Frank Tétart est docteur en géopolitique, diplômé en relations internationales, ancien co-auteur de l’émission « Le Dessous des cartes » (1994-2008) et rédacteur en chef de la revue Moyen-Orient (2009 à 2011), il est notamment l’auteur de l’Atlas des religions (Autrement, 2015) et d’un livre paru chez Armand Colin, « La péninsule arabique ».

Il a également dirigé la récente 5e édition 2018 du Grand Atlas Autrement, dont on trouvera un compte-rendu ici : https://clio-cr.clionautes.org/grand-atlas-2018.html.

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Cette édition 2018 est présentée comme « Un outil indispensable pour comprendre la France : Plus de 150 cartes inédites et mises à jour. Un tour d’horizon complet des grands enjeux du pays. Une synthèse actualisée et l’analyse des plus grands spécialistes. Un dossier spécial sur la place des immigrés et des réfugiés : quelle politique, pour quelle société ? ».

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L’Atlas est organisé en cinq grandes parties :

  1. La France en 2018, un état des lieux.
  2. Les grands enjeux économiques et sociaux.
  3. L’enjeu du développement durable.
  4. La France, l’Europe et le monde.
  5. Une France plurielle.

L’Atlas est ouvert par une rapide introduction (où Frank Tétart cite Braudel : « La France se nomme diversité », mais au-delà de cette diversité, la France paraît aujourd’hui davantage plurielle, voire fracturée) et complété par des annexes (bibliographie, sources et crédits, et un petit catalogue carto-statistique des 18 régions françaises, qui a le mérite d’être commode et homogène, à défaut d’être original ou foisonnant).

PARTIE I. La France en 2018, un état des lieux

Cette partie inaugurale est bien un état des lieux : démographie, société, politique, actualité. Dans le détail, la carte 11 de la répartition de la population par régions n’avait déjà pas grand intérêt quand elles étaient 22 ; à 13, cela devient risible. Et la structure par âge de la population aurait pu éclairer les analyses rapides proposées.

La collection de cartes 13 est à signaler, qui présente l’évolution de la population de 1936 à 2010. Très intéressante pour comprendre l’évolution des territoires, elle aurait néanmoins pu être complétée par une carte 2010-2016…

La double page consacrée aux religions est inégale : la déchristianisation semble bien avancée, mais on distingue encore dans la collection de cartes les nuances régionales héritées de l’Histoire. En revanche, le nombre de musulmans semble sous-évalué (4 M, on parle plus souvent de 6 à 7 M).

La double page consacrée à la réforme territoriale est écrite à l’acide (et non sous acide !). Les critiques pleuvent – très souvent à juste titre. Le dossier ébauche une réflexion sur les caractères historiques, géographiques et politiques de cette réforme… ratée à plus d’un titre.

On passera plus vite sur les pages 20-21, déjà parues dans le Grand Atlas 2018… Dans ce type de collection, le recyclage compilatoire atteint à un art ! Art toujours avec la carte 22, où vous pourrez tester votre capacité visuelle à distinguer les nuances de l’orange… ou jouer avec le graphique 23, qui contient une belle erreur que vous verrez certainement par vous-même. Le format de la double page atteint ici ses limites, avec le problème de la (réelle ou supposée) dépolitisation des jeunes, dont les arguments sont ici de nature presque incantatoire, faute de place pour expliquer et développer.

La page consacrée au terrorisme n’apporte pas grand-chose sur le plan cartographique, avec un cas typique de carte à lire. Pourquoi dire où c’est si la localisation n’explique rien ? Les journaux sont remplis de ces cartes qu’un auteur aussi sérieux que Frank Tétart aurait pu légitimement nous épargner. Rien qu’avec les informations présentes, on aurait pu penser à une collection de cartes pour évaluer la montée en puissance du terrorisme, ou proposer des analyses de mutations stratégiques des terroristes à travers les glissements de l’hypercentre vers l’est parisien. Rien de tout cela, malheureusement.

Un mot, une fois pour toutes, des doubles pages de fin de partie, qui apportent peu : une grande photo, découpée entre les pages, un petit texte souvent factuel.

