernières parutions des Presses Universitaires de Rennes, dans la collection « Histoire », en 2021.

Pierre Allorant (59 ans) est professeur d’histoire du droit et des institutions à l’université d’Orléans (membre affilié du laboratoire POLEN EA 4710, équipe CEPOC) ainsi que doyen de la faculté de droit d’Orléans, depuis novembre 2016. De plus, il est membre du comité scientifique de la revue Parlement[s]. Revue d’histoire politique.

Walter Badier (42 ans) est maître de conférences en Histoire contemporaine à l’université d’Orléans (Laboratoire ÉRCAÉ – EA7493) au sein de l’INSPE Centre-Val de Loire. En juin 2020, il a été nommé directeur adjoint à l’INSPE (Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation) CVL, à Orléans. En outre, il est membre du comité de rédaction de la revue Parlement[s]. Revue d’histoire politique, depuis 2007.

Alexandre Borrell (45 ans) est maître de conférences en SIC (Sciences de l’Information et de la Communication) à l’université Paris-Est Créteil (Laboratoire Céditec – EA 3119) ainsi que membre affilié du laboratoire POLEN EA 4710, de l’université d’Orléans. Enfin, il est rédacteur en chef adjoint, au sein du comité de rédaction de la revue Parlement[s]. Revue d’histoire politique, depuis 2007.

Jean Garrigues (61 ans), enfin, est professeur en Histoire contemporaine à l’université d’Orléans (laboratoire POLEN EA 4710-CEPOC). De plus, il est directeur de la publication de la revue scientifique Parlements[s], Revue d’histoire politique (depuis 2003), directeur des collections Cliopolis et Polen (depuis 2014), membre des conseils scientifiques des Rendez-vous de l’histoire (depuis 2006). De surcroît, il est également président du Comité d’histoire parlementaire et politique (CHPP) (depuis 2002). Enfin, il est consultant régulier sur Public-Sénat, LCP, France Inter, I>TV, LCI, La Cinq et BFM.TV.

Lieux de mémoire en Centre-Val de Loire : prolongement du colloque POLEN de juin 2015

L’équipe CEPOC du laboratoire POLEN (Pouvoirs, Lettres, Normes) de l’université d’Orléans a tenté, à partir du colloque Lieux de mémoires en région Centre-Val de Loire (organisé les 17, 18 et 19 juin 2015 à l’hôtel Dupanloup, lieu du Centre international pour la Recherche d’Orléans (CIRO), dont cet ouvrage collectif constitue le prolongement), d’analyser les échelles imbriquées, d’un point de vue spatial – du local à l’international, en passant par le régional et le national – mais aussi temporel – de l’immédiat après-guerre à la longue durée – afin de montrer leurs articulations, la diversité de leurs contenus, de leurs émetteurs, de leurs vecteurs et de leurs usages. Ces deux approches se conjuguent ici avec une démarche interdis­ciplinaire assumée, associant anthropologie, géographie, histoire, histoire du droit et littérature.

Comment avoir une identité régionale lorsque son histoire est profondément enchevêtrée avec celle de la nation ? Depuis sa création, il y a soixante ans, la région Centre a été confrontée à cette difficulté, en particulier dans sa partie capitale issue de l’ancienne province de l’Orléanais ; le Berry et la Touraine ayant traditionnellement une volonté forte de se démarquer de l’Île-de-France. Et pourtant, les larges remaniements régionaux opérés par la loi NOTRe ont laissé inchangées les délimitations de la région Centre-Val de Loire (pourtant si dénigrée !), et ont confirmé tout à la fois sa vocation ligérienne et sa capitale orléanaise, en repoussant aussi bien la fusion au sein d’un vaste centre-ouest picto-charento-limousin que le prolongement naturel vers l’aval et l’embouchure de la Loire.

