Auteur d’une thèse remarquée sur les images des rois de France pendant les guerres d’Italie, Didier Le Fur est l’un des historiens spécialistes des XVe et XVIe siècles français, sur lesquels il a publié Marignan 1515. Des biographies remarquées – Louis XII, Charles VIII, Henri II –, son travail en 2015 sur François Ier, aboutissement de quinze années de réflexion, a été unanimement acclamé par la critique. Son livre, Diane de Poitiers, a reçu le Grand Prix de la biographie politique en 2017. Son ouvrage Une autre histoire de la Renaissance montre une vision différente de cette période où on cherche à retrouver une splendeur passée, un âge d’or révolu.

Chez les jeunes générations, la magie acoustique de 1515 ne fait plus recette. Marignan n’est plus dans les automatismes. Par contre, l’association François Ier, Chambord ou les châteaux de la Loire est plus fréquente. On serait donc sorti d’un poncif construit par le roman national du XIXe siècle, le roi chevalier vainqueur pour une autre légende largement véhiculée dans les médias, qui est celle du prince mécène, introducteur des arts de la Renaissance en France. Depuis 30 ans, une cinquantaine de livres parlent de François Ier et le genre biographique a aidé à la mythification du personnage. Cet homme devient cultivé, galant avec les femmes, amoureux des arts et défenseur de la langue française.

La renommée de François Ier,  le prince initiateur des Arts, vainqueur de Marignan est bien reprise par les programmes 2016 du collège dans le thème 3, Transformations de l’Europe et ouverture sur le monde (XVIe-XVIIe), chapitre 3 : Du prince de la Renaissance au roi absolu.

Didier Le Fur revisite 32 ans de règne par un travail colossal basé sur de multiples archives afin de « décrasser » le roi, son règne et ses proches des fables acides ou doucereuses, des légendes noires ou des légendes dorées. François Ier agit en roi de son temps, entre ses tantôt alliés tantôt ennemis, que sont Henri VIII, Charles d’Autriche ou d’Espagne devenu l’empereur Charles Quint en 1519, la papauté et ceux qu’il faut craindre par-dessus tout, les infidèles dominés par la figure du prestigieux sultan Soliman le magnifique.

Ce n’est plus une somme mais le produit d’un travail gigantesque, l’aboutissement des recherches menées sur les guerres d’Italie depuis la thèse soutenue en 1994. Cet ouvrage fleuve, réédité en 2018 dans une version augmentée de 1216 pages, se divise en deux livres. Le premier livre s’attache à décrire et analyser les actes du premier Valois – Angoulême en six parties et 46 chapitres. Le second volet historiographique, plus personnel et novateur, montre comment l’image de François Ier s’est forgée au cours du temps par les historiens et les publicistes royaux sous les Valois, déjà de son vivant. Puis sont analysées les oscillations de sa notoriété au temps des Bourbons, sous Henri IV, la Restauration et sous les Républiques.

Que devons-nous retenir de François Ier d’après Didier Le Fur ?

Il faut reconsidérer ce qu’on appelle la Renaissance en France. L’âge d’or décrit en opposition à un Moyen-Age obscur n’a pas été cette réalité. Si la France est riche de ses 17 millions d’habitants et devient sous Louis XII (1498-1515) la première puissance d’Europe, les temps sont difficiles pour les Français qui souffrent des guerres, entraînant des épidémies et des famines. S’instaure une escalade de violence entre François Ier et Charles Quint et une concurrence entre les deux pour le rétablissement de l’Empire universel chrétien issu de Charlemagne afin d’accueillir le retour du Christ sur Terre. Si le Moyen-Age est terminé comme période chronologique imposée par les historiens du XIXe siècle, l’esprit médiéval demeure puisque l’idée d’une croisade est encore attisée par le pape. Un projet de monarchie universelle jalonne la littérature de l’époque et on accepte de payer, de mourir pour son salut. L’Église catholique qui se réforme organise avec l’État des processions pour atteindre cet idéal.

Le mythe du roi chevalier permet de justifier les conquêtes d’Italie où ses prédécesseurs s’étaient déjà investis. François Ier s’est engagé physiquement dans la conquête du Milanais en gagnant la bataille de Marignan qui est en fait une semi victoire obtenue grâce à l’aide des Vénitiens. Ensuite, les guerres sont moins heureuses et le roi est même fait prisonnier après Pavie en 1525. Les publicistes cherchent à enjoliver l’image du souverain. Marignan est « réinventée ». Le capitaine Bayard devient le chevalier Bayard. Ce dernier aurait adoubé le roi sur le champ de bataille en 1515 lui insufflant une deuxième fois les valeurs chevaleresques (le premier adoubement étant fait lors du sacre) Le premier Valois-Angoulême connait donc des défaites à cause de ses obligations chevaleresques. Bayard devient un héros idéal, modèle pour la noblesse, capable de repousser les ennemis et défenseur du territoire français. En somme, l’image du roi chevalier, malgré les erreurs militaires et les défaites du règne, augmente son prestige, comme le montre les nombreux portraits où il apparait en armure à côté de Bayard.

