Pierre Bauduin, professeur d’Histoire médiévale à l’université de Caen-Normandie a longtemps croisé les Vikings dans ses sujets d’étude avant d’approfondir les recherches sur ce ou plutôt ces peuples. En effet, les Vikings forment plutôt des groupes variés aux origines migratoires elles-mêmes diverses. Le terme lui-même est discuté, il viendrait de wik, anse, baie, l’homme de la baie ; ou bien du latin vicus, liée à l’agglomération marchande ; de la région de Vik (Viken) où se trouve le fjord d’Oslo ; voire d’une technique de navigation, le verbe víkja. Ainsi l’auteur préfère employer l’expression de peuple viking avec un v minuscule. Il nous livre ici un ouvrage dense, particulièrement riche, appuyé sur une bibliographie imposante. L’Histoire des vikings y est passée au crible, délaissant les aspects mythologiques mais se nourrissant de quantité d’exemples permettant de rendre accessible un propos parfois complexe. Un vrai ouvrage d’érudition que ces quelques lignes ne sauraient rendre compte, en espérant ne pas dénaturer le propos.

 

L’historiographie du peuple viking

Ainsi le nom Bluetooth est né d’un roman de Frans Gunnar Bengtsson, Orm le Rouge et son logo réunit deux runes censées représentées les initiales de Harald Blåtand. Le cinéma et la télévision ont multiplié leurs histoires, parfois de façon stéréotypée. La série Vikings de Michael Hirst en est un exemple récent. Au XIXe siècle le concours de l’université de Copenhague s’interroge sur la pertinence de remplacer la mythologie gréco-romaine par la mythologie scandinave. Puis viennent les temps des guerres, notamment la seconde et ses idées nazies qui font la part belle aux vikings comme racines guerrières germaniques. Les historiens ont des supports d’études variés pour faire l’Histoire des Vikings de nos jours : sources écrites, chroniques, annales, écrits par des auteurs extérieurs au peuple viking et témoins de leurs invasions et implantations, donc partiaux. Du côté oriental, savants et géographes arabes ou byzantins abordent la Scandinavie, les contacts commerciaux. Les autres sources sont l’archéologie dont des découvertes récentes, les inscriptions runiques et poèmes scaldiques. Ces inscriptions sont principalement des stèles commémoratives renseignant sur les liens sociaux et familiaux. Quant aux scaldes, ce sont des poètes qui entrent au service de familles puissantes et en dressent les aventures à travers des codes stylistes rigoureux. A partir de la christianisation les sources écrites se multiplient, certaines rattachent les dieux vikings à des rois anciens qui auraient été divinisés faute de connaître les récits bibliques. La linguistique est aussi une aide. Ainsi, les noms de lieux peuvent indiquer une évolution du peuplement par les vikings. Autre source, les découvertes de métaux grâce à des détecteurs, process autorisé en Grande-Bretagne et au Danemark. Toujours dans cette partie, l’auteur nous dresse ensuite un rapide mais complet tour chronologique des invasions que l’on peut situer entre le VIIIe et le XIe siècle. Ainsi, les premières attaques se portent vers 787 (Portland), 793 (Lindisfarne), avant de toucher l’Aquitaine (attaques de pirates mentionnées en 799). En 800 Charlemagne inspecte les côtes nord de l’Empire et ordonne la construction de flottilles. A partir de 830 les incursions s’intensifient : plus d’une soixantaine contre Nantes en 843, 120 dans la vallée de la Seine en 845. Les vikings vont alors en Espagne, Afrique du nord et explorent la Méditerranée. Vers 859-862, Hasting et Björn Côte de Fer passent pour être les premiers à avoir franchi Gibraltar. En 856 les navires de Sidroc remontent la Seine bientôt rejoints par ceux de Björn pour attaquer Paris fin décembre. Le viking Weland, en 860 propose, après avoir lui-même commis des ravages, de vendre au roi ses services pour chasser les vikings de la Seine. D’autres arrivent cependant et incendient Paris en 861. Weland, devenu plus cher, assiège cependant les groupes dans leur repaire et les expulse moyennant rançon pour avoir la vie sauve. Il se convertit mais meurt dans une rixe. Pour multiplier les raids les Scandinaves décident d’hiverner, en Irlande dès 830, en Aquitaine à partir de 843, en Angleterre en 850-851. Ils choisissent aussi de se munir de chevaux sur place pour étendre le champ de leurs actions. Leurs motivations : richesses, otages vendus comme esclaves ou échangés contre argent. Puis, peu à peu, ce sont les terres qu’ils convoitent. C’est la naissance du Danelaw en Angleterre, installation d’une grande armée viking suite aux défaites anglaises. En novembre 865, Eudes, comte de Paris et fils de Robert le Fort (tué en 866 par les vikings), défend Paris assiégée. Le roi Charles le Gros vient en renfort en octobre 886 mais c’est pour acheter leur départ en les autorisant à hiverner en Bourgogne. Affaibli, il est chassé du trône au profit de son neveu, fils illégitime de Carloman, Arnulf de Carinthie, mais c’est la fin de l’Empire carolingien et l’avènement des Robertiens en la personne de Eudes. Si les Vikings sont installés dès 900 environ en Normandie, cette région connaît une nouvelle crise. C’est à l’issue des pourparlers que le chef viking Rollon accepte de se convertir et de protéger le royaume. Cependant les contacts avec le monde scandinave n’est pas rompu. Les vikings se sont également tournés vers l’Espagne : Lisbonne est atteinte en 966, attaques en Galice en 968-969… En Angleterre Edouard l’Ancien (899-924), successeur d’Alfred, lance la conquête du Danelaw, région en leur possession. Une nouvelle vague d’incursions vikings prend place au Xe siècle, peut-être sous l’affirmation du pouvoir monarchique scandinave et à des conquêtes vers l’orient bloquées. Les attaques reprennent ainsi en Angleterre à partir de 980-981. Le futur roi de Norvège, Olaf Tryggvason, probablement accompagné du roi danois Sven à la Barbe fourchue, débarque avec 93 navires dans le sud-est de l’Angleterre en 991. Londres est atteinte en 994. Le roi Aethelred II (978-1016) est mis en difficulté au point de quitter le pays pour la Normandie. Sven se fait reconnaître roi mais décède peu après permettant le retour d’exil du monarque. A sa mort, son fils, Edmond Côte de Fer ne parvient pas à l’emporter contre le Viking Cnut, descendant de Sven, et l’on procède à un partage du royaume. Cnut en récupère l’intégralité à la mort d’Edmond et règne jusqu’en 1035 après avoir épousé la veuve d’Aethelred. Ses deux fils règnent brièvement et laissent après leur décès une querelle de pouvoir qui mène Guillaume de Normandie à la tête du pays suite à la bataille d’Hastings. Il y affronte Harold, issu d’une puissante famille anglo-danoise et vainqueur de leur rival Harald le Sévère, roi de Norvège. Ailleurs, aux Féroé et en Islande, les Vikings sont les premiers à s’installer dès les premières décennies du IXe siècle. Ceux-ci venaient sans doute pour partie d’Irlande ou des îles écossaises compte tenu des noms figurant dans les sources. Eric le Rouge, lui, est mentionné comme celui ayant découvert le Groenland, pays vert, alors qu’il avait été banni d’Islande. Certains écrits cependant mentionnent d’autres installations et d’autres noms. A l’est, les contacts vikings sont nombreux avec les terres du littoral baltique. On note une implantation au nord de la Russie, aux environs du lac Ladoga, vers le milieu du VIIIe siècle. Le terme Rous désigne alors les Scandinaves qui s’aventurent sur les terres orientales. Ceux-ci ont d’ailleurs établi des contacts avec l’Empire byzantin avec une tentative de raid en 860. Ces contacts sont également commerciaux et diplomatiques. En 913, une campagne s’en prend aux terres musulmanes du sud de la Caspienne et en 943, une ville de l’actuel Azerbaïdjan. Cette chronologie est ensuite reprise à différents moments du livre afin de la compléter, de l’observer sous divers angles, les répétitions font donc travail de pédagogue.

