Compte-rendu repris de Histoire des sociétés rurales, p. 226-228, n°48, 2° semestre 2017
Salon de l’agriculture oblige, hommes politiques et médias font un petit tour auprès des agriculteurs et puis s’en vont…
Pour ne pas sombrer dans la nostalgie béate des campagnes d’antan ni oublier les responsabilités des orientations politiques suivies dans le vif recul du nombre d’agriculteurs, un livre militant qui critique la Politique agricole commune et ses évolutions, sans sombrer dans le souverainisme ou le repli national. Un livre utile à ceux qui s’intéressent aux réalités du monde agricole et aux citoyens.

Gérard Choplin a été animateur syndical pendant plusieurs dizaines d’années. Il est recruté, en 1982, par la Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans (CNSTP), une des sensibilités qui donne naissance à la Confédération paysanne en 1987. À ce titre, il suit, à partir du début des années 1980, les premières rencontres entre organisations paysannes contestataires de divers pays d’Europe ainsi que la création de la Coordination paysanne européenne (CPE, née en décembre 1986 dont la CP sera membre). Il en devient animateur à partir de 1988, à Bruxelles, où celle-ci s’installe en 1989. Il le restera jusqu’en 2012, après la transformation de cette coordination en EC-VC (Coordination européenne-Via campesina) créée en 2008.
Celle-ci affirme défendre petits et moyens producteurs et critique les orientations du regroupement international, le COPA (Comité des organisations professionnelles agricoles) dans lequel s’insère la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles(FNSEA). Le point de vue est militant et très favorable, la plupart du temps, aux analyses portées par la CP et le courant international auquel elle adhère mais c’est aussi le livre d’un partisan convaincu de la nécessité d’un rapprochement entre les pays d’Europe.
L’auteur est ce qu’Élise Roullaud appelle un « militant professionnalisé » (Contester l’Europe agricole. La Confédération paysanne à l’épreuve de la PAC, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 2017) qui est resté longtemps en poste et a pu constater les évolutions de la PAC.
L’ouvrage, qui ne suit pas un plan chronologique, présente le parcours personnel de l’auteur, décrit la construction du regroupement international paysan dans lequel il a travaillé et développe une analyse critique des politiques agricoles menées par la CEE puis l’Union européenne.
S’appuyant sur des analyses a posteriori d’Edgard Pisani, l’auteur présente ce qu’il appelle « les erreurs du début de la PAC » (p.59) qui favorise les exploitations les plus prospères, ne prend pas en compte l’alimentation du bétail ni l’accroissement de la productivité. Pour lui, les réformes de celle-ci, à partir des années 1980, dues à la surproduction, au coût de cette politique et aux dégâts environnementaux du productivisme n’ont pas débouché sur une politique européenne favorable aux producteurs et aux consommateurs. L’auteur consacre plusieurs pages (p.87-100) aux tensions entre l’UE et les Etats-Unis, au début des années 1990, liées aux aides (différentes) apportées aux agriculteurs ou à la question des droits de douane sur les produits destinés à l’alimentation animale. Pour lui, les Etats-Unis ont fait pression sur l’Union européenne et celle-ci a modifié la PAC dans un sens plus libéral afin de parvenir à un accord dans le cadre du GATT. Il considère que les « crises agricoles d’aujourd’hui sont directement liées aux règles du commerce international, qui ont formaté une PAC dérégulée, injuste, non durable, qui perpétue l’exportation de produits à bas prix vers les pays tiers » (p. 99). Selon lui, l’accord de Marrakech d’avril 1994 instituant l’Organisation mondiale du commerce est « un vrai basculement » même si le « dumping à l’export et la protection à l’import » des pays riches continue (p. 148)… Depuis lors, les réformes de la PAC ont, selon lui, poursuivi dans une logique qui vise à « produire à bas prix pour exporter à bas prix » (p. 163).
Un des intérêts de l’ouvrage réside dans la perception qu’a l’auteur du décalage lors de l’élaboration des projets de réformes de la PAC entre les premières réflexions portées par la commission européenne et les projets finaux sous l’influence du « lobby agro-industriel », du conseil des ministres de l’Agriculture (p.90) ou des Etats-Unis même s’il se demande si ce n’est pas parfois une tactique pour désarmer les coutants critiques… Ainsi, il rappelle les aspects positifs des premières analyses présentées par Ray Mac Sharry (commissaire européen en 1991), sur ce que l’auteur appelle les dégâts environnementaux du productivisme et sur l’inégale répartition des aides et souligne combien la réforme adoptée s’en est écartée. Le scénario semble se répéter au début des années 2010 avec Dacian Ciolos, commissaire européen à l’Agriculture d’origine roumaine (p. 210 et suivantes)…
Le point de vue est nous l’avons dit hostile aux orientations de la PAC mais favorable à un rapprochement européen qu’il estime nécessaire. Il défend, par ailleurs, la nécessité d’une action des syndicats agricoles à cette échelle et d’un regroupement de ceux-ci (indépendamment de la COPA) auquel il a consacré une grande partie de sa vie professionnelle. Animateur de la CPE puis de la CE-VC, à laquelle participe la Confédération paysanne, il a parfois le sentiment que la CP n’en fait pas assez dans ce domaine. Depuis le début des années 1980, des syndicats paysans européens ont resserré leurs liens. La CPE créée en 1986 installe un siège à Bruxelles afin de défendre ses idées auprès des décideurs européens. Elle regroupe des syndicats agricoles de plusieurs pays d’Europe de l’Ouest, membres ou non de la CEE ou de l’UE, qui tissent aussi des liens avec d’autres forces paysannes dans le monde donnant naissance en 1993 à Via campesina. Cependant, ce regroupement européen ne parvient pas à attirer les associations paysannes qui existent dans certains pays de l’Est de l’Europe et ses forces sont inégales. Cette alliance européenne bénéficie de l’écho que rencontre Via campesina dans le monde et s’appuie dans son opposition à la PAC sur certains des thèmes diffusés par cette « internationale paysanne ». Ainsi l’opposition à l’utilisation des Organismes génétiquement modifiés dans l’agriculture est-elle une revendication de ce mouvement dès la conférence de Tlaxcala (avril 1996) avant même que ce débat soit posé par la CP en France.
De la même manière, l’idée de souveraineté alimentaire est défendue en 1996 par Via campesina. L’auteur montre aussi que dans ses campagnes hostile aux réformes de la PAC, le mouvement européen s’est rendu compte qu’il ne pouvait l’emporter seul et préconise la constitution d’alliances larges dépassant le cadre agricole avec d’autres forces : ONG environnementales, de développement, mouvements sociaux (voir en particulier le chapitre 5 : « Les organisations paysannes seules pèsent trop peu » ou p. 207 et suivantes). Il a aussi mené un travail d’information intense auprès du Parlement européen à partir de 2009 mais sans grand succès dans ce cas affirme-t-il.
La fin de l’ouvrage est consacrée à la présentation des propositions que l’auteur juge indispensables pour « une autre politique agricole et alimentaire dans une Europe refondée ». Pour lui il faut réguler les marchés agricoles, maitriser les productions afin de maintenir des paysans nombreux produisant une alimentation saine tout en préservant l’environnement…
Un livre, écrit par un militant aux convictions affirmées, des plus utiles pour qui s’intéresse aux politiques agricoles européennes.

Jean-Philippe Martin pour les Clionautes (compte-rendu repris de Histoire des sociétés rurales, p. 226-228, n°48, 2° semestre 2017).