Dans les années 2010, dans le cadre d’un « appel à projet régional d’intérêt régional », l’APR-IR « LocMem, Lieux de mémoire en Centre-Val de Loire », un vaste programme de recherches pluridisciplinaires – mené sur l’ensemble du territoire, en lien avec le tissu associatif, les sociétés savantes, les archives départementales et municipales et les chercheurs des laboratoires des deux universités d’Orléans et de Tours, de l’anthropologie à l’histoire de l’art et du droit, de la géographie à la littérature, de l’histoire à la sociologie – a permis de réinterroger les lieux de mémoire à une échelle inédite, jamais explorée depuis la belle entreprise nationale de Pierre Nora, il y a un tiers de siècle, et récemment élargie du national à l’espace européen.

À côté d’un dictionnaire publié, en 2018, sous la forme de 250 notices, un colloque (en juin 2015) a synthétisé les apports de ce projet en mettant un coup de projecteur sur des lieux, des personnages et des moments emblématiques du Centre-Val de Loire, cette région composite, ce résumé de la littérature, de l’architecture, de l’art, des paysages, des personnages et des « journées qui ont fait la France ». Les lieux de mémoire sont d’abord des territoires, des « noms de pays », marqués par le souvenir des actes, réels ou légendaires, des personnalités retrouvées dans la « cathédrale du temps », là d’où émergent les moments les plus marquants de l’histoire locale, régionale et, inséparablement, du grand « roman national ».

Composé au total de 21 contributions, l’ouvrage est divisé en 3 parties comportant chacune une introduction. Outre une introduction générale signée de Pierre Allorant (p. 7-14), les 21 communications se répartissent comme suit : 6 pour la partie I (p. 15-98), 8 pour la partie II (p. 99-198) et, enfin, 7 pour la partie III (p. 199-298). Puis, suivent une conclusion rédigée par Pierre Allorant (p. 299-304) ainsi qu’un index des noms de personnes (p. 305-312) et de lieux (p. 313-318), les auteurs (p. 319-320) et, enfin, la table des matières (p. 321-324).

Première partie : Lieux

La première partie est consacrée aux « Lieux » (p. 15-98) et est composée de 6 articles : c’est-à-dire ceux de Christine Romero (Maître de conférences en géographie, université d’Orléans, Cedete), Pratiques et représentations individuelles des lieux de mémoire (p. 19-30) ; Christophe Spéroni (PRCE d’histoire, université d’Orléans, Polen-Claress), Le côté de la Sologne, le côté de la Beauce : d’un pays, l’autre (p. 31-44) ; Joël Mirloup (Professeur émérite de géographie-aménagement, ancien doyen de la faculté des lettres de l’université d’Orléans), L’exemple emblématique du TGV Atlantique (p. 45-52) ; Philippe Goldman (Attaché de conservation du patrimoine honoraire, Archives départementales du Cher), La Maison de la culture de Bourges. Naissance et déclin d’un symbole de la décentralisation culturelle (p. 53-70) ; Anne-Friederike Delouis (Maître de conférences en anthropologie sociale et historique de l’Europe contemporaine, université d’Orléans, Polen-Cepoc), La Sologne des ethnologues. Des missions d’exploration au musée de Sologne à Romorantin (p. 71-86) et, enfin, Lucie Gaugain (Docteure en histoire de l’art, université de Tours, CESR), Les enceintes en région Centre-Val de Loire. Le cas de Saint-Dyé-sur-Loire (p. 87-97).

La mémoire collective, nationale et a fortiori régionale, s’accroche d’abord à des lieux au sens propre, des territoires, plus construits que « naturels », nommés et vécus. Aussi, la parole est-elle d’abord confiée à la géographie humaine et à la géographie historique. Dans une région souvent perçue et décrite comme particulièrement composite, comment les habitants ressentent-ils le passé commun, les évènements marquants, les figures emblématiques ? L’analyse de l’enquête menée par Christine Romero sur les représentations des lieux de mémoire en région Centre-Val de Loire (Pratiques et représentations individuelles des lieux de mémoire) nous livre ses résultats sur les pratiques individuelles des lieux patrimoniaux, pointant les lieux investis comme « lieux de mémoire » et les conditions nécessaires à la transmission de la mémoire.