 

Des sociétés en mouvement

En remontant aux premiers siècles de notre ère, des contacts existaient déjà entre les mondes vikings et le sud de l’Europe. Ainsi, à Hoby, sur l’île de Lolland au Danemark, les archéologues ont mis au jour deux tasses en argent et un plateau, pièces rares, décorées de scènes mythologiques (Vénus, passages de l’Iliade), dans une tombe. Il s’agit peut-être d’un cadeau diplomatique. De plus, des mercenaires scandinaves servaient de troupes auxiliaires dans l’armée romaine. Peu à peu, les Vikings vont se hiérarchiser autour d’élites guerrières pratiquant des sacrifices d’armes. A partir du Ve siècle, ces pratiques cessent évoquant une stabilisation des pouvoirs politiques. Les cultes se tournent alors vers des divinités. Lotte Hedeager évoque même l’idée de l’affirmation d’Odin comme déification d’Attila suite aux invasions hunniques en Europe à la fin du IVe siècle. Plus tard, les contacts avec les royaumes chrétiens permettent d’observer des influences : épées à anneaux sur le modèle franc, pendentifs en forme de livre (Bible sans doute), bractéates portant une croix, découverts sur des sites scandinaves des Ve – VIIIe siècles. L’organisation spatiale change, une ou plusieurs halles, construites en position dominante, à proximité des axes de communication marquent l’affirmation de places centrales. La toponymie s’en ressent : Uppsala par exemple, de salr pour halle, alors que le mot höll n’est attesté qu’en 961. La halle est un édifice imposant où prennent place banquets, rites religieux, production artisanale. C’est sur cette base que se développent des liens commerciaux parfois très lointain. Ainsi, à Helgö, « l’île sainte », sur le lac Mälar, dans l’une des halles a été trouvé un Bouddha en bronze du VIe siècle venu du nord-est de l’Inde. Il est ensuite question d’un roi danois et à partir du VIIe siècle de la construction du Danevirke, « fortification des Danois », remparts qui s’étendent sur une trentaine de kilomètres pour protéger le sud du Jutland. A partir de la conquête de la Frise (734) et de la Saxe (772-804), les sources franques s’intéressent aux rois scandinaves, les nouveaux voisins. Cependant ces sources peuvent affirmer l’existence d’un peuple danois unifié sans que cela soit le cas. Ainsi, en 777, elles mentionnent l’exil de révoltés saxons accueillis par le roi danois Sigfrid. L’étendue de son territoire est discutée, les historiens débattent encore de l’existence d’un ou plusieurs royaumes vikings. Godfrid, successeur de Sigfrid, affronte Charlemagne en 804. Il meurt en 810 laissant la place à des divisions et tensions qui incitent les Francs à intervenir à travers notamment l’envoi de missionnaires. Du côté de la Norvège, Snorri Sturluson, vers 931-932, écrit que Harald à la Belle Chevelure a unifié le royaume. Si les historiens ne maîtrisent pas l’intégralité du règne d’Harald, ils notent cependant la première mention de la « route du Nord » dans un récit de la fin du IXe siècle, donnant le nom futur du pays : Nordvegr. Un autre chapitre de cette partie aborde la question religieuse. Dans les premiers temps, les croyances scandinaves puisent dans des mythes, rites et représentations étendues à tout le monde germanique. Certaines pratiques méditerranéennes sont même arrivées jusqu’au nord de l’Europe comme le culte mithraïque. Il existe ainsi deux grandes familles de dieux : les Ases et les Vanes. Les géants, les alfes (êtres liés à la fertilité, la famille et le culte des ancêtres), les valkyries, les nains, les nornes et dises (puissances féminies liées au destin des hommes ou de la famille) les accompagnent. Le chaos primordial a été réorganisé par Odin et ses frères et la fin du monde, le Ragnarök, donnera lieu à un nouveau monde dans lequel certains anciens dieux réapparaîtront ainsi qu’un couple humain qui redonnera vie à l’espèce. Au centre du monde se trouve Asgard, la demeure des Ases, des dieux, et les hommes vivent à Midgard, résidence du milieu. A la périphérie se situent les terres des géants, Utgard. Au centre du monde prend place l’Arbre-monde, Yggdrasill, où se réunissent les dieux pour leurs conseils et où les nornes tissent le destin des humains. Ces croyances n’ont pas d’organisation cléricale, pas de textes sacrés. Certains dieux sont ainsi peu honorés au vu des découvertes archéologiques par exemple mais prennent une grande place dans les textes mythologiques comme Heimdall et Baldr, fils d’Odin et Frigg. Odin est d’ailleurs considéré comme le dieu le plus puissant. Il aurait créé les hommes avec ses frères en leur donnant l’intelligence et la vie. Il aurait également volé la poésie aux géants pour la donner aux humains. Il est souvent décrit comme un vieil homme borgne, doté de pouvoirs magiques, c’est le dieu de la victoire principalement honoré par les guerriers et les jarls, les princes. Frigg, son épouse est bienfaisante et savante. Thor est l’image du dieu puissant, guerrier et courageux, accompagné de son marteau Mjöllnir. Il est particulièrement honoré par les paysans en tant que protecteur de la fertilité, c’est le maître du tonnerre et de la pluie. Son culte se développe à partir du IXe siècle en réaction à la progression du christianisme. Le culte s’organisait autour de banquets et de sacrifices, les deux étant liés lorsqu’il s’agissait de partager la viande des animaux consacrés. Des restes humains ont également été trouvés sur plusieurs sites des VIe au Xe siècles où étaient pratiqués des activités religieuses. Ce sont les chefs de famille ou les chefs locaux qui accomplissent les rites. Apparaît ici la figure du berserkr, attestée en Norvège aux IXe et Xe siècles. Les berserkir forment une sorte de garde armée du chef ou roi qui adopte un comportement de fauve (hurlements, morsure de bouclier…) à l’issue d’un rite. Ils sont associés à Odin