PARTIE II. Les grands enjeux économiques et sociaux

La partie consacrée à l’économie commence mal, avec un PIB français qui aurait dévissé de 6% au plus fort de la crise de 2008-2009 (les chiffres que j’ai vérifiés donnent -3,1% pour la même période). Il y a certainement une explication, mais cela jette le doute sur les données, ce qui est dommageable.

Les pages suivantes brossent un portrait parfois pointilliste de l’économie française : une belle carte façon manuel de 3e sur l’agriculture, une autre façon technocrate des pôles de compétitivité, une bonne page sur l’industrie du luxe, une analyse des IDE en France plutôt décevante, une carte des emplois touristiques en 13 régions… La page 42-43 est originale, consacrée à l’évaluation de l’insertion par l’école, mais on en retire plutôt l’impression que ces analyses – fort justes intrinsèquement – ne connaissent pas grand-chose du système éducatif français et des variables qui servent à construire les dites analyses.

De bonnes pages sur la pauvreté, l’accès à la santé (avec une passionnante comparaison entre carte euclidienne et par anamorphose), l’accès des jeunes au marché du travail, le vieillissement (où l’on voit que nombre de régions déjà vieilles ne vieillissent plus).

 

Partie III. L’enjeu du développement durable

Où l’on apprend qu’en France le risque nucléaire est « croissant » sans bien qu’on indique les raisons de cette « croissance ». Cette partie est toutefois bien documentée, avec certes des documents parfois anciens (tel le graphique qui rapporte la consommation d’énergie à la densité urbaine, qui a au moins 20 ans) mais toujours actuels et utiles.

Comme souvent en matière de développement durable, la question nucléaire est abordée sous un angle systématiquement négatif, ce qui discrédite des analyses par ailleurs souvent intéressantes mais peu équilibrées, le texte introductif de Frank Tétart ne suffisant pas toujours à nuancer un propos engagé. D’autant que les énergies renouvelables souffrent toujours des mêmes problèmes non résolus : limite d’équipement (hydroélectricité), intermittence (éolien), dépendance économique (solaire), rentabilité incertaine (hydrolien et autres technologies d’avenir encore à l’état expérimental). Le retard français est toutefois bien pointé du doigt. Bref, en la matière, le lobby nucléaire et le lobby anti-nucléaire sont toujours bien en évidence, l’un dénonçant l’autre sans nuance. Reste le pauvre professeur, qui tente de se faire, à l’ère de la post-vérité, une idée à peu près claire d’un problème essentiel.

PARTIE IV. La France, l’Europe et le monde

De très bons dossiers, plus ou moins heureusement illustrés, sur l’outre-mer, la francophonie, la Françafrique (toujours vivante dans les manuels, de moins en moins dans la réalité). On notera un bon développement sur la Nouvelle-Calédonie, dont on sait l’actualité brûlante en 2018. En revanche, on se demandera avec perplexité ce qui explique (page 83) que les pays fondateurs de la construction européenne soient datés de… 1952.La même carte manque également de mise à jour, la totalité des pays des Balkans (sauf le Kosovo) étant devenus des candidats reconnus et non plus seulement potentiels à l’entrée dans l’UE. Les pages 84-87 font un point classique de la question migratoire et des frontières extérieures de l’Union. La partie se termine sur des pages fort utiles sur la PAC et la complémentarité économique entre pays membres, qu’on aurait simplement aimé plus étoffées.

 

Partie V. Une France plurielle

Encore un thème classique, traité classiquement, mais qui a le mérite de déconstruire le mythe d’une France creuset de migrations. Une partie bien illustrée et sérieusement documentée, certes avec quelques partis pris, mais qui n’en a pas sur des questions aussi brûlantes ? On aurait pu mieux démontrer les apports économiques des migrations. Ou éviter d’intégrer les joueurs « d’origine étrangère » à ceux « d’origine ultramarine » dans la même catégorie graphique (il faut savoir : ils sont étrangers OU ultramarins ?).

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On retrouve ainsi dans cet Atlas les mêmes qualités et les mêmes défauts que ceux de son grand frère sur le Monde. Nous n’y reviendrons donc pas.

Insistons plutôt sur son intérêt pour nos collègues. On trouvera dans cet ouvrage des connaissances relativement à jour, plutôt correctement illustrées sur notre pays. Il ne fait pas de doute que le Grand Atlas de la France 2018 sera utile aux professeurs de 3e ou de 1re.

 

Christophe CLAVEL

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