Parmi les nombreux « pays » qui constituent l’actuelle région administrative Centre-Val de Loire, la Sologne et la Beauce forment, au cœur de l’ancienne province orléanaise, les deux faces antinomiques d’une identité dont la césure est ourlée par le val de Loire. Dans les caractères démographiques et agricoles comme dans les représentations, ces deux côtés s’opposent avant de se rejoindre comme le côté de chez Swann et le côté de Guermantes, avant la réunification opérée par le Temps retrouvé de Marcel Proust. Christophe Spéroni (Le côté de la Sologne, le côté de la Beauce : d’un pays, l’autre), nous transporte à travers l’Orléanais pour revisiter avec nous ces paysages riches de lieux communs et dont il interroge le statut de « lieux de mémoire ». Loin d’être les « pays naturels » paresseusement transmis par les images d’Épinal, la Beauce et la Sologne sont issues d’un processus mémoriel complexe et passionnant. Les guides et ouvrages populaires reprennent ainsi les poncifs sur l’insalubrité des zones humides de la Sologne, la pauvreté et l’isolement de la population, à l’origine d’une culture populaire et d’un parler, de coutumes et superstitions. Tout à l’inverse, dans le sillage de La Terre d’Émile Zola, la Beauce, avec son openfield, ses villages groupés et son agriculture céréalière productiviste, aurait « déterminé » le Beauceron, individualiste, économe en grains et âpre au gain. Le contraste est frappant entre ces lieux de mémoire, ou encore la persistance d’un sentiment d’appartenance au Berry, et la perte de sentiment d’identité de l’Orléanais. La notion de « pays naturel », forgée par Vidal La Blache, doté de caractères physiques, culturels et liés à l’habitat, reste utilisée par les guides. Le paradoxe est que les lieux de mémoire construits, les pays de Beauce et Sologne, sont apparus tardivement, sans cadre politique ou administratif, contrairement à l’Orléanais. Mais celui-ci paie sans doute la complexité de la carte administrative, le fait que la ville d’Orléans soit aussi à la tête de circonscriptions religieuses, juridictionnelles ou administratives à géométrie variable, de l’évêché au bailliage. Constructions culturelles avant tout, les régions ont besoin que leurs populations s’approprient des lieux de mémoire, les fassent vivre à travers des fêtes ou des monuments.

Lieu de mémoire qui traverse, au pas de charge, la région du nord au sud-ouest, mais en ignore la plus grande partie, au grand dam des villes de l’Orléanais et du Berry, le TGV Atlantique apparaît comme l’une des principales occasions ferroviaires manquées pour structurer la région et en améliorer les liaisons internes entre les principales agglomérations, selon Joël Mirloup (L’exemple emblématique du TGV Atlantique). L’établissement tumultueux du tracé témoigne de la difficulté des acteurs, en particulier de certains ingénieurs, à intégrer le regard d’autres savoirs et à prendre en compte la vie des territoires et les logiques d’aménagement de l’espace régional. Ainsi conçue, la politique de la « très grande vitesse » présente un rapport coût-avantages faible, d’où sa remise en cause actuelle par des collectivités territoriales soumises à des choix en période d’argent public rare et de dégradation accélérée des voies classiques, franciliennes et inter-cités. Les palinodies autour de l’enquête publique et du choix controversé de tracé pour la ligne « POCL » (Paris-Orléans-Clermont-Lyon) projetée risquent bien de reporter ou d’enterrer tout nouveau chantier, tant les interminables « barreaux » de connexion, à la charge des villes modestement desservies, et la mise à contribution de régions sollicitées par d’autres priorités, témoignent du désengagement de l’État. Il est bien loin, le temps de l’aménagement du territoire…

Précisément, un lieu de culture a incarné le volontarisme politique de la République gaullienne, l’engagement dans des réalisations à la fois concrètes et des symboles forts de décentralisation culturelle. Caractéristique du « Moment Malraux », la Maison de la culture de Bourges a bénéficié de cet âge d’or avant d’être banalisée, puis remise en question par la crise et des polémiques. Véritable lieu de mémoire urbain, régional et national, cette scène nationale donne à voir le spectacle du retrait de l’État culturel, contesté dans les années du ministère de Jack Lang par Marc Fumaroli, et désormais déserté par toute ambition. Et Philippe Goldman (La Maison de la culture de Bourges. Naissance et déclin d’un symbole de la décentralisation culturelle) de s’interroger : y a-t-il encore une place pour la création culturelle en dehors des métropoles et au-delà d’un apport à l’attractivité touristique régionale ?

