Hélène Guetat-Bernard est géographe, spécialiste des dynamiques de genre, elle interroge les rapports entre développement notamment rural et la place respective des hommes et des femmes dans ces processus: ici la société bamilékée sur les hauts plateaux caféiers de l’Ouest du Cameroun. Le livre propose une analyse des rapports de genre et de leurs conséquences sur la construction des espaces géographiques. Cependant l’ouvrage est plus axé sur la réflexion théorique et épistémologique que sur la présentation « concrète » le la réalité des Bamilékés.

L’ouvrage que propose Hélène Guetat-Bernard est construit en huit chapitres qui présentent à la fois la réflexion théorique qui a conduit le travail de recherche et fruit de cette recherche.

L’introduction présente le cadre du travail: paysanneries d’Afrique noire, rapports de genre, recomposition des systèmes productifs et des rapports territoriaux. Un rapide portait du système caféier des plateaux bamilékés montre les évolutions au cours des 50 dernières années, la naissance d’une petite paysannerie capitaliste prospère, la crise du café arabica depuis 20 ans d’autant plus ressentie qu’elle a été le support d’une identité masculine « moderne » par sa liaison à l’économie de marché. Face à la crise les femmes innovent, optent pour le développement de cultures vivrières ou horticoles avec l’essor d’un d’un vivrier marchand qui vient modifier les rapports au sein de la famille, rapport à l’argent, à la mobilité spatiale des femmes. Le pays Bamiléké est, pour l’auteur, un exemple éclairant de l’évolution de nombreuses paysanneries tropicales.
C’est ensuite le cadre théorique de la recherche qui est posé autour des concepts d’habitabilité à partir de la maison, géographie de l’espace domestique mais aussi d’ « empowerment » et de la délimitation des sphères productives et reproductives, publique/privée et comment cela interroge le développement.

Mobilité spatiale, genre, développement : positionnement problématique

La problématique repose sur 4 facteurs: question du développement, les rapports masculin/féminin, les rapports sociaux du proche et du lointain, du mobile et de l’immobile.
La présentation de la crise de la dette des années 80 rappelle le soutien aux initiatives informelles, la féminisation de la population active en parallèle de la désorganisation des marchés comme celui du café et le désengagement de l’État.
Ce premier chapitre pose la question de la femme dans l’espace public, visible ou non, acceptée ou non, en rupture avec la tradition et l’éducation des filles. La mobilité récente des femmes crée-t-elle un espace, un territoire matériel?
L’auteur montre comment dans les années 60 le développement de la culture du café a créé le statut masculin du planteur et augmenté un travail féminin souvent non reconnu, toujours non valorisé.

A la rencontre des femmes bamilékées

Le récit descriptif du terrain de recherche interroge la subjectivité du chercheur. C’est ici la description minutieuse du terrain d’enquête: situation du plateau bamiléké, structure des chefferies, organisation foncière mais aussi l’évocation de quelques paroles de femmes dans les assemblées urbaines comme villageoises. La présentation de la symbolique des gestes d’autant plus importante qu’elle est une donnée culturelle et que la chercheuse ne comprend les discours que par le truchement de l’interprète. L’auteure montre le pouvoir que donne aux femmes leur capacité à payer, à faire travailler un chauffeur, des hommes, ce qui leur confère un statut particulier et ambigu, une usage de l’espace large: de la concession au marché urbain; réalité qui nécessite une attention minutieuse et un décodage des attitudes et des rituels comme par exemple (p52-53) cette femme au bar ainsi que le marquage social des espaces à l’intérieur de la concession, univers privé et clos: cases des femmes dans cette société polygame, case plus moderne de l’homme. C’est l’occasion d’évoquer les relations traditionnelles dans la famille, la dure vie des femmes alors même que la crise du café valorise leurs parcelles de petites cultures vivrières, favorise leur accès à la monétarisation des échanges, la scolarisation des filles; ces facteurs d’un changement rapide de la société.

L’écoute et l’observation: une géographie construite dans le rapport l’autre

Sur les traces de Bourdieu l’auteur invite à relire les interactions entre terrain et gens rencontrés, représentation (dire, voir, montrer) et traduction. Ce chapitre décrit les choix épistémologiques d’une géographie compréhensive, inscrite dans le champ des sciences sociales. Le matériau recueilli est fait de récits de vie, de récits de pratiques – expression de l’espace vécu et d’une identité à la fois individuelle et collective ou comment l’individu lors de la narration remodèle son espace différemment entre homme et femme.
La description des techniques d’entretien choisies, les lieux, le temps mais aussi le recours au documentaire filmé (Les femmes bamilékées se débrouillent ») constituent un référent des techniques pour une géographie des perceptions d’autant que l’auteure analyse l’interaction sociale entre la personne interrogée et le chercheur conscient des biais d’autant plus importants que cela occasionne quand les codes varient entre les cultures du narrateur et du chercheur.

