La collection Historic Photos de chez Turner Publishing propose une série de titres principalement consacrés à des villes américaines (San Francisco, La Nouvelle-Orléans) mais ces deux numéros-ci prennent pour objet la seconde guerre mondiale. Plus de 400 photographies, pour beaucoup empruntées aux archives nationales, c’est à la fois beaucoup mais aussi peu quand on considère les millions de clichés pris sous l’impulsion du commandement américain, volonté expliquant la présence d’un Walter Winn sur le porte-avions Hornet ou d’un Joe Rosenthal à Iwo Jima.
Montrer ce que fut la seconde guerre mondiale de l’Amérique, le rôle militaire des Etats-Unis dans ce conflit tel est le souci de Bob Duncan avec ces images. Il n’oublie pas de citer dans sa préface alliés et résistances, nécessaires à la victoire finale mais seules quelques photos illustrent cet apport

Un récit chronologique

Les photos choisies rappellent une chronologie bien connue des combats même si l’entrée en guerre n’est illustrée que dans le volume II « Pearl Harbor to Japan », le volume I s’intitulant « North Africa to Germany ». Peut-être faut-il y voir le respect de la priorité définie par F.D.Roosevelt en 1941 : abattre en premier l’Allemagne hitlérienne.
La campagne contre l’Allemagne nazie démarre réellement avec l’opération Torch en Afrique du Nord, emmenée notamment par Georges Patton, pris dans sa barge de débarquement ; la victoire y est rapide. Aucune image ne vient rappeler que le premier contact avec les troupes allemandes à Kasserine se solda par de lourdes pertes.
Puis s’enchaînent les campagnes de Sicile et d’Italie, images et commentaires soulignent la lente progression des GI’s davantage entravée par le relief tourmenté que la résistance des troupes de l’Axe.
Bientôt démarre l’opération Overlord ; plusieurs photos présentent les dessous du débarquement : les quantités de matériel nécessaires, les entraînements et répétitions des manœuvres sur des sites aux profils proches des plages normandes, la coopération inter-alliée…Puis vient le moment de vérité, « The Great Crusade », renvoyant au livre d’Eisenhower, « Croisade en Europe », et ses débarquements à Utah et Omaha, la difficulté à progresser dans le bocage puis la percée vers Paris, la libération de la France, freinée par l’allongement des lignes de ravitaillement et la contre-offensive des Ardennes.
Enfin l’Allemagne et Berchtesgaden où l’on surprend deux soldats assis devisant tranquillement assis sur la terrasse du nid d’aigle.

La guerre du Pacifique, elle, commence par un désastre et une série de revers. 14 photos nous donnent à voir l’attaque de Pearl Harbor, deux photos aériennes de la base puis des cuirassés en flammes, des avions détruits au sol, des Américains morts. L’une d’elles est particulièrement intéressante : celle de la maquette à grande échelle réalisée par les Japonais pour préparer leur attaque, copiée en partie sur celle des … Anglais sur Tarente.

Photo aérienne du débarquement à Iwo Jima, au loin le mont Suribachi

Mais rapidement, l’Amérique reprend refait surface, les batailles aéronavales de la mer de Corail et de Midway, redonnent l’initiative aux Etats-Unis. Ensuite plusieurs dizaines d’images relatent la lente reconquête île par île du Pacifique, la quantité d’images pour chacune pointant les temps forts de cette avancée : Guadalcanal, Bougainville, Tarawa, Saipan, les Philippines, Iwo Jima, Okinawa…Chaque île reprise libère un territoire et fournit surtout une nouvelle base de départ que l’USAF utilise pour bombarder un futur objectif ou le Japon lui-même.
Août 45, Paul Tibbets, pris aux commandes d’Enola Gay, s’envole pour Hiroshima, suivent champignon atomique et ville rasée. La signature de la reddition sur le Missouri n’est pas loin suivie du débarquement des premiers Marines à Yokasuna, Japon.

Deux et deux font quatre guerres

En feuilletant ces deux volumes, on comprend rapidement que les Etats-Unis n’eurent pas à mener une guerre mais deux : une sur le front européen, une dans le Pacifique. Cela tient à la nature de l’adversaire et du terrain ; une guerre terrestre et aérienne en Europe contre un pays continental, une guerre aéronavale dans le Pacifique contre un archipel.
Il suffit de comparer pour s’en rendre compte. Sur le front européen, la motorisation de l’US Army saute aux yeux. Peu de clichés échappent à a présence de chars, camions, jeeps, buldozzer ; seuls ceux pris lors de la bataille des Ardennes laissent les troupes américaines à pied. Peu utilisé sur les atolls et îles du Pacifique, le char redevient utile, et ici visible, sur les routes des Philippines.
Dans le Pacifique, le porte-avions est la star de la guerre aéronavale ; présents lors de chaque grande opération amphibie, il apporte le soutien aérien nécessaire aux troupes au sol et protège la flotte.
Une arme fait l’unanimité sur les deux théâtres d’opération, c’est l’avion ; on le voit transporter, attaquer des troupes au sol ou des navires ennemis, en combat aérien. L’auteur ne manque pas, au passage de décrire les caractéristiques de quelques-uns d’entre eux : Corsair, Dauntless, Marauder…