Dans la volonté, désormais descendue à l’échelle régionale, de mobiliser les atouts et ressources touristiques en sortant des grands chemins des châteaux de la Loire et des cathédrales, Anne-Friederike Delouis (La Sologne des ethnologues. Des missions d’exploration au musée de Sologne à Romorantin) questionne les musées et collections ethnologiques, en particulier sur la mémoire des habitants et des activités solognotes. De même, les enceintes urbaines, comme celle de Saint-Dyé-sur-Loire étudiée par Lucie Gaugain (Les enceintes en région Centre-Val de Loire. Le cas de Saint-Dyé-sur-Loire), peuvent porter ce souci de soutenir un « slow tourisme » de découverte du patrimoine culturel ligérien et berrichon.

Deuxième partie : Acteurs

La deuxième partie est dévolue aux « Acteurs » (p. 99-198), avec 8 contributions avec celles de Denis Bjaï (Professeur émérite de Littérature française, université d’Orléans, Polen), Pierre de Ronsard, gentilhomme vendômois (p. 103-114) ; Geneviève Haroche-Bouzinac (Professeur de littérature, université d’Orléans, Polen-Claress), Un Anglais et un philosophe au château de La Source (p. 115-124) ; Aude Déruelle (Professeur de littérature, université d’Orléans, Polen-Cepoc), La province ligérienne et berrichonne de la Comédie humaine (p. 125-134) ; Aude Bonord (Maître de conférences en littérature, université d’Orléans, Polen-Cepoc), Max Jacob et Saint-Benoît-sur-Loire, lieu de mémoire, lieu de légende (p. 135-144) ; Chantal Senséby (Maître de conférences d’histoire médiévale, université d’Orléans, Polen-Cesfima), Baudri de Bourgueil (c .1045-1130). Du val de Loire à la Normandie (p. 145-160) ; Walter Badier (Maître de conférences en histoire, université d’Orléans, Ércaé), Ernest Duvergier de Hauranne, un notable libéral au service de la République conservatrice (1843-1877) (p. 161-170) ; Michel Verbeke (Professeur d’histoire-géographie, lycée en forêt de Montargis), Pierre Dézarnaulds, un grand notable radical dans les années trente (p. 171-184) et, enfin, Philippe Nivet (Professeur d’histoire contemporaine, université Picardie-Jules-Verne, CHSSC), Henri Duvillard (1910-2001), une figure gaulliste du Centre-Val de Loire (p. 185-198).

Le Val de Loire et le Berry sont particulièrement riches d’illustrations littéraires et artistiques, de lieux de création et de maisons d’écrivains, de Vendôme à Nohant. La galerie de portraits ici présentée par quatre auteurs n’est qu’une mise en bouche de choix, qui a le mérite de couvrir un large spectre stylistique et un champ chronologique étendu, de la mémoire de la poésie de Ronsard par Denis Bjaï (Pierre de Ronsard, gentilhomme vendômois) à celle de Max Jacob à Saint-Benoît par Aude Bonord (Max Jacob et Saint-Benoît-sur-Loire, lieu de mémoire, lieu de légende), de la trace laissée par le passage de Voltaire chez Bolingbroke, au château de La Source par Geneviève Haroche-Bouzinac (Un Anglais et un philosophe au château de La Source), à la profonde marque régionale d’origine des personnages socialement typés et ancrés dans le limon fertile du val, du Berry et de la Touraine de la Comédie humaine (La province ligérienne et berrichonne de la Comédie humaine) dont les figures des scènes de la vie de province sont ici mises en lumière, par Aude Déruelle.

Gens d’Église et gens d’État, hommes de pouvoirs nationaux, ou leurs représentants départementaux, et élus locaux cumulant leurs mandats avec une présence parlementaire nationale, des figures politiques ont marqué les territoires entre la Seine et le Massif central, dans cet espace déjà provincial et pourtant si marqué par la proximité de la capitale et l’influence parisienne. Moine-abbé, Baudri de Bourgueil illustre le « cercle de la Loire » et apparaît, jusqu’à son exil normand, comme un acteur majeur de la réforme religieuse médiévale que nous retrace Chantal Senséby (Baudri de Bourgueil (c .1045-1130). Du val de Loire à la Normandie).