et renforcent la figure sacrée du pouvoir. Cependant toutes ces pratiques ne sont pas vécues comme une religion, le terme n’existe pas en langue norroise, ce sont plutôt des croyances ou coutumes. Celles-ci s’imprègnent de magie et de divination. Les pratiques funéraires montrent que la crémation et l’inhumation coexistaient en Norvège, au Danemark et au sud de la Suède (le reste du pays étant plus attaché à la première pratique). De nombreux objets accompagnent le défunt dans une tombe parfois signalée par un monument en pierre ou un tertre. Là encore certains enterrements associent des sacrifices humains comme des esclaves. L’organisation sociale relevée dans différentes sources semble montrer une hiérarchie entre les esclaves puis les paysans libres et enfin les jarls et rois. Le bóndi est le chef de famille, propriétaire libre. Il est encore complexe d’appréhender le lien de dépendance qui a pu exister entre des paysans et des propriétaires fonciers. Il semble qu’il faille faire la distinction avec le système féodal franc et observer plutôt un lien de réciprocité, un échange de dons à l’égard des plus puissants. Concernant la population servile, les textes proviennent de lois tardives et alors que la pratique s’estompe. Dans les sources byzantines, arabes ou occidentales, le rapt et la vente d’esclaves y est, au contraire, montrée comme une pratique courante des vikings. On assiste alors à des rachats d’esclaves. On peut aussi tomber en esclavage par hérédité, à cause d’une dette ou suite à un vol. Les chercheurs sont encore indécis quant à leur nombre. Toujours dans cette partie consacrée à la société viking, une place est faite à l’étude des femmes. Celles-ci sont souvent associées aux tâches domestiques, au stockage et à la préparation de la nourriture, l’éducation des petits enfants, le tissage du lin ou de la laine. La production de textile est même vue comme une activité purement féminine. Cependant le travail de la ferme donnait souvent l’occasion à la femme d’aider son époux voire d’occuper une place dans l’organisation des activités comme le regrette le bóndi Holmgaut dans une inscription qui déplore la perte de son épouse en Suède. Les femmes ont des droits et une reconnaissance juridique mais sont souvent placées dans une position inférieure. Elles peuvent témoigner voire porter une affaire en justice mais souvent elles demandent à un homme de s’en occuper. Elles peuvent prendre la parole lors des assemblées mais n’ont pas le droit de porter des armes. Elles sont responsables de leurs actes et peuvent être sanctionnées pour cela. L’époux dispose des biens de sa femme qui peut les récupérer une fois veuve. Certaines inscriptions ont ainsi été dressées par des femmes pour revendiquer les héritages de leurs maris ou fils. L’étude des sépultures entre 550 et 1050 permet d’observer une augmentation du nombre de tombes préparées pour les femmes et dans lesquelles elles sont mises en valeur. Elles ont sans doute acquis plus de responsabilités alors que les hommes étaient souvent loin de leur domicile. La tombe d’Oseberg reste exceptionnelle. Dans les sources écrites la femme arbore la figure de la sagesse guerrière ou de l’instigatrice incitant à la vengeance. D’ailleurs seules quatre femmes scaldes sont connues, les récits restent donc masculins. La religion reprend l’image féminine avec les déesses Frigg ou Freyja. Elles contrôlent les destinées humaines : nornes, valkyries, dises… Elles permettent la communication entre les vivants et les esprits. La femme n’est pas, non plus, exclue des pratiques cultuelles même si son rôle est réduit. D’ailleurs, ce sont elles qui ont encouragés les conversions au christianisme. Quant à exercer le pouvoir, certains récits nous montrent des reines puissantes comme Gunnhild, épouse et veuve d’Eric à la Hache sanglante, qui gouverne la Norvège avec ses fils. Certaines découvertes archéologiques récentes font sortir ces guerrières de la littérature comme celles des tombes de Birka ou d’Harby en Fionie. Le chapitre suivant apporte des précisions sur la démographie. Toute l’Europe du nord-ouest connaît une forte croissance, Scandinavie comprise à partir du milieu du VIe siècle. Les estimations les plus fiables portent entre 500000 à 700000 habitants pour le Danemark, environ 200000 pour la Norvège et entre 300000 à 450000 personnes pour la Suède actuelle. L’économie de la région est avant tout agricole, principalement l’élevage sur le Ier millénaire. La pêche et la chasse sont également des sources d’approvisionnement. L’architecture est d’abord celle de longues maisons où les hommes et animaux cohabitent. Puis, peu à peu les bâtiments se spécifient. Concernant les échanges commerciaux, ils prennent d’abord place sur les côtes de l’Atlantique nord, en Manche, en mer du nord et en Baltique. Les Frisons et Anglo-Saxons par exemple ont mis en place des voies de commerce qui englobent le monde viking. L’artisanat se développe également autour du bois, de la stéatite, de l’ivoire de morse, des os de baleine, bois de renne, textile (laine et lin). Le monde scandinave exporte beaucoup de fourrures, peaux, ambre, ivoire, hareng, morue et produits de l’artisanat. Les produits importés de l’orient sont la verrerie, le vin, le miel, la cire, les meules de basalte, l’or, l’argent, les armes et les matières premières de leur production artisanale. Les relations commerciales sont également internes au monde scandinave y compris les plus reculées. Ces échanges prennent place dans des places centrales, qui deviennent ainsi des centres urbains qui prennent le nom d’emporia. Leur développement est souvent relié à la présence d’un prince ou roi, d’où la présence de moyens de protection. C’est à la fin du Xe siècle que l’urbanisation connaît une seconde vague et touche plus largement la Scandinavie.