La quantité impressionnante et la diversité des matériels sautent aux yeux du lecteur : cette guerre fut aussi celle du matériel et les Américains firent tourner à plein régime leur industrie, les monticules de pneus, les quantités de chars, l’approvisionnement en munitions immortalisés en rendent compte. Alors que les autres belligérants se concentrèrent sur certains équipements, avion pour les Japonais, chars et avions pour les Allemands et les Soviétiques, avion pour les Britanniques, Les Américains produisirent tous les matériels. Ils équipèrent les quatre composantes de leur armée mais aussi les troupes de leurs alliés, une photo d’une colonne de 24 Sherman de la 2ème DB met en lumière cette réalité. Equiper certes mais aussi renouveler le matériel et l’amener sur le front rapidement ; l’auteur trouve là l’une des explications aux victoires US : alors que les japonais ne remplaçaient pas les navires perdus, l’Amérique comblait les vides et accroissait dans le même temps ses capacités grâce à une logistique rarement pris en défaut. Seul moment où la logistique est défaillante, l’hiver 44 : les troupes manquent de carburant, de munitions et de vêtements de camouflage hivernal.

La 2ème DB

A côté de la masse d’équipements, la puissance de feu, « If they bring a knife, you bring a gun » dit un officier, encore aujourd’hui privilégiée par les forces armées américaines, constitue la quatrième composante de la guerre menée par les Etats-Unis. Chaque débarquement est précédé d’un bombardement intensif des positions allemandes et japonaises : pièces d’artillerie lourde des cuirassés, aéronefs des porte-avions en sont les outils. Pas toujours efficace les premiers temps comme à Tarawa, il tend à s’intensifier au fil des opérations. Une fois sur les plages et dans les terres, navires, tel le Nevada en Normandie, et avions continuent leur pilonnage tandis que l’infanterie et les Marines attaquent à la mitrailleuse lourde, au bazooka, à l’aide de l’artillerie ou au lance-flammes ; cette dernière arme, surtout utilisée dans le Pacifique apparaît sur les images lors des combats d’Iwo Jima et constitue l’un des rares signes tangibles de la violence des affrontements.

Les hommes dans la guerre

Cette guerre est aussi celle des hommes. Connus ou non, leurs visages, leurs attitudes peuplent ces deux publications.
On y voit les têtes d’affiches : Patton à plusieurs reprises, Eisenhower, Marshall, Bradley, Roosevelt, MacArthur, même un jeune Nixon quelque part dans le Pacifique mais pas de marins, Nimitz, Halsey, Spruance. Les alliés sont quasi-absents, si ce n’est Montgomery semblant expliquer un plan à un Patton qui le détestait, Monty encore évoqué comme initiateur de Market Garden, opération aéroportée sur la Hollande se soldant par… un échec.
Les simples soldats ne sont pas oubliés et toute l’Amérique défile page après page, une Amérique découvrant des lieux parfois totalement exotiques et inconnus. C’est Paul Oglesby dans une église détruite en Italie, Frank Sampson à Ste-Marie du Mont, Thomas O’Brien du Massachussets mangeant sa ration froide non loin de Bastogne, Bill Looney de Chicago en Nouvelle- Bretagne, Wilfrid Voegeli de Wichita à Iwo Jima ou encore Ernest jenkins, noir de New-York recevant la Silver Star des mains de Patton.
Oui les Noirs, et d’autres minorités, existent dans ces livres et l’auteur n’omet pas de rappeler la ségrégation dont ils étaient victimes y compris dans l’armée. Peu étaient affectés dans des unités combattantes, le plus souvent, on les retrouvait à l’arrière dans des unités de logistique ou encore pour les femmes dans des usines ; l’une d’entre elles est choisie par Bob Duncan pour illustrer le mythe de Rosie la Riveteuse, symbole des femmes américaines engagées dans la production de guerre. Une photo rare nous montre même une américain d’origine japonaise au combat sous l’uniforme américain.
Beaucoup de clichés prises sur le vif nous livrent aussi des instantanés : la fatigue, la joie, la souffrance des blessés se lisent sur les visages. Le combat est montré de l’intérieur, de loin. Les hommes débarquent, engagent l’adversaire, sont parfois blessés, plus rarement tués sur ces images ; une seule photo montre véritablement un homme mort : un marine gisant au sol la baïonnette pointée vers l’ennemi.
Une fois la libération d’un territoire entamée, viennent les premières rencontres avec les populations et les premiers prisonniers. En France, rapidement, population et GI’s échangent les premiers mots de remerciement, des informations ou … de la nourriture, moyen le plus universel, d’établir un premier contact.
Les prisonniers sont eux nombreux en Europe : beaucoup d’Italiens après la reddition du pays, des Allemands aussi lors de la campagne de France, très rarement des Japonais. Une image peu fréquente en présente deux sortant des ruines d’une ville d’Iwo Jima, les mains en l’air.

Des images inédites pour la plupart, un commentaire parfois trop « américain» mais au final deux beaux objets. On a là l’image d’une Amérique toute entière tournée vers la victoire, d’une Amérique, arsenal des démocraties, d’une puissance industrielle ou comme l’auteur l’affirme d’un « colosse qui émerge ».

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