Trois grands notables élus incarnent régionalement des moments politiques contemporains clés, plusieurs régimes constitutionnels successifs, de Louis-Philippe à Georges Pompidou : dans le Cher, les Duvergier de Hauranne passent de la notabilité censitaire orléaniste au service de la Troisième République libérale, courant central récemment revisité par Walter Badier dans sa thèse consacrée à Alexandre Ribot (Ernest Duvergier de Hauranne, un notable libéral au service de la République conservatrice); Pierre Dézarnaulds, député-maire de Gien dans l’entre-deux-guerres, membre actif du gouvernement Blum aux côtés de Jean Zay, reste un acteur influent sous la Quatrième République d’un Loiret dont il préside l’assemblée départementale, et marque profondément tout l’arrondissement giennois bien connu de Michel Verbeke (Pierre Dézarnaulds, un grand notable radical dans les années trente) ; quant à Henri Duvillard, il représente l’archétype des barons gaullistes, gaulliste historique, engagé dans la Résistance, dont les fonctions ministérielles pérennes sous la Cinquième République s’appuient sur un ancrage départemental stable, dans ce Loiret devenu fief gaulliste que brosse finement Philippe Nivet (Henri Duvillard (1910-2001), une figure gaulliste du Centre-Val de Loire).

Troisième partie : Moments

Dans une troisième partie, les « Moments » (p. 199-298) sont composés de 7 autres articles avec ceux de Françoise Michaud-Fréjaville (Professeur d’histoire médiévale, université d’Orléans, Polen-Cesfima), Le royaume de Bourges et l’épopée de Jeanne d’Arc (p. 203-216) ; Didier Boisson (Professeur d’histoire moderne, université d’Angers, Temos), La mémoire du protestantisme en Val de Loire et en Berry (p. 217-228) ; Gaël Rideau (Professeur d’histoire moderne, université d’Orléans, Polen), Une mémoire bourgeoise orléanaise au XVIIIe siècle. Le Mémorial de Pierre-Étienne Brasseux (p. 229-242) ; Pierre Allorant (Professeur d’histoire du droit, université d’Orléans, Polen-Cepoc), Préfets et maires ligériens et berrichons. Du moment classique au « retour des notables » (p. 243-244) ; Noëlline Castagnez (Professeur d’histoire contemporaine, université d’Orléans, Polen-Cepoc), « Ministre d’un jour ». Le député-maire Pierre Chevallier tué par sa femme ! (p. 255-274) ; David Melo (Maître de conférences en sociologie, université Savoie Mont Blanc, LLSETI), Retour sur la rumeur d’Orléans (p. 275-286) et, enfin, Hélène Bertheleu (Maître de conférences en sociologie, université de Tours, Citeres), L’imaginaire régional à l’épreuve des mémoires de l’immigration ? (p. 287-298).

Lieux et acteurs participent bien entendu aux principaux moments qui ont marqué l’histoire ligérienne et berrichonne, les traces mémorielles les plus marquantes des circulations d’idées, des gens de pouvoir et des mouvements collectifs. Parmi les moments fondateurs de lieux de mémoire régionaux et, en l’occurrence, nationaux, l’épopée de Jeanne d’Arc et le royaume de Bourges occupent une place particulière, en tant que mémoire construite d’un évènement historique marquant et situé territorialement en un cheminement complexe, rendu ici par Françoise Michaud-Fréjaville (Le royaume de Bourges et l’épopée de Jeanne d’Arc).

Didier Boisson (La mémoire du protestantisme en Val de Loire et en Berry) revisite les lieux de la mémoire de la présence protestante en Val de Loire et en Berry, une mémoire qui se dit peu ou pas, à l’exception de la mémoire urbaine forte et symbolique de la place forte de Sancerre.