Les invasions et la diaspora

Pour l’auteur, le terme Danois est souvent un générique dans les sources et il apparaît plus souvent que les vikings ont suivi un chef capable de les enrichir au-delà de toute conception géographique. Le sac de l’abbaye de Lindisfarne en 793 apparaît comme le point de départ, la fracture menant aux invasions vikings. Or, il n’en est rien car la Chronique anglo-saxonne, à l’initiative du roi Alfred de Wessex, près d’un siècle après l’évènement, mentionne des attaques ultérieures, peut-être à des fins de propagande pour s’octroyer une préséance sur le combat contre les païens. Le monde viking n’est pas ignoré donc. La volonté de former des missions est même débattue dans les années 780 à la cour de Charlemagne. Alcuin, dans une lettre de 789, évoque la conversion possible des Danois. Les fouilles, enfin, révèlent deux navires vikings enterrés avec leur équipage sur les côtes estoniennes vers le milieu du VIIIe siècle : combat entre groupes rivaux, raid ou prise de contact qui a mal tourné ? A cette époque également une première installation viking est signalée dans le nord-ouest de la Russie sur le site de Staraïa Ladoga. Des contacts pacifiques ont pu prendre place dès la fin du VIIe siècle avec des installations sporadiques n’ayant pas laissé de traces archéologiques. Quoi qu’il en soit, la chronologie du début de l’âge viking, à la fin du VIIIe est remise en cause. La surpopulation et le manque de ressources ne sont plus, non plus, considérées comme le facteur ayant entraîné ces invasions. En effet, on note l’intensification de l’agriculture ou de l’exploitation des ressources en divers endroits. Certaines thèses évoquent un ratio homme-femme défavorable aux femmes ayant conduit les jeunes hommes à rechercher argent et gloire pour « payer » leur épouse. De même le renforcement des élites royales et la volonté d’unité dans le pays auraient pu entraîner des hommes en quête de liberté, ou privés de leurs prérogatives locales vers l’exil. Les différents contacts commerciaux ont également pu révéler la richesse d’un occident qui devient alors attractif pour des pillages. A partir de la prise de la Saxe et de la Frise par les Francs, le monde occidental a pu aussi apparaître comme une menace à contrer, ou du moins, cela a pu renforcer les antagonismes envers le monde chrétien. Ainsi, les débuts des invasions vikings ont de multiples causes possibles et sont à replacer dans un contexte plus large.

La navigation maritime apparaît dans les sources comme le moyen le plus rapide de se déplacer. L’auteur fait le point sur les navires vikings. Le support archéologique est celui des tombes, des navires immergés pour servir de barrage et des naufrages. Des navires ont été découverts hors de la Scandinavie, un seul en France, sur l’île de Groix dans le Morbihan. Il existe également des représentations figurées sur les stèles, des mentions sur les pierres runiques ou dans des poèmes de scaldes. Le vocabulaire le plus employé est le mot skip, proche de l’anglais ship. Quant au terme drakkar, il est impropre, diffusé au XIXe siècle, il renvoie à dreki, au pluriel drekar, qui signifie dragon. Il n’apparaît que dans quelques sources seulement et renvoie à la proue du navire. Chronologiquement, des embarcations ont été représentées sur des murs dès le milieu du IIe millénaire avant notre ère. La plus grande innovation technique apportée par la voile carrée date du VIIe siècle, avec une diffusion lente sur le siècle suivant. Il faut également noter qu’il n’y a pas de modèle type de bateau, d’autant plus qu’il y a même une diversification aux Xe – XIe siècles. Il est possible cependant de distinguer les navires très allongés spécialisés dans le transport des hommes (longueur équivalant 7 à 11,4 fois la largeur). Avec le temps, ces navires passent d’une capacité de 40 à 60 hommes aux IXe – début Xe siècle, à 60 à 100 hommes. L’autre type d’embarcation est propre au transport du fret avec une coque plus large et plus profonde. Elles ont également été utilisées pour les colonisations au Groënland et en Islande. Les diverses améliorations sont le fruit d’influences européennes variées. La construction d’un bateau nécessitait entre 9000 à 32000 heures de travail comme l’ont montré les reconstitutions. Les personnes pouvaient s’associer pour construire un navire mais cela est souvent relié au pouvoir royal ou princier, d’une part car il faut les moyens financiers et d’autre part car c’est un moyen de contrôler les routes commerciales et de voyages. Les fermes autour des ports ou centres urbains devaient être mises à contribution notamment pour la conception de la voile. Enfin, le navire a une portée religieuse avec son rôle dans les inhumations. Dans la mythologie, Baldr, fils d’Odin est incinéré sur son navire, le bûcher est consacré par Thor et Odin et l’anneau d’or Draupnir y a été placé. Le bateau Naglfar est associé au Ragnarök. Freyr, dieu de la fertilité dispose d’un bateau magique qui profite toujours de vents favorables et peut se plier une fois arrivé à destination. Il existe également des maisons bateaux (murs courbes) pouvant mesurer jusqu’à 40 mètres dans le nord de la Norvège. Concernant les techniques de navigation, le cabotage était la plus courante. Les vikings n’ont ni boussole, ni carte marine. Ils ont pu utiliser des sondes pour la profondeur des eaux, des girouettes, la reconnaissance de la faune marine et des oiseaux, la position des étoiles dont le Soleil (première mention de l’étoile polaire dans un texte de 1150). La navigation reste donc risquée. Ainsi, la flotte constituée de 25 navires d’Eric le Rouge en 985 à destination du Groënland se réduit à 14 embarcations à l’arrivée.

Le chapitre suivant interroge la circulation des hommes, des savoir-faire, des idées et leurs réseaux. Du côté oriental, des sources du Xe siècle mentionnent quatre traités commerciaux avec l’Empire byzantin. L’empereur Constantin VII Porphyrogénète rapporte le trajet des Rous qui descendent le Dniepr à partir de juin de chaque année. Au-delà, ont été découverts en Suède des grenats d’Inde, des bouteilles de bronze du Turkestan, de la céramique sino-persane, des équipements d’archerie de peuples des steppes. Cela laisse penser que certains Scandinaves ont fréquenté la route de la Soie. Ces échanges fluviaux rappellent la dextérité des vikings car nombreux sont les difficultés sur le chemin aussi bien sur les eaux que dans les rapports avec les populations locales parfois hostiles. Il est même possible que les Rous aient endossé le statut de dhimmi en terres abbassides en se faisant passer pour chrétiens afin de bénéficier d’une certaine sécurité. Certains noms de lieux le long du Dniepr sont connus en slave et en norrois. Enfin, les emporia, nom donné aux centres d’échanges en Scandinavie devaient certainement être en relation entre eux même s’il existe des pratiques propres à chacune : régime alimentaire différent, type d’activité, ouverture aux influences chrétiennes. A l’intérieur des emporia se distinguent également les élites urbaines qui ont tendance à revêtir les objets du commerce : tenues orientales, soie, alimentation différente du reste de la population. L’auteur souligne l’importance des vikings dans le développement urbain de l’Angleterre. De nombreux lieux ont ainsi disparu ou été déplacés en fonction des attaques, d’autres se sont constitués dans le but de protéger le territoire. Toutefois le pays connaît une expansion urbaine aux IXe – Xe siècles y compris sur des zones non touchées par les Scandinaves. York, conquise en 867, fut rebaptisée Jorvik. Elle a été entièrement redessinée par les vikings : tracés des rues, murailles reconstruites et agrandies. Ils y ont développé la frappe monétaire, les échanges commerciaux et l’artisanat. Ainsi au milieu du XIe siècle la ville devait compter 10000 habitants environ, deuxième d’Angleterre derrière Londres. La ville est reconquise en 954 mais garde ses influences scandinaves : noms de lieux, langue norroise parlée par une partie de la population… En Irlande, il est possible d’examiner l’exemple de Dublin. Sur cette île ce sont les vikings qui ont développé le fait urbain. Installés à Dublin en 917, ils la fortifient puis la dotent d’égalises à partir de leur conversion au christianisme au cours du Xe siècle comme celle de la Sainte Trinité (Christ Church) vers 1030. Dans ce même siècle, une monnaie est frappée et la ville est pleinement intégrée aux réseaux commerciaux. C’est également un marché des esclaves important. Leur implantation irlandaise est restée principalement urbaine.

L’auteur observe ensuite les courants migratoires. Il est ainsi question de l’Islande. On peut noter que même si la majorité des colons proviennent de Norvège, nombreux sont ceux qui ont fait étape dans les îles britanniques. Ils s’accompagnent alors de leur famille et leurs esclaves. Les vikings sont un peuple mouvant. Par exemple, les Víkíngarvísur de Sigvat Thordarson vers 1014-1015, recensent les batailles menées par Olaf avant son accession au trône de Norvège. Il parcourt la Suède, la Finlande, le Danemark, la Frise, l’Angleterre, la Bretagne, l’Espagne, le Poitou puis retourne chez lui après avoir reçu le baptême à Rouen et servit le duc de Normandie. De nombreuses sources mentionnent la présence de femmes dans les groupes de migrants cependant il existe également des mariages avec les femmes du pays ainsi que l’atteste une source irlandaise dès le début des années 860. Le but est souvent de s’intégrer notamment au sein des élites par des alliances matrimoniales. Ces courants migratoires sont à replacer dans le contexte très mouvant des déplacements de population en Europe. Ainsi même les analyses ADN sont à prendre avec précaution. Elles indiquent que les trois quarts de la population masculine islandaise sont reliés à la Norvège, le quart restant aux îles britanniques. La proportion s’inverse presque concernant les femmes, principalement rattachées aux zones celtiques des îles britanniques. Une analyse menée en 2015 dans la région de Valognes, dans le Cotentin, laisse davantage de flou car la diversité des origines est trop vaste. De plus, l’ADN ne laisse pas percevoir la chronologie, il est difficile de savoir à quand remontent les influences, ni si les individus se rattachaient à une culture viking. Les migrations s’accompagnent encore de transferts de savoirs faire. Ainsi, des potiers ont pu accompagner les expéditions vikings mais on note également la présence de pratiques anglaises dans la fabrication monétaire au Danemark, les échanges s’opèrent de part et d’autre. L’auteur travaille ensuite sur l’idée que les vikings ont repoussé les limites du monde connu, en s’établissant sur des terres inoccupées ou non visitées des Européens. Or, l’ermite irlandais Dicuil mentionne vers 825 la présence de prêtres une trentaine d’année avant son écrit sur l’île de Thulé, possible Islande. Ils y seraient restés six mois et ont bénéficié de nuits d’été lumineuses. Ari le Savant indique, de son côté, que des ermites celtiques qu’il nomme papar fréquentaient l’Islande avant l’arrivée des vikings, l’île de Papey au sud-est de l’Islande leur doit-elle son nom ? Des analyses ont permis de penser à des installations ponctuelles dès les IVe – Ve siècles mais il n’existe pas de traces archéologiques. Quant au Groënland, les données archéologiques et podologiques confirment une implantation aux environs de 985. Démographiquement les estimations oscillent entre 400 – 500 habitants au début du XIe siècle à plus de 2000 à la fin du XIIIe siècle ; certaines estimations portant la fourchette haute à 6000 habitants. Quant à l’Islande on compte entre 10000 et 20000 migrants au IXe siècle – début Xe pour probablement 60000 à 70000 habitants fin du XIe siècle. Cette population décline au Groënland, les sites vikings disparaissent aux XIVe et XVe siècles avec un dernier document écrit de ce pays datant de 1409. Les causes sont les changements climatiques à partir du XIIIe siècle et la possible migration vers le sud des populations inuites. Il est également possible que le mode de vie norrois ne soit pas parvenu à s’adapter durablement. C’est cependant depuis le Groënland que les vikings ont exploré la vallée du Saint-Laurent. Adam de Brême mentionne le Vinland et ses vignes et champs de blé. Au XIIe siècle Ari le Savant évoquait également cette région et la Saga des Groënlandais et la Saga d’Eric le Rouge viennent confirmer ces faits. Dès les années 1960 l’anse aux Meadows, au nord de Terre-Neuve, a été fouillée révélant trois constructions sur le modèle islandais datant de 980 – 1030. De plus, 125 objets ont été découverts, caractéristiques des modes de vie viking. On note la présence de noix impossibles à trouver à cette latitude impliquant des rapports avec des populations locales plus au sud. Un denier du roi de Norvège Olaf le Pacifique de 1065-1080 a été retrouvé à Naskeag Harbor, dans l’Etat du Maine, renforçant l’idée d’échanges régionaux. Ces installations vikings ne sont restées en place que quelques saisons sans doute à cause de la distance vis-à-vis de l’Islande et du Groënland. Concernant le terme diaspora en lui-même, employé en dehors du judaïsme, il peut faire l’objet de débats. Pierre Bauduin reprend la définition donnée par Robin Cohen dans Global Diasporas, en listant neuf caractéristiques : « une dispersion souvent traumatique sur au moins deux territoires étrangers ; une expansion territoriale dans un but de conquête, de travail, ou de commerce ; l’existence d’une mémoire collective du pays d’origine ; l’idéalisation du pays natal et l’engagement collectif pour son maintien ou sa création ; le développement d’un mouvement de retour collectivement approuvé ; une forte conscience ethnique du groupe ; un rapport conflictuel avec la société d’accueil ; l’empathie et la solidarité avec les membres du groupe ethnique installés sur d’autres territoires ; la possibilité de développer un sens créatif dans des pays tolérants ». Et d’en conclure que l’expression peut être employée par rapport aux migrations vikings.

Le fait des guerres mais aussi des paix

Premièrement il est possible de comptabiliser quelques centaines de vikings sur les champs de bataille pour le IXe siècle, quelques milliers à la fin de ce même siècle. Si les premiers combattants sont des volontaires attirés par la richesse et le prestige du chef, peu importe leur région d’origine, par la suite, une certaine professionnalisation se met en place. L’épée est l’arme la plus utilisée, puis la lance, la hache et le sax, pour finir par les arcs et flèches. Quelques représentations évoquent le port d’un casque conique mais les fouilles archéologiques attestent plutôt de casques ronds protégeant le nez et les yeux. Cependant, ce ne sont pas les armes qui donnent leur force aux vikings, leurs adversaires étant parfois mieux dotés, au point de leur interdire la vente ou livraison d’armes lors des rançons ou échanges. Ils connaissent une supériorité navale indéniable mais combattent principalement sur terre. Ils disposent de chevaux apportés sur leurs navires ou pris sur place. Il s’agit donc surtout de la rapidité à se mouvoir et de l’effet de surprise qui permettent aux vikings de remporter leurs succès. Ainsi, les sources mentionnent des attaques lors des fêtes de la Saint Jean en 843 à Nantes, en période de Pâques contre les monastères de Saint-Germain-des-Prés et Saint-Denis en 858. Ils savent également transformer ou utiliser le terrain comme lorsqu’ils attirent l’armée de Charles Gros dans des fosses lors du siège de Paris. Ils font également en sorte de ne pas affronter directement leurs adversaires, ils quittent alors le terrain ou se dispersent, aspect renforcé avec les hivernages à partir du milieu du IXe siècle. Ils utilisaient également les divisions au sein des camps ennemis. Les raids de 830 contre l’empire carolingien prennent place lors des querelles de succession entre Louis le Pieux et ses fils. C’est le même contexte lors des tensions entre les rois irlandais. Enfin, les vikings ont aussi inspiré des armes ou tactiques militaires. Ainsi ils auraient réintroduit l’arc en Irlande, ils sont engagés comme mercenaires et forment même la garde varangienne (entre 4000 et 6000 hommes) de l’empereur byzantin Basile II à la fin du Xe siècle. Les adversaires des vikings ont donc développé des moyens de défense. Ainsi Charlemagne inspecte ses littoraux et fait construire une flotte mais qui restera toujours inférieure à la puissance navale et fluviale des nordiques. Le rôle des « marches » est donc important. Robert, l’un de ses protecteurs fut tué à Brissarthe en 866 et son fils, Eudes, comte de Paris, organisa la défense de Paris avant d’être élu roi entre 888 et 898. En Angleterre également, la défense s’organise autour de burhs, qui montrent une certaine efficacité lors des attaques de 892 à 896. Même les Espagnols, chrétiens comme musulmans, élèvent des systèmes de défense, notamment contre les vikings. La flotte d’al-Andalus est victorieuse face au raid de 859-861. L’image de violence est souvent associée aux vikings cependant il faut prendre avec prudence les sources occidentales promptes à grossir le trait. Celles-ci évoquent surtout une incompréhension des agissements des hommes du nord d’où la volonté de les convertir. Si l’on observe les faits, des destructions d’églises ont été réalisées par des chefs irlandais ou lors de conflits francs même si ces évènements restent rares. De même, les Francs, les Saxons, les Slaves pratiquaient l’asservissement des populations vaincues. Or, comme ce phénomène ne se produit pas en interne, les sources font apparaître une inquiétude face à cette situation. Concernant les pillages, il est complexe d’identifier les objets provenant de raids, de tributs ou d’échanges. Quelques objets sortent du lot comme le Codex Aureus de Cantorbéry (conservé à Stockholm), manuscrit du milieu du VIIIe siècle contenant les évangiles, dérobé au IXe siècle puis racheté. Le tribut permettait d’éviter le pillage ou le rapt. Danegeld, est un mot désignant une taxe et remonte au début du XIe siècle lors de l’emploi de mercenaires danois sous Aethelred II au début du XIe siècle. Le terme est ensuite étendu pour évoquer n’importe quelle taxe en argent ou nature donnée aux vikings pour qu’ils quittent une région ou ville sans pillage, à l’initiative des autorités publiques et non privées. Une douzaine ont été prélevés dans le royaume franc entre 845 et 926. Se pose donc la question de la paix avec les vikings au chapitre suivant. Les mentions dans les sources scandinaves de traités de paix sont tardives car les chefs préfèrent mettre en avant leurs actions guerrières. Puis à partir de la construction de l’image royale elles prennent plus de place.

Contacts, transferts culturels et identités  des différentes régions traversées par les Vikings

Les transferts culturels sont nombreux tels les épées franques prisées par les Scandinaves, ou inversement la hache copiée par les Irlandais. Les Danois ont sans doute apporté l’étrier en terres anglaises. L’utilisation de la monnaie fait partie du même ressort, produite par les vikings pour le commerce mais également sur fond d’organisation du pouvoir et de christianisation. Les modes païennes ont fortement attiré les populations locales au point d’inquiéter l’archevêque d’York au XIe siècle. Les Suédois, de leur côté, ont opté pour des tenues orientales, transmises par les Rous. Il faut également noter les différences d’acculturation selon les régions du monde viking notamment les régions d’installation et, selon le lien gardé avec la Scandinavie. La conversion au christianisme est éclairée par le chapitre suivant. Les vikings sont confrontés à cette religion bien avant les IXe – Xe siècles : motifs chrétiens sur des fibules… Les historiens ont mis en avant deux modèles de conversion : celle venue du chef, celle venue du peuple, moins documentée. Le fait que la population islandaise se soit convertie rapidement trouve sans doute son explication dans l’absence de lieux symboliques, rituels contrairement à la Scandinavie. Les actions missionnaires permettent de suivre le parcours de Willibrord, mort en 739, évêque d’Utrecht, sous la plume d’Alcuin. Il rencontre le roi danois Angantyr (Ongendus) qui aurait accepté de laisser partir 30 enfants pour être élevés dans la foi chrétienne. Les missions débutent véritablement sous Louis le Pieux vers 820, avec l’archevêque de Reims, Ebbon. Ces missions prennent place dans un contexte de tensions au Danemark, leur permettant d’ailleurs un plus grand succès. Harald Klak, roi danois, se convertit et l’impératrice Judith devient la marraine de son épouse quand son fils reçoit le parrainage du fils de Louis le Pieux, Lothaire. Harald retourne chez lui en compagnie des missionnaires Anschaire et Autbert ; mais il est chassé du trône donc c’est un échec. C’est en Suède qu’Anschaire installe des églises et communautés. Les missionnaires acceptent souvent un métissage religieux avec le maintien de pratiques païennes tout en imposant peu à peu les rites chrétiens permettant ensuite d’imposer le nouveau dieu. La conversion du Danemark prend place avec celle du roi Harald à la Dent bleue en 962 ou 963. En Norvège ce sont les rois qui agissent comme missionnaires comme Olaf Tryggvason (995-1000) et Olaf Haraldsson (1015-1028). Håkon le Bon les précède (vers 935-961) mais ne parvient pas à susciter l’engouement de la population, au contraire la réaction païenne fut violente. Olaf Tryggvason se convertit en 994 avec Aethelred II comme parrain. Il mène campagnes aux Shetland, Féroé, Orcades, en Islande, au Groënland et Norvège. Olaf Haraldsson, de son côté fut baptisé vers 1013 en Normandie et revint en Norvège deux ans plus tard avec des missionnaires, confortant ou reprenant le travail de son prédécesseur. Il est sanctifié très vite après son décès. La conversion des rois de Suède est moins documentée et le christianisme s’installe surtout au XIIe siècle. Au milieu du IXe siècle les motifs chrétiens ne sont plus utilisés par les vikings comme éléments de décoration, preuve que peu à peu leur valeur religieuse et donc sacrée a été prise en considération. Le polythéisme des vikings a permis l’incorporation du dieu chrétien dans le panthéon avant son adoption définitive et le rejet même des anciennes croyances. L’introduction du latin accompagne les conversions pour les messes, l’administration, les monnaies mais sans faire disparaître l’écriture runique qui persiste jusqu’au XIVe siècle, voire plus dans certaines régions. Ces monarchies chrétiennes de la seconde moitié du Xe siècle s’appuient sur l’Eglise pour se stabiliser et unifier. L’administration royale est ainsi composée de clercs lettrés, les rois entretiennent correspondances avec les archevêques et le pape. Les derniers chapitres éclairent la situation des différentes régions d’installation des vikings. Concernant l’Islande, la conversion de l’île se produit en 999 ou 1000 dont la source la plus riche est celle d’Ari le Savant. Un accord est passé permettant de conserver les anciennes traditions à titre privé afin également de maintenir une indépendance vis-à-vis de la Norvège. La colonisation du Groënland au moment de la christianisation de l’Islande, entraîne un processus différent : aucune tombe païenne n’y a été découverte. La partie sur les Rous, occupant un territoire couvrant une partie de la Russie, l’Ukraine et le Bélarus, met en avant les échanges commerciaux. Le terme Rhos apparaît dans les lignes de Prudence de Troyes à propos d’une ambassade envoyée par l’empereur byzantin à Louis le Pieux, dont certains Rous faisaient partie. L’origine du mot reste cependant source de débats. Le mot Ruotsi en finnois désigne la Suède. De plus, le mot Rous s’appliquait surtout aux élites scandinaves. Le terme varègue, lui, vient de « var », serment, ou d’un mot norrois représentant « celui qui va chercher un abri à l’étranger en se mettant au service d’un chef étranger ». Les Varègues constituent ainsi un groupe de mercenaires au service de Constantinople. Concernant l’organisation du pouvoir, elle naît entre les mains des Scandinaves et des élites locales qui, ensemble, dessinent