Dix ans après sa première édition, l’ouvrage d’Hervé Vieillard-Baron, professeur à Paris X, s’affiche comme un incontournable de la question des banlieues. Difficile objet d’étude dont la distinction du centre-ville semble une spécificité française et dont la qualification de territoire à problèmes apparaît généralisée, les banlieues difficiles ne représentant pourtant qu’un cinquième de la population de l’ensemble des banlieues.

DÉFINIR LA BANLIEUE

La première partie s’attache aux définitions, qu’elles soient historiques ou statistiques.

Où commence originellement la banlieue ? Le contresens commun est celui qui assimile la banlieue au lieu des bannis alors qu’à l’époque médiévale, il s’agit d’un territoire soumis aux règles féodales et donc protégé. La banlieue est-elle séparée du centre ? Les définitions juridiques semblent également l’emporter sur la présence de réels remparts.

Dès le début du XXème siècle, les limites communales se montrent inadaptées à la lecture de la croissance de la banlieue : le statisticien Paul Meuriot disait que « c’est la ville qui croît dans la banlieue ». L’INSEE prouve, malgré tout, que la banlieue croît davantage que la ville-centre en regard du zonage en aires urbaines.

La banlieue arrive tard chez les géographes. La densité faisant peur au XIXème siècle, on en est venu à souhaiter l’étalement. Elisée Reclus semble favorable à la ville, Vidal l’avait intégré également. Demangeon voit dans la banlieue la mobilité, Brunhes y voit la ségrégation même si c’est Pierre George qui utilise le terme banlieue en premier. Les années 1960 apportent la diversification, Bastié s’intéresse à la croissance parisienne, Frémont et ses collègues à une approche sociale. Les travaux pluridisciplinaires arrivent ensuite (Burgel et Willard) alors que certains s’impliquent dans la politique de la ville (Estebe, Béhar, Donzelot et Jaillet).

LES PAYSAGES DE BANLIEUE

Dans un second temps, l’auteur passe en revue les processus de formation des paysages de banlieues.

Si les faubourgs se spécialisent dans l’industrie et apportent une certaine marginalité, la pression de l’économie favorise le développement des moyens de communications.

Les lotissements, critiqués, notamment par le Corbusier qui nuancera son propos, prennent le relai. Répondant à l’aspiration pavillonnaire, à une volonté étatique de stabilisation des populations et bénéficiant du développement du chemin de fer, ils façonneront les paysages de banlieues avant les grands ensembles, les cités jardins ayant constitué l’étape, plutôt britannique, intermédiaire.

Le terme « grand ensemble » apparaît en 1935 et c’est Pinchemel qui en donne une première définition pratique en 1959. Le problème clé d’image tient à la confusion entre grands ensembles et HLM. Le problème de fond est surtout qu’il est difficile de sortir de ce zonage résidentiel. Critiqués dès les origines et au long des trois grandes vagues de construction (années 1950, 1960, 1970), les grands ensembles révèlent de vraies carences matérielles qu’il est nécessaire de traiter.

S’ensuit l’expérience des villes nouvelles voulant désengorger Paris, rompre avec le monofonctionnalisme des ZUP et éviter la constitution de banlieues dortoirs. Leur rôle a pu être qualifié de pionnier même si les visées démographiques et les ambitions de mixité sociale n’ont pas été atteintes, la centralité faisant défaut.

Quant au périurbain, il s’est beaucoup développé mais se stabilise entrainant même un retour au centre des déçus de l’éloignement. Steinberg parlait de troisième couronne regroupant un quart de la population française. Mais le télétravail ne s’est pas imposé pour contrecarrer les migrations pendulaires et l’espace y reste fortement divisé, socialement, par types de lotissements.

LES QUARTIERS SENSIBLES

Introduisant la délicate réalité du quartier, la troisième partie évoque les défis auxquelles sont confrontées certains secteurs de banlieue tout en décryptant le discours médiatique.