 Loin de cette mémoire nationale et collective, les écrits du for privé peuvent apporter un éclairage complémentaire à la formation d’une mémoire à la fois familiale, sociale et urbaine. Tel est le cas de Pierre-Étienne Brasseux, marchand et bourgeois orléanais qui écrit à destination de ses enfants un Journal auquel le travail d’édition mené par Gaël Rideau (Une mémoire bourgeoise orléanaise au XVIIIe siècle. Le Mémorial de Pierre-Étienne Brasseux) rend tout son lustre.

Entre la Révolution française et la médiatisation contemporaine du XXe siècle, Pierre Allorant (Préfets et maires ligériens et berrichons. Du moment classique au « retour des notables ») démontre que les préfets et les maires occupent l’essentiel de la fonction de relais, de porte-voix de la parole d’en bas et de traducteurs des normes et discours des pouvoirs, de Bonaparte à Clemenceau, tout particulièrement lors des moments de crise nationale aiguë. Les grandes figures qui incarnent ces deux corps de l’État, l’un nommé et déconcentré, l’autre progressivement élu et décentralisé, sont cependant dépassées dans le second XXe siècle par les exigences de modernisation de l’action publique, de planification et d’aménagement du territoire qui favorisent l’inter-départementalité et l’échelon régional.

Deux faits divers surgissent à Orléans au premier plan de l’actualité et témoignent de traumatismes anciens tout en préfigurant notre société du spectacle politique permanent, de la peopolisation et de l’émotion immédiate de masse : « ministre d’un jour », le député-maire Pierre Chevallier est tué par son épouse bafouée. Noëlline Castagnez (« Ministre d’un jour ». Le député-maire Pierre Chevallier tué par sa femme !) exhume les « ondes de haine et de chagrin » d’une cité johannique qui revit dans ce drame celui de l’assassinat de Jean Zay par la Milice et le deuil collectif retardé de l’enterrement du 15 mai 1948. Ce crime passionnel charrie des éléments médiatiques très modernes et reconfigure la scène politique orléanaise au profit du grand réformateur de l’espace urbain orléanais, Roger Secrétain.

Moins de vingt ans après, la ville est prise par le vent mauvais de la rumeur. David Melo (Retour sur la rumeur d’Orléans) revisite en sociologue l’ouvrage best-seller d’Edgar Morin qui approfondit très peu l’enquête sur une ville classée apriori dans la catégorie immuable des cités balzaciennes endormies, sans réellement en comprendre les transformations démographiques rapides ni les enjeux de pouvoir.

Enfin, Hélène Bertheleu (L’imaginaire régional à l’épreuve des mémoires de l’immigration ?) nous ouvre opportunément l’espace de l’imaginaire régional, dans un espace central naturellement traversé de circulations et de migrations. L’identité régionale n’est pas une donnée immuable à travers les siècles, d’Aignan à Zay. Elle se nourrit et se construit d’apports composites, singulièrement de ces ouvriers étrangers venus travailler à Montargis ou à Vierzon, qui ont nourri des mémoires urbaines stratifiées, recomposées et menacées d’effacement, comme toute trace mémorielle, locale, communautaire ou nationale.

Lieux de mémoire en Centre-Val de Loire : de l’importance du champ historique national et/ou local ?

