Spécialisées dans la publication d’œuvres lusophones, les éditions Chandeigne ont acquis depuis 25 ans une solide compétence dans la mise à disposition du public francophone d’œuvres et sources inaccessibles et largement méconnues, et plus particulièrement des récits de voyage. Prendre connaissance de ceux-ci, c’est replonger dans les premiers contacts établis entre européens et les civilisations que les révolutions maritimes avaient rendues accessibles, et auxquels les portugais ont largement contribué, notamment en Asie et particulièrement l’archipel japonais.

Dans cette optique, les éditions Chandeigne offrent ici une réédition d’une de leur première publication : celle du père Luís Fróis, jésuite portugais, qui rédigea en 1585 une description comparative des mœurs japonaises et européennes. Si la démarche historique souffre de l’omniprésence des témoignages et sources jésuites (voir la fiche de lecture de l’ouvrage de Nathalie Kouamé) le récit de Luís Fróis a cela de remarquable que l’énumération presque mécanique des centaines de comparaisons, empruntées à divers domaines, n’épouse pas un discours de supériorité occidentale, comme le laisserait suggérer le titre de l’ouvrage. Bien au contraire Luís Fróis, par son témoignage où se discernent des accents d’exotismes et d’étrangetés par moment, entend penser la civilisation japonaise qu’il côtoie comme un miroir, en empruntant les termes de Claude Levis Strauss qui signe la préface de l’ouvrage, « La symétrie que l’on reconnait entre deux cultures les unit en les opposant ». De la sorte le discours de Fróis, loin de nourrir le mépris que l’on peut ressentir sous la plume de certains de ses contemporains, permet de construire un rapport d’égalité entre la civilisation dans laquelle il prêche et celle dont il est issu.

Au fil des pages Luís Fróis égrène ainsi les comparaisons, en prenant soin de les ranger sous diverses catégories brassant tous les aspects de la vie quotidienne : tout d’abord les hommes et la mode masculine puis les femmes et la mode féminine, mais aussi les enfants et l’éducation avant d’aborder les questions religieuses et les bonzes, seul chapitre où Luís Fróis exprime très logiquement son profond rejet et dégoût des sectes locales et de leurs ministres, avant de continuer sur les goûts culinaires et l’art de la guerre au Japon, la médecine japonaise, l’écriture et la tenue de la maison, la navigation et l’art ou encore les chevaux. C’est ainsi l’étonnement teinté de fascination du père Fróis que l’on sent poindre sous son écriture.

La maison d’édition Chandeigne offre ainsi le plaisir aux lecteurs qui n’ont pas eu la chance de tenir entre leurs mains ce témoignage précieux par le passé de plonger durant quelques instants dans la psyché des premiers européens présents dans l’archipel durant le siècle chrétien et de parcourir une source précieuse pour l’histoire japonaise de la période.