François Ier apparait également comme un prince galant, dominant une cour dispendieuse et dépendant des femmes. Pourtant de sa vie privée rien ne ressort dans les sources. La propagande royale ne parle pas d’un roi fidèle et loyal à son épouse. Grand voyageur, François Ier parcourt entièrement son royaume, visite ses provinces. Il s’arrête de châteaux en châteaux dans le val de Loire ou le val de Seine. Un convoi composé d’hommes de sa maison, de gardes, de gentilshommes, se déplace avec lui, un défilé de 10 000 personnes se rassemble sur les chemins et forme la cour royale. Mais beaucoup n’approchent pas le souverain et restent cantonnés dans un lieu proche du séjour royal. Le faste et les plaisirs organisés par un roi porté sur le sexe et avide de femmes (on ne lui connaît que deux maîtresses officielles) sont imaginés au cours de l’histoire par des écrivains du XVIIe siècle, largement relayés ensuite par le théâtre de Victor Hugo Le roi s’amuse et par le cinéma à ses débuts dès Georges Méliès. Didier Le Fur en historien modeste, montre le peu de documents que l’on possède sur Diane de Poitiers (1500-1566). Attachée au service des épouses du roi, la dame d’honneur devient la maîtresse du dauphin Henri, roi en 1547. Pourtant, il est inventé une histoire d’amour entre François Ier et Diane de Poitiers qui serait passée du lit du père au lit du fils. Elle aurait même transmis une maladie vénérienne au roi, causant sa perte. Ce prince amoureux serait mort de ses péchés, alors qu’il quitte le monde, épuisé atteint d’un problème rénal récurrent doublé d’une septicémie.

François Ier  aurait été le père des lettres et l’inventeur du collège royal. Pendant ses funérailles, on le désigne comme « le père du pays et le restaurateur des lettres ». Cette titulature distille l’idée que François Ier a joué un rôle essentiel dans le développement de la Renaissance en France, un temps mémorable dans l’histoire du roman national, largement diffusé au XIXe siècle. Le souverain serait aussi le protecteur de la langue française et un mécène entouré d’artistes. Tout est partie de l’idée d’établir dans le royaume un collège où seraient enseignées les langues des peuples liés à la religion chrétienne, l’hébreu, le grec et le latin. Des initiatives de collège ont eu du succès en Italie et en Espagne. Dès 1515, des intellectuels comme Guillaume Budé espèrent la réunion d’un collège d’élites venues de toute l’Europe pour diffuser le savoir en France qui deviendrait la lumière de l’Occident. Érasme de Rotterdam  refuse d’y participer par fidélité à Charles d’Autriche, le futur Charles Quint qui le pensionne déjà. Le projet a bien du mal à voir le jour malgré la persévérance de Pierre Du Chastel, helléniste et collaborateur d’Érasme. Le roi décide de faire bâtir un édifice face au Louvre, à la place de l’hôtel de Nesle destiné à recevoir 600 élèves mais ce n’est qu’une institution traditionnelle encadrée par des professeurs et le clergé affectés à leur instruction.

La titulature de protecteur des lettres attribuée au roi vient des intellectuels eux même qui cherchent la protection de celui qu’ils veulent séduire. Ainsi fit Castiglione dans Le courtisan, aidé par Charles Quint. Le titre séduit François Ier qui se l’attribue mais l’éloge fait à ses funérailles confirment « sa culture universelle acquise dès son plus jeune âge ». Du monarque protecteur des arts, on passe au roi savant intéressé par toutes les sciences, à la mémoire exceptionnelle. L’envers de ce décor établi pour plaire au prince, montre un roi piètre lecteur et un élève peu doué pour l’écriture. Tous les éloges sur le père se poursuivent sous Henri II présenté comme le miroir de son père.

Enfin, François Ier est considéré comme le protecteur de la langue française et des artistes. Une grande ordonnance de justice validée à Villers-Cotterêts le 12 novembre 1538, résume en 192 articles les lois élaborées sous Charles VIII, Louis XII et François Ier dans la langue du roi, le Français pour des soucis de compréhension dans les procès. L’ordonnance redéfinit d’anciennes coutumes leur donnant un caractère légal comme l’obligation de tenir les registres de baptêmes pour les curés, ce qui s’est généralisé dans tout le royaume vers 1500. Elle témoigne d’une justice répressive et punitive engagée pour le maintien de la paix civile. Or cette ordonnance ne doit sa célébrité qu’à son article 111 : « en langage maternel françois et non aultrement », une décision de faire disparaitre le latin des tribunaux, ce qui n’est pas nouveau. Cet article introduit surtout l’idée que la justice doit se faire dans la langue parlée dans la région. Rien n’induit la disparition des langues régionales. A partir de Charles IX, tout devait être bon pour enrichir la langue française et l’article 111 devient la première étape pour imposer le Français à tout le royaume, une mesure reprise par les juristes de la fin du XVI et du XVIIe siècle.  Plus tard, dans une vision progressiste de l’histoire, l’unification du royaume par une langue unique est vue comme un signe de puissance et de modernité.

Comme tout souverain, François Ier est un bâtisseur et un collectionneur. Ses collections sont privées mais elles sont transmises aux héritiers. Le roi a acheté des œuvres au cours de ses voyages. Il a envoyé des artistes copier des antiques ou des chefs-d’œuvre comme la Pietà de Michel-Ange. Certains peintres sont venus proposer au roi leur production et surtout les puissants lui ont fait des cadeaux. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, cette collection n’est jamais évoquée. Puis des peintres comme Ingres se mettent à représenter des événements pittoresques de la vie du roi comme la mort de Léonard de Vinci dans les bras du monarque ou le camp du drap d’or. François Ier devient alors très présent dans les décorations des musées, à Fontainebleau puis au Louvre sous Charles X. Toutes ces représentations du roi seront ensuite reproduites pour illustrer les livres d’histoire et les manuels scolaires devenant des preuves de la prétendue passion royale pour les artistes. La légende d’un monarque averti de la valeur artistique des peintres de son temps s’est faite alors par les images plus que par les textes.

Ce livre foisonnant nous fait toucher du doigt ce qu’est l’érudition et la recherche en histoire. A l’heure où le plagiat et la recopie d’internet est fréquente, Didier Le Fur donne ici une leçon d’humilité à ceux qui ne sont que des passeurs d’histoire et qui se donnent le titre d’historien.