Méthodologiquement, l’échelle régionale permet de procéder à une coupe à travers les strates mémorielles, et l’approche pluridisciplinaire offre de comparer et de mieux spécifier les processus en œuvre. Ayant déjà consacré, en 2015, un ouvrage à la mémoire des guerres dans ce même ressort géogra­phique, nous avons ici volontairement voulu faire émerger des acteurs moins omnipré­sents ou moins récurrents dans les célébrations et commémorations régio­nales et nationales. La focalisation sur le Centre-Val de Loire révèle, ainsi, des figures, ligériennes ou berrichonnes, souvent méconnues aujourd’hui au-delà du souvenir local, tels Baudri de Bourgueil (Chantal Senséby), Pierre-Étienne Brasseux (Gaël Rideau), Ernest Duvergier de Hauranne (Walter Badier), Pierre Dézarnaulds (Michel Verbeke), Pierre Chevallier (Noëlline Castagnez) ou Henri Duvillard (Philippe Nivet), et des mémoires de communautés minoritaires aux traces soit effacées (le protestantisme ligérien de Didier Boisson), soit trop peu patrimonialisées (mémoires d’immigrés d’Hélène Bertheleu). Cette modification d’échelle s’avère pertinente, car émerge ainsi une mémoire urbaine un peu enfouie, mais portée par des groupes, des acteurs et vecteurs locaux qui connaissent les lieux et les buttes-témoins, les relais et les capteurs de souvenirs (Christine Romero), ou à l’inverse les facteurs de l’oubli, qu’il s’agisse de politiques mémorielles officielles, portées par les acteurs locaux, les notables municipaux, ou déconcentrés, les préfets (Pierre Allorant), ou bien par les associations. D’un autre côté, l’approche trans-périodique facilite la saisie des ruptures et des continuités mémorielles, en particulier pour l’épopée de Jeanne d’Arc et le souvenir construit du prétendu « royaume de Bourges » (Françoise Michaud-Fréjaville). L’approche pluridisciplinaire se révèle, quant à elle, féconde, par la mise en évidence de vecteurs différenciés de mémoire et de croisements mémoriels. Ainsi, les collections ethnographiques du musée de Romorantin mises au jour par l’anthropologue Anne-Friederike Delouis témoignent de moments majeurs. Sa lecture croisée avec la mémoire du corps préfectoral et des maires éclaire les intentionnalités divergentes successives du ministre des Beaux-Arts Jean Zay, de l’action traditionaliste provincialiste de Vichy, enfin de la volonté de démocratisation culturelle et de redécouverte des traditions populaires de la Résistance, prolongée à la Libération. Cette ambition a été reprise par André Malraux et Jack Lang, sous la Cinquième République, comme en témoignent les grandes heures de la Maison de la culture de Bourges (Philippe Goldman). C’est une autre incursion que David Melo fait à travers un best-seller revisité, l’ouvrage d’Edgar Morin entre psychologie collective du temps présent et enquête de terrain, qui est aussi une plongée dans l’histoire de la ville d’Orléans et à sa spectaculaire mutation démographique, économique et universitaire des années 1960.

Plus classique dans ses méthodes mais tout aussi riche dans ses apports, l’histoire de la littérature aborde les lieux associés soit la vie d’un écrivain, comme Saint-Benoît-sur-Loire, ce lieu de création et de refuge de Max Jacob (Aude Bonord) ou Vendôme pour Ronsard (Denis Bjaï), soit aux « scènes de la vie de province », si foisonnants en Val de Loire et en Berry, avec Balzac (Aude Déruelle). Enfin, un lieu peut se trouver associé à la trace mémorielle d’un grand auteur même s’il n’a fait qu’y passer : c’est le cas du château de Bolingbroke à La Source où, Voltaire a tiré la leçon qu’il fallait « cultiver son jardin », deux siècles avant que n’émerge le concept de « métropole-jardin » et l’idée d’une renaissance universitaire de l’école de droit d’Orléans (Geneviève Haroche-Bouzinac), connectée à la capitale, depuis sa gare « cité universitaire Orléans II», par une ligne LGV dont l’horizon s’éloigne telle une ligne imagi­naire (Joël Mirloup). Cependant, l’échelle régionale se décompose en souvenirs de périmètres plus restreints, des provinces, généralités, pays, puis départements révolu­tionnaires et arrondissements consulaires aux mémoires vives religieuses, en dépit d’un large effacement des empreintes (Didier Boisson) et des fiertés bourgeoises urbaines (Gaël Rideau), si souvent dressées sur leurs ergots, avec ou sans enceintes fortifiées (Lucie Gaugain). Le décryptage des « noms de pays » opéré par Christophe Speroni nous guide dans ce chemin dérou­tant où une identité se perd, comme celle du grand Orléanais d’avant le découpage départemental de l’assemblée constituante de 1789, alors que celle de la Touraine se durcit, pendant que le Berry hésite sur la route d’une réunification.

Grâce à cette initiative du laboratoire POLEN de l’université d’Orléans, cet ouvrage s’adresse aussi bien aux enseignants-chercheurs s’intéressant à de nouveaux champs historiques que les érudits locaux et les étudiants en histoire cherchant de nouveaux sujets de Master 1 et 2, voire de thèse.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)