Quelle chance ont les Bretons ! Voici que paraît chez PUR un dictionnaire magnifiquement illustré recensant tous lycées de Bretagne (généraux, professionnels, agricoles, maritimes, et hôteliers avec leur restaurant d’application !) et traitant de thématiques générales touchant à la fois les acteurs de ces lycées comme leur mode de fonctionnement. Le maillage du territoire par les établissements d’enseignement secondaire témoigne des efforts réalisés depuis le XIXème siècle (le Finistère : avant-dernier département pour l’alphabétisation) qui ont permis à la Bretagne d’être en 2011 « la première région qui atteigne l’objectif de 80% de bacheliers par classe d’âge, avec 82,4%. »

Ce « Geriadur liseou publick Breizh » est le résultat d’un travail collectif autour de l’historien Alain Croix. « Son processus d’élaboration a associé chercheurs, enseignants ou techniciens, chacun apportant ses connaissances, sa sensibilité et une partie de son histoire à cette somme collective ». Si ce dictionnaire reprend le modèle inauguré par Le dictionnaire des lycées publics de Pays de La Loire, paru en 2009 et dirigé par les mêmes auteurs, il vient combler les immenses vides bibliographiques du sujet. Car, alors que le lycée est une institution où on passe un temps non négligeable de son existence, il n’existe pas d’histoire des lycées et encore moins une histoire régionale. « Nous sommes donc très conscients que le présent ouvrage ne peut que proposer qu’une « histoire en construction », que les recherches futures – monographiques ou non – permettront, nous l’espérons en tout cas, d’enrichir fortement et rapidement. »

Cette vaste entreprise de mutualisation a permis de réserver une entrée du dictionnaire à chaque établissement. Sont ainsi présentés les éléments qui ont le plus marqué l’histoire de ces lieux (exemple : le Lycée Zola de Rennes où s’est tenu le procès en révision d’Alfred Dreyfus). L’architecture des lycées tient une place centrale dans ces notices. Le feuilletage du dictionnaire permet de voir la variété architecturale de ce patrimoine : entre reconversion de bâtiments religieux (Lycée Chaptal de Quimper installé dans un ancien séminaire) et architecture fonctionnaliste à la Le Corbusier (Lycée Le Dantec de Lannion) sans compter les aménagements contemporains laissant place à la lumière (Lycée du Thépot à Quimper et sa monumentale tour de verre) ou qui répondent aux exigences du développement durable (Lycée Saint-Aubin portant le label « Eco-Ecole »). Le patrimoine artistique est un élément constitutif des lycées comme en témoignent les nombreuses photographies du dictionnaire présentant des fresques lycéennes. Le Un pour cent se voit réserver un article. Mis en place dans le cadre de la crise des années 1930, cette aide de l’Etat aux artistes a permis de faire entrer les œuvres d’art dans les établissements d’enseignement : sculptures monumentales, fresques. Toutefois, ces œuvres n’ont pas toujours la place qu’elles devraient avoir. Face aux besoins logistiques des lycées, elles sont souvent oubliées (voir l’exemple des panneaux de céramique réalisés à partir des cartons du graphiste Maurès sont aujourd’hui cachés par une muraille de casiers pour élèves, lycée non identifié). Nombreuses aussi sont les sculptures transformées par les élèves en lieux de rassemblement ou en bancs.

Le lycée René Cassin, dit aussi « Chez René », est un petit nouveau dans la longue liste des lycées bretons. Ouvert en 1988, c’est un lycée périurbain de Rennes qui permet « aux élèves ruraux, (d’éviter) l’internat ou de longs trajets, parfois même l’abandon des études. » Normal, me direz-vous, pour un établissement portant le nom de l’auteur de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui promeut, entre autres, l’égalité des chances ! Car la question des mobilités et plus particulièrement des transports scolaires n’est pas à négliger dans une région de faibles densités de population. C’est à partir des années 1960 que se met en place un ramassage scolaire, pris en charge à 35% par les familles et pour le reste par l’Etat, avant que le conseil général ne prenne le relais. 23,7 km (en moyenne d’après une étude du Groupement d’Intérêt Public Emploi Formation en 2006) séparent le domicile des élèves des lycées technologiques et professionnels : ce chiffre s’explique par la rareté de telle ou telle formation dans la région. La géographie des lycées bretons ne peut se comprendre aussi sans la prise en compte d’une vive concurrence entre lycées publics et privés. En 2010, le pourcentage d’élèves scolarisés dans l’enseignement privé en Bretagne est le plus élevé de France : 42,2% contre 22% en France. Aussi, l’engagement laïque de certains enseignants ou personnels de direction n’est pas feint. L’histoire témoigne, surtout à la fin du XIXème-début du XXème mais aussi tout au long du XXème du souci de faire valoir le respect de la laïcité, sans pour autant que la Bretagne apparaisse comme un bastion religieux à part.

Ce dictionnaire n’est pas seulement une aventure d’historiens même si les auteurs ont fouillé les archives des lycées pour retracer leur histoire. Il témoigne aussi de ce qui fait les lycées d’aujourd’hui. La culture lycéenne a une bonne place avec des entrées telles que amours, café-bar, chahut, dortoir, discipline, portable, FSE, fêtes, photos de classe, manifestations… A noter la reproduction dans l’article Lycéens de la couverture de Paris Match de mai 1973 arborant la photographie d’un groupe mixte de jeunes avec le sous-titre suivant : « Nous sommes les filles du lycée de Brest. Nous sommes vierges et fières de l’être. Nous sommes d’accord avec nos profs. Nous sortons avec des types aux cheveux courts. Nous voulons passer nos examens. » A en croire Paris Match et ces demoiselles de classe de première (qui ont pris l’initiative d’écrire aux journaux nationaux dans le contexte de l’après-68), la révolution de Mai 68 n’a pas eu lieu en Bretagne ! Une place est laissée dans le dictionnaire à l’enseignement des différentes matières : géographie, latin, histoire des arts… Ces articles sont agrémentés de rappels épistémologiques, très synthétiques. Les aspects les plus sombres ne sont pas occultés avec des articles tels que : violence, addictions, …

Toutefois, ce qui l’emporte à la lecture de ce très beau livre, c’est une nostalgie à la manière de « Copains d’avant ». Quand on voit le succès de ce site (13 millions de membres, 2.5 millions de photos de classe), on se dit qu’il y a un lectorat tout trouvé à ce bel ouvrage !

Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes