Compte rendu par Jacques MUNIGA

Les Editions du Cavalier Bleu nous présentent, un ouvrage sur l’Islam et le Coran dans la collection « idées reçues ». Ce n’est pourtant pas un ouvrage qui baigne dans la nouveauté car, il est le fruit de la réunion de deux livres du même éditeur.
Le premier a été édité en 2007 sous le titre « le Coran ». Les auteurs en sont Cuypers Michel, Gobillot Geneviève. Le deuxième est paru en 2009 sous le titre « l’Islam », l’auteur est Balta Paul (un compte-rendu de cet ouvrage pourra être consulté à l’adresse : http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2243).
Mais d’après Paul Balta qui rédige l’introduction, il s’agissait « de favoriser une meilleure compréhension et montrer les multiples évolutions que l’Islam et son interprétation du Coran ont connu du VIIe siècle à nos jours, dans de nombreux domaines ».

Le lecteur est cependant en droit de s’interroger sur la pertinence du présent ouvrage sachant qu’il n’est que la compilation des deux autres. Les titres des parties sont inchangés, le nombre de pages aussi. Pour preuve, chaque livre séparément compte 128 pages et celui-ci 268 !
Sachant par ailleurs que la parution s’est faite à la cadence d’un tous les deux ans (2007/2009/2011) on est encore plus étonné.

Quoiqu’il en soit, qu’apporte le livre ainsi conçu ?

Il faut tout d’abord reconnaître que le fil conducteur apparaît clairement. Un fil conducteur qui fait ressortir l’imbrication du Coran d’une part et de l’Islam d’autre part ; tous deux participant à la « construction » du Musulman. Un Musulman qui aujourd’hui, plus qu’hier, pose beaucoup d’interrogations au monde occidental.

Le présent ouvrage est articulé autour de cinq chapitres qui dressent un tableau des idées reçues. Partant de l’Islam dans l’histoire, les auteurs nous font découvrir les fondements de la foi pour arriver au Coran et à la pratique de l’Islam, toujours sous l’angle des idées reçues déconstruites pour reconstruire une réalité des faits pour ne pas dire une vérité. Puis, plus proche de nous historiquement, les auteurs consacrent les deux derniers chapitres à la société musulmane avant de brosser le tableau de l’Islam confronté au monde moderne.

Si ce n’est donc un nouveau texte, c’est du moins une nouvelle approche : une approche cohérente et pertinente.

Malgré cela, l’ensemble paraît un peu difficile à aborder. Pourquoi ?
Parce que les auteurs ont conçu chaque sous-chapitre comme une analyse a priori rigoureuse, faisant appel à des notions tirées du Coran évidemment, mais aussi de la Bible et du Nouveau Testament. S’agissant toujours d’arguments pour étayer leurs démonstrations, ils font effectivement référence aux