L’entrée au Panthéon de plusieurs résistants et victimes de la Milice vichyssoise, en mai dernier, a été l’occasion pour la télévision de diffuser différentes émissions pour rappeler ce qu’ont été les personnes honorées mais aussi la Résistance.

Deux ans auparavant sortait un film dont le titre, construit sur une injonction en apparence simple, sonne comme un appel à l’action : Faire quelque chose. Il fait écho à la réflexion de Josette Dumeix (1919-2008) qui répondait à la question du réalisateur, lequel cherchait à savoir pourquoi on entre en Résistance : « Mais j’en sais rien !… Il fallait le faire ». Les témoignages sont à l’image de cette phrase : il n’y avait pas à réfléchir, et passer à l’action. Pourtant, Serge Ravanel (1920-2009) ne cache l’inanité d’une telle initiative : « c’était déraisonnable au possible » ; il parle d’ « amateurs », d’ « ignorants », pour évoquer la Résistance des tous premiers temps, dépourvue de matériel et de cadres expérimentés. Mais on comprend que ce qui faisait sa force, au-delà de l’indigence des moyens (euphémisme), c’était bien la volonté d’agir contre quelque chose d’inacceptable : non seulement contre l’occupation du territoire, mais aussi encore l’humiliation de la défaite, sans compter le doute à l’égard des élites et le sentiment de trahison qui l’a accompagné. Refuser est une première étape, celle de la prise de réalité des choses qui dépasse le traumatisme qu’a été le début de l’été 1940. Mais il faut aussi agir. Raymond Lévy indique, pour sa part, qu’il s’agissait aussi d’ « être en conformité avec sa conscience » : « au moins ne pas avoir rien fait […], ce qui est important pour sa propre justification d’existence ».

Le film de Vincent Goubet va au-delà de l’année 1940. Il suit une trame chronologique assez classique, reposant essentiellement sur des entretiens avec des résistants (certains montrent bien qu’ils le sont encore) qui ont, au moment du tournage de 87 à 98 ans. Ces extraits de témoignages sont encadrés par des images d’archives, et aussi des scènes de rencontre avec des lycéens, ce qui fait un lien entre le passé et le présent, mais aussi l’avenir avec le souci de la transmission sur quoi on reviendra.
L’intérêt principal consiste en ce que sont abordés des thèmes propres à l’activité résistante : l’organisation, les actions menées, les moyens, les risques, l’unification, la répression… Mais il évoque également d’autres questions plus sensibles. Avait-on à l’esprit les éventuelles représailles qu’un attentat ou une attaque pouvait engendrer ? Devait-on tuer, et comment le faire ? Comment considérer ceux qui ont parlé sous la torture ? Pouvait-on quitter la Résistance ?, etc. Le réalisateur a retenu des réponses sans fard. Les otages tués en représailles étaient de toute façon condamnés ; ceux qui ont eux-même été torturés ne peuvent absolument pas condamner ceux qui ont plié sous les coups, devant la torture d’enfants, etc. Mais on regrette que le cadre des quatre-vingts minutes du film n’autorise pas un approfondissement des réponses, qui cachent la complexité des situations, des états de conscience des uns et des autres. C’est dommage car le film entend être un outil de transmission. Or, ces questions existentielles sont au cœur de l’action résistante et elles permettent de mettre à distance l’identification à ceux qui refusent de se présenter comme des héros : et moi, qu’aurais-je en pareilles circonstances ?

Vincent Goubet n’oublie pas l’actualité de la Résistance, que ce soient les cérémonies d’hommage aux témoins interrogés qui sont morts pendant la préparation (à partir de 2007) et le tournage du film (Serge Ravanel, Jacqueline Pardon, Josette Dumeix, Raymond Aubrac, Louis Gendillou, Lise London, etc.), ou les rencontres avec les lycéens. Pour Louis Gendillou, notamment, il y a un « devoir de témoigner », au moins en « mémoire des camarades qui sont derrière ». Mais surtout, les survivants montrent que l’esprit de résistance n’est pas mort. Il existe au travers des valeurs, notamment synthétisées dans le programme du CNR, dont il est souligné qu’il est « le premier et le dernier accord réalisé au-delà des sensibilités politiques ». Certains, dont Jean-Louis Crémieux-Brihac, regrettent qu’il ait été trop rapidement oublié, en particulier par ceux qui se réclament aujourd’hui de de Gaulle.
D’autres, comme Jacqueline Pardon, font écho aux motifs d’engagement de Raymond Lévy, qu’on a évoqués plus haut : « j’ai eu l’extrême chance de donner un sens à ma vie ; je vous souhaite […] de trouver quelque chose qui vous dépasse ». Et c’est bien ce que traduit le sous-titre : « avoir vingt ans en 1940 » (au-delà de l’allusion au film de René Vautier). La jeunesse ne doit pas être une excuse pour ne pas s’engager pour une cause, pour ne pas militer, et surtout pas pour penser que rien n’est irréversible. Bien au contraire. Le film assume très clairement son caractère subjectif, en s’appuyant sur l’exemplarité des témoins interrogés. Comme toujours, en pareil cas, il prête le flanc à une critique facile, à savoir qu’il fait de ces résistants des icônes, des êtres aux qualités extraordinaires, hors du commun, qui ne sont pas données à tous. Ce serait oublier les premiers témoignages, qui montrent l’inconscience avec laquelle certains se sont jetés dans le combat, car il fallait être inconscient pour le faire, seul parfois, sans matériel le plus souvent, même si « la première arme du résistant est la craie ». En cela, des adolescents peuvent très bien se retrouver dans ces octogénaires qui eurent vingt ans (ou peu s’en faut) en 1940, d’autant que certains avaient précisément leur âge ou étaient lycéens (ceux qui ont défié la présence allemande en manifestant le 11 novembre 1940 à Paris, par exemple).
Mais c’est aussi un film d’espoir face à l’indignation, face au sentiment d’être englué au sein d’un système omnipotent, que le titre du livre de Gavi, Sartre et Vic résume parfaitement : « On a raison de se révolter » (Gallimard, 1974). Il aurait cependant gagné à montrer que résister n’est pas une exclusivité française, et que les attentes, les motivations, les difficultés des groupes qui se sont constitués partout dans l’Europe occupée étaient le lot commun, groupes auxquels Robert Desnos rend hommage dans « Le Veilleur du Pont-au-Change » :
« Je vous écoute et vous entends. Norvégiens, Danois, Hollandais,
Belges, Tchèques, Polonais, Grecs, Luxembourgeois, Albanais et Yougo-Slaves, camarades de lutte.
J’entends vos voix et je vous appelle,
Je vous appelle dans ma langue connue de tous
Une langue qui n’a qu’un mot :
Liberté ! »

