Résumer un siècle d’histoire de France en moins de cent pages : c’est à ce redoutable défi que s’attaquent Aurélia Dusserre, maitre de conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille et Arnaud-Dominique Houte, maitre de conférences HDR en histoire contemporaine à Sorbonne-Université. L’ouvrage est structuré en quatre grandes époques et traduit en cartes les grandes évolutions entre 1914 et aujourd’hui. On trouve en annexes une bibliographie qui distingue les instruments de travail, les ouvrages de référence, puis une sitographie et une proposition de quelques lectures pour accompagner l’histoire du XX ème siècle autrement, c’est-à-dire à travers des romans principalement ou des témoignages.

Guerre et sortie de guerre : 1914-1931

Les auteurs plaident pour une indispensable approche multiscalaire, du régional au mondial. Tout y invite et notamment si l’on se rappelle que 1931 est à la fois le moment où la France devient majoritairement urbaine mais représente également le moment où elle s’auto-célèbre en tant que  puissance coloniale. Les auteurs évoquent le poids des combats de la Première Guerre mondiale et insistent sur son aspect total. Les grandes batailles mais aussi le quotidien sont abordés comme lorsqu’ils rappellent que ce n’est qu’en 1917 que se mettent en place des procédures de rationnement. Pour traiter des lendemains, on trouve  une carte sur les cérémonies du 11 novembre 1920 à Paris. Il ne faut pas non plus oublier, en plus des morts, les 4 millions de blessés dus au conflit. La double-page « Cultures modernes » pointe plusieurs changements de l’époque entre coupes à la garçonne, danse et bicyclette. En 1931, un étudiant sur quatre est une femme mais les mœurs restent encore très encadrées. En 1939, il faut mesurer qu’il se vend quotidiennement 12 millions de journaux ! C’est le moment aussi du développement du cinéma et du sport. Les auteurs invitent à se méfier d’expressions comme « seconde guerre de Trente ans » pour qualifier la période 1914-1939 trop déterministe à leur goût. Changeant d’échelle, les auteurs abordent enfin la France impériale avec l’exposition coloniale de 1931 et un bilan de la mise en valeur des colonies marquée par de grandes inégalités.

 

Les années douloureuses 1931-1945

Cette deuxième partie poursuit cette préoccupation d’articuler les différentes échelles ce qui  permet de marquer des nuances. En effet, Aurélia Dusserre et Arnaud-Dominique Houte disent qu’avec 1940 s’ouvre «  un temps de contrastes qu’il faut peindre en teintes de gris et cartographier dans la diversité de ses espaces, des grands horizons de la guerre mondiale …au morcellement local des expériences de guerre. » Mais, avant que ne survienne la crise des années 30, la France est plutôt cette « île heureuse » selon l’expression d’Alfred Sauvy. Ensuite le chômage se développe et les réponses politiques manquent. Un schéma sur la galaxie Croix-de-feu montre qu’il s’agit alors d’un mouvement de masse avec un organe de propagande porteur d’un projet d’encadrement social. La partie consacrée au Front populaire rappelle par un graphique utile la chronologie du réarmement français. Les auteurs rappellent qu’il y eut sous Vichy plus de 16 000 lois et décrets en quatre ans. Ils utilisent notamment  les travaux de Claire Zalc et Nicolas Mariot sur le destin des Juifs de Lens. Une carte précise « Les lieux de mémoire de la Résistance ». Il faut ensuite « liquider la guerre » avec la question de l’épuration. Pour décentrer le regard, une double page est intitulée «  la guerre vue de l’Empire » et montre que les territoires coloniaux furent disputés.