La lapalissade de Perec est ici bienvenue : « le quartier est la partie de la ville dans laquelle on n’a pas besoin de se rendre puisque précisément on y est ». Vécu, intime, pouvant être haut ou bas, récent ou central, le quartier est un espace où l’on passe un tiers de son temps (avec le travail et le domicile) d’après Ascher. Tout le paradoxe est pourtant dans le fait qu’on sort plus, plus loin mais qu’on perd en sociabilité locale. Le logement semble le vrai point d’ancrage, avec télévision, Internet…La récupération politique du concept de quartier n’est pas une solution mais on constate malgré tout la ghettoïsation de certains quartiers que seules des mesures d’urgence permettent de sortir de l’enclavement total. La concentration d’une catégorie de population dans certains quartiers est pourtant une conséquence mécanique du départ d’autres catégories ailleurs.

En fait, on se trompe en donnant une image spatiale à un problème social et on ne peut généraliser l’idée qu’il y a DES problèmes DES quartiers. Beaucoup de quartiers en difficulté, notamment dans des villes peu importantes sont plutôt dans le centre. Les logiques binaires centre/banlieue nient la classe moyenne. La dimension dynamique est également souvent omise : on est chômeur ou locataire pendant un temps seulement.

La médiatisation rapide du raccourci « problèmes de certains quartiers → malaise des banlieues → fracture sociale » crée parfois la situation de conflit elle-même dont le public est hélas friand (voitures brûlées à Strasbourg). Les problèmes débutent dès l’étape de l’école : on fuit le public si on en a les moyens (en le justifiant par des choix d’option linguistique peu honnêtes) et se poursuivent lors de la recherche d’emploi.

Quant à la question de la violence, l’accolement de l’adjectif « urbain » mérite qu’on s’y arrête : les crimes de sang n’ont cessé de diminuer au cours de l’histoire, ce sont les délits qui ont aujourd’hui augmenté. Le lien avec le sentiment d’insécurité n’est pas toujours établi : les Champs Elysées comptent étonnamment davantage de délits que la plupart des cités de banlieue. La délinquance juvénile augmente cependant, notamment chez les filles. Quelles sont les causes de la violence ? Un refoulement des violences qu’ont subies les générations précédentes ? Des trafics à toutes échelles ? Et comment s’en sortir ? La sortie par la musique ou par la danse ne concernera qu’une poignée d’élus.

Le traitement de la crise passe par la mal nommée « politique de la ville » qui s’est assouplie, travaillant désormais sur la gouvernance et moins sur des politiques sectorielles. On a démolit, beaucoup plus qu’on a reconstruit. Du côté de la mixité, les effets pervers sont légion. Et trop de périmètre tue le périmètre (2500 ont été crées pour la politique de la ville).

COMPARAISONS INTERNATIONALES

Au delà des spécificités françaises, Hervé Vieillard-Baron conclut son livre sur des comparaisons européennes, nord américaines, asiatiques et de pays en développement.

C’est là l’occasion de montrer que les définitions ne sont pas transposables. La « suburb » anglo-saxonne est plus englobante et davantage axée sur les espaces verts. Londres possède des villes nouvelles faisant mieux le lien avec le centre (l’agglomération londonienne décroît mais sa région urbaine se développe). En Allemagne, la forte densité rend caduque l’opposition centre-banlieue (logique de conurbation) et les problèmes semblent le fait de micro-quartiers.

Aux Etats-Unis, 50 % de la population vit dans les banlieues, la vie urbaine s’y est déplacée au point d’effacer le caractère périphérique de ces espaces. Les américains se définissent de toutes façons mieux par du social que du spatial.

Les exemples asiatiques se focalisent sur Séoul, mégapole de la démesure avec une quantité énorme de grands ensembles, le Japon qui rend inutilisable l’idée de ville et Pékin à la croissance chaotique.

Dans les pays émergents, violence, pauvreté, pollution, logements précaires dominent même si on note quelque tendance de régularisation de tout cet informel.

Un manuel…de référence…au sens propre avec glossaire, bibliographie chapitrée et documents complémentaire. Une précieuse invitation à déconstruire le discours sur les banlieues pour mieux le comprendre.