L’individu géographique: homme et femme dans leurs rapports spatiaux

Après les références théoriques sur la manière de penser la distinction, sur les rapports du corps à l’espace mais aussi du monde des vivants et du monde des morts, le chapitre 4 propose une très intéressante analyse socio-anthropologique, symbolique du paysage.

Ce qui est illustré dans l’univers bamiléké: les fonds de vallée fertiles sont masculins, les parties supérieures et moyennes des versants, moins riches, sont féminines, lieux de l’élevage et des petites cultures. L’auteure montre aussi une distinction dans les outils agricoles: la houe est féminine car dévolue aux cultures vivrières alors que l’homme utilise la machette, symbole de forêt, d’eau et de pouvoir. La concession, le « Mba » s’établit sur la ligne de rupture de pente. Cette distinction spatiale’ explique les difficultés d’un projet de développement de carrés maraîchers, donc féminins, dans les bas-fonds fertiles mais masculins.
Les hiérarchies sociales aussi se lisent dans le paysage: la place des chefs en bas de pente avec un échelonnement jusqu’à l’interfluve, lieu du marché et des cérémonies collectives. On retrouve cette hiérarchie à l’intérieur de la concession : case de l’homme plus bas sur le versant que celles de ses épouses et des enfants non mariés.
Le chapitre fait aussi une place aux associations de femmes, leur rôle social notamment de transmission dans les cérémonies, marqué par le vêtement taillé dans le même tissu pour redire l’appartenance au groupe.

La maison un monde en soi

Un assez long développement théorique , en particulier sur les travaux de Bourdieu sur la maison kabyle, la maison comme lieu d’inversion symbolique qui introduit la réalité camerounaise où les valeurs du haut et du bas décrites pour l’extérieur au chapitre précédent sont inversées dans la case. L’analyse du statut de la femme-mère met en évidence le rôle reproducteur: mise au monde des enfants mais aussi sélection des semences et la délimitation difficile du pouvoir des femmes.

Figure ontologique du monde et basculement de la modernité

Une longue présentation des référents théoriques qui fait une place Augustin Berque et va jusqu’à l’évocation de l’approche féministe des préhistoriens (Claudine Cohen) mais nous entraîne bien loin du Cameroun.

Nouveau rapport des femmes à l’argent et à la mobilité spatiale

Après un rappel des travaux qui précisent la distinction entre productif et reproductif (Thomas Laqueur) et sur l’historicité de l’échange marchand, ce septième chapitre aborde la question: comment les sociétés africaines conjuguent-elles logique de modernité (marchande, urbaine, étatique, scripturaire) et logique d’une tradition (hiérarchique, communautaire, gérontocratique) ?
La présentation de l’accès des femmes à la terre et les différences avec la tradition introduites avec la culture du café puis les effets de la crise montre: la pression foncière accrue, selon les chefferies le maintien ou la disparition du bocage, l’éloignement progressif des champs, les conflits avec les élites urbaines.
Mais c’est peut-être la place de plus en plus grande des femmes dans le revenu pécuniaire des familles (vente de produits maraîchers et crise de café) qui constitue le facteur le plus important de changement des rapports homme-femme.
« Aujourd’hui les femmes payent et montent sur la tête des hommes », cette réflexion montre l’ampleur du phénomène qui dans le même temps ouvre l’espace aux femmes.
Très intéressante analyse pour comprendre les réalités de l’Afrique au XXI ème siècle.

La « domestication » des femmes: retour sur un débat

Avec ce dernier chapitre c’est un retour vers la théorie sur les thèmes de la représentation sociale, les relations intraconjugales, une présentation en particulier les travaux de Claude Meillassoux qui critique la dichotomie production/reproduction.

L’auteure conclut son ouvrage par un plaidoyer pour une approche géographique des rapports de genre, en particulier dans la question des mobilités spatiales.

A la lecture de l’ouvrage on peut s’interroger sur son sujet: réflexion très approfondie sur les référents théoriques qui permettent aujourd’hui une analyse géographique des rapports de genre plus qu’une réelle présentation de l’étude de la réalité camerounaise; un livre où l’Europe est aussi présente que l’Afrique.