 

Entre conflits et croissance 1945-1968

Dès l’amorce du chapitre, les auteurs reviennent sur le terme de « Trente Glorieuses ». Ils pointent que « le considérable succès de l’expression forgée par l’économiste Jean Fourastié en 1979 doit peut-être davantage à l’air du temps nostalgique qu’à la rigueur historique. » Ils développent un bilan nuancé de la IV ème République, ce qui semble aujourd’hui une idée bien admise, loin de l’image négative réductrice longtemps colportée. Aurélia Dusserre et Arnaud-Dominique Houte resituent ensuite la France dans la guerre froide mettant en parallèle l’activisme communiste et la présence américaine. En 1960, les films français réalisent encore plus de la moitié des entrées. La période de la décolonisation est traitée avec un focus sur la guerre d’Algérie et on a là aussi une carte sur les lieux de mémoire de la guerre d’Algérie mais également un gros plan sur le 17 octobre 1961. On peut souligner la double page sur « Croissance et contestation » avec un document pratique qui propose un focus sur la croissance urbaine de Saint-Rambert à trois époques : 1950, 1972 et 1983. Le texte rend compte des nombreuses nuances apportées sur cette période par les historiens à présent. Parmi les formules, retenons celle qui voit le supermarché comme le lieu de mémoire des Trente Glorieuses. Pour rendre compte des changements dans la société Aurélia Dusserre et Arnaud-Dominique Houte truffent leur texte de références à des chansons d’époque de Sheila à Eddy Mitchell. On peut déplorer parfois le manque de lisibilité de certaines cartes déjà petites et qui croisent deux phénomènes comme celle sur le logement des ménages. La partie se termine par une approche de mai 68 avec une carte sur les manifestations en France assez peu exploitable car les villes n’apparaissent pas.

 

Les ruptures insidieuses de 1968 aux années 2000

Dans cette dernière partie, l’accent est mis sur les transformations économiques. En même temps  on découvre que «  l’Etat ne peut pas tout » pour reprendre la formule de Lionel Jospin premier ministre. Mais cet Etat demeure tout de même actif sur les évolutions culturelles et sociales tout en étant contesté comme en témoigne  une carte avec la France des conflits dans les années 70. Une frise utile met en parallèle les droits des femmes et les réformes de la famille. Pour illustrer les années Mitterrand les auteurs ont choisi une carte des grands travaux dans Paris et une sur la révolte kanake. Puis vient le temps des alternances avec un graphique très cruel sur la confiance dans les hommes politique où après une situation moyenne dans les années 70, les courbes se croisent au détriment de la confiance et ne font plus que s’éloigner. Les évolutions de la société et des mentalités ne sont pas oubliées. A ce propos, il faut s’arrêter sur un graphique sur « Les victimes de la route ». Il propose une évolution comparée de la mortalité et de la circulation routière en métropole entre 1970 et 2012. Cela peut permettre d’historiciser utilement certains débats actuels sur la limitation de vitesse. Il faut tout de même se rappeler qu’en 1972, il y a eu plus de 18 000 tués sur les routes ! Parmi les autres débats qui agitent régulièrement le pays, celui de la sécurité peut-être ici replacé également dans un temps un peu moins médiatique. Les vols font plus que quadrupler entre 1960 et le milieu des années 80 mais les fantasmes sur le sujet sont aussi nombreux. Les auteurs proposent une fois encore  de changer de focale en abordant « Les Français et l’Europe » puis « La France dans le monde ». Certains considéreront comme original, d’autres comme peu signifiant, le fait de proposer une carte sur « Les résidences professionnelles des footballeurs de l’équipe de France » pour illustrer le thème des Français et l’Europe. Comment conclure ? Avec une double page « Une nouvelle société » qui souligne que la France continue de constituer une exception démographique. La question de la place des femmes permet une nouvelle fois pour les auteurs de parler en prenant appui sur Michel Sardou ou Jean-Jacques Goldman.

Cet atlas offre donc comme prévu un panorama très varié des évolutions de la France entre 1914 et aujourd’hui. Les auteurs ont en permanence le souci d’insérer l’histoire du pays dans l’histoire du monde et de multiplier les angles d’approche.

 

( c) Jean-Pierre Costille pour les Clionautes