On trouvera, dans la boîte du DVD, un petit livret conçu par Vincent Goubet et notre collègue Yves Blondeau (2014), qui, tout en étant inégal, aidera beaucoup ceux qui veulent aller un peu plus loin. Outre un choix iconographique intéressant (avec indication des sources), provenant des fonds du Musée national de la Résistance de Champigny-sur-Marne, judicieusement placé en regard des personnes et thèmes abordés, un lexique permet d’entrer par rubriques dans ce qui a été la Résistance : les réseaux, les mouvements, les débarquements, les maquis. Il s’agit bien d’un lexique et non d’un dictionnaire, d’où la brièveté des définitions dont il serait bien indélicat de souligner la simplicité, d’autant que des ouvrages spécialisés existent pour approfondir ses connaissancesPar exemple : François Marcot (dir.), Bruno Leroux et Christine Levisse-Touzé, Dictionnaire historique de la Résistance, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », avril 2006, 1248 pages, 32 €.. Cette première information a aussi pour intérêt de faire le lien avec les témoins du film, dont on comprend alors mieux l’activité, d’autant que leur fiche biographique est précisée ensuite (avec quelques éclairages particuliers : sur le groupe Manouchian, les maquis du Vercors). En revanche, on regrette le désordre qui règne dans le lexique : la ligne de démarcation surgit au sein des mouvements et dans « Le Conseil national de la Résistance » apparaissent les camps de concentration et d’extermination. Ces deux expressions amènent à s’interroger sur ce qu’a été la répression, allemande et vichyssoise ; or, il n’en est strictement rien dit. L’Organisation spéciale est abordée, mais pas les liquidations qu’elle mène (ou, plus précisément, le détachement Valmy) au sein des FTP (sur ce point, voir Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, « Liquider les traîtres, la face cachée du PCF », éd. Robert Laffont, 2007). Compte rendu dans la Cliothèque : Liquider les traitres: la face cachée du PCF (répétition de ce que l’on a vu faire, pendant la guerre d’Espagne, dans les rangs républicains, où les agents staliniens traquaient anarchistes et membres du POUM, avérés ou non).

Le DVD comporte également un film réalisé en 1995 par René Vautier, à la demande du Musée national de la Résistance de Champigny-sur-Marne : Et le mot frère, et le mot camarade (47′), vers extrait de « Gabriel Péri » (Paul Éluard, Au Rendez-vous allemand, éd. de Minuit, 1945). Dans le livret d’accompagnement, le réalisateur précise le lien entre son action de résistant et la poésie clandestine : il avait chargé de la diffuser dans certains maquis bretons.
René Vautier suit, là encore, la chronologie de la guerre, dont les événements sont soulignés par un banc titre tandis que l’auteur s’exprime sur les poètes : on se prend tantôt à écouter, tantôt à lire, le tout en tâchant de regarder les images qui défilent… sans pouvoir faire tout cela simultanément. Les choses s’apaisent lors de la lecture d’extraits de poèmes ; mais on regrette bien que leurs titres n’apparaissent pas à ce moment-là : on se contentera, en fin de film, de la liste laconique des auteurs par ordre d’apparition. On retrouve l’une des marques du cinéma de René Vautier, très spontané.
Il n’empêche qu’on ne peut que louer le choix des poésies, excellemment lues par Jean-Pierre Mignot et Mireille Abadie, sans emphase, soulignées avec discrétion par la musique de Marc Perrone : Aragon, Desnos, Éluard, bien sûr, mais aussi Vercors, Madeleine Riffault (qui témoigne dans « Faire quelque chose »), Pierre Emmanuel, Lucien Scheler et d’autres encore. Le propos de René Vautier (car c’est à cela qu’il faudra prêter son attention) éclaire bien le rôle de la poésie clandestine, dont Jean-Pierre Rosnay soulignait dans le premier film qu’elle est une forme de résistance face au désarroi, à la misère morale : loin d’être superflue, elle s’insère parfaitement dans les actions. L’esprit ne peut être capturé, torturé, et ne peut mourir, comme Robert Desnos (membre du réseau de renseignement Agir), arrêté en 1944, continuera de l’écrire au camp de Terezin (Theresienstadt) en hommage à ses camarades de combat, « Rien que le temps de n’être plus, Rien que le temps de n’être tout, Dans la mémoire que j’enseigne […], Tous à l’image de l’homme, Et tous nous rendant la vie possible ».
Sur le même thème, il est à signaler un excellent dossier en ligne du réseau Canopé intitulé « Poètes en Résistance » (sans date, mais les références bibliographiques les plus récentes remontent à 2010)

© Frédéric Stévenot, pour les Clionautes