l’unité territoriale des futurs princes de Kiev. La christianisation prend place fin 987 ou début 988 lorsque Vladimir se convertit pour se marier avec la sœur de l’empereur byzantin. D’un point de vue artistique ou culturel des objets d’origine ou de style scandinaves circulent pendant longtemps et l’on peut considérer la slavisation comme achevée à la fin du XIe siècle. Ensuite, nous repartons en terres irlandaises et écossaises. Pour les premières, les installations sont surtout côtières et l’implantation complexe, les vikings restant les « gaill », étrangers. D’ailleurs, ceux-ci eux-mêmes étaient divisées face aux Irlandais. Quelques mariages mixtes prennent place dès le IXe siècle au sein des élites afin de subordonner les Scandinaves à leur cause. De la même façon la christianisation des vikings y est le fait des contacts avec les Anglais et non localement. En Ecosse la situation est variée entre fort métissage dans les îles comme les Hébrides ou installation effaçant la culture picte plus au nord. Il est difficile de retracer le processus sur place, cependant il est possible que les Pictes aient été réduits à une position d’inférieurs ou aient adhéré à la culture viking. En Angleterre, le cas du Danelaw est développé avec une installation à la fin du IXe siècle. Le terme dérive du vieil anglais Dena lagu, la « loi des Danois » et apparaît dans les sources au début du XIe siècle. L’organisation royale est dans un premier temps laissée en place, les vikings utilisant des rois anglo-saxons fantoches afin de prendre le pouvoir directement. Le Danelaw qui couvre l’Est-Anglie, le royaume d’York et la Mercie orientale ne fut jamais réellement unifiée. Le métissage linguistique est ici plus frappant avec 900 mots environ empruntés au norrois dont : husband, knife, window, fellow, les pronoms they, them, their, les propositions at, by. Le vocabulaire juridique en est aussi un exemple. L’installation normande vient clore la partie. Ici le métissage n’est pas marqué. La conversion de chefs vikings est bien antérieure à celle de Rollon, sans doute dès la fin du règne de Charlemagne. Harald Klak, sous Louis le Pieux en est un exemple en 826. Godfrid, baptisé sous Charles le Gros, est marié à une fille illégitime de Lothaire II en 882, c’est la première alliance mixte. Ces accords sont globalement mal vus dans les sources et parmi les élites. Le cas de Rollon est quelque peu différent. Son origine fait sujet à débats : origine norvégienne ou danoise, chef issu de la famille des jarls de Møre ou dynastie du Vestfold. Son installation normande est ancienne avec une union avec Popa dont l’origine est également discutée mais certainement issue de l’aristocratie franque installée dans les Marches. Cela le place donc en pôle position pour reprendre le travail de protection de la région. Ainsi, en 918, apparaît la première mention de Rollon dans les sources. Fin Xe – début XIe siècles, l’Historia Normannorum de Dudon de Saint-Quentin relate le traité de Saint-Clair-sur-Epte, peut être jamais mis par écrit. Charles le Simple confie à Rollon la Normandie et lui donne la main de sa fille Gisla. Cependant les historiens doutent de ce mariage, d’une part il est mentionné comme non consommé et d’autres part, Gisla n’avait que 3 ou 4 ans à l’époque. Après 911, plus aucune flotte viking ne remonte la Seine, preuve du respect du contrat. La Normandie participe activement aux affaires du pouvoir : Guillaume Longue-Epée participe à la restauration du roi Louis IV en 936 ; Richard Ier épouse une sœur d’Hugues Capet et le soutient lors de sa prise de pouvoir en 987. La christianisation est rapide avec le baptême de Rollon en 912. Son successeur, Guillaume Longue-Epée passe pour un chef pieux et même martyr sous la plume de Dudon. La conversion de la population paraît pourtant compliquée au début, des lettres de l’archevêque de Rouen à celui de Reims en 914 et 922 s’en font la plainte. Cependant le paganisme s’efface après la mort de Guillaume en 942 et les quelques traces restantes sont le fait de nouveaux venus. Si Dudon dresse un portrait positif des ducs de Normandie, les écrits de Richer, presque contemporains, nourrissent encore l’image du pirate négatif.

 

Pour conclure, l’auteur s’interroge sur la fin des temps vikings. Plusieurs dates peuvent être évoquées. 1066 apparaît comme une date symbolique car elle met en conflit trois personnages aux origines scandinaves : Harold Godwinson, dont la mère est la sœur du jarl danois Ulf, Harald le Sévère, roi de Norvège, et Guillaume, duc de Normandie, descendant de Rollon. Les Anglais vaincus sont d’ailleurs nombreux à se rendre au Danemark puis à s’enrôler dans la garde varangienne. Ainsi, Gytha, fille d’Harold, épouse vers 1072-1074, Vladimir II Monomaque, futur prince de Kiev. Toutefois, les sources mentionnent les Normands sous le nom de Francs ainsi l’intégration est bien achevée et l’image viking est effacée. Cette période de la fin du XIe siècle et du début XIIe siècle est également celle des croisades. Là encore, les rois danois s’illustrent comme faisant partie intégrante du monde chrétien : Sigurd Ier Jórsalafari (« celui qui a été à Jérusalem) Magnusson, roi de Norvège (1103-1130) se rend en Terres saintes en 1108. C’est donc l’intégration au monde chrétien, y compris dans le regard d’auteurs comme Adam de Brême qui marque la fin des temps vikings et en même temps leur survivance dans l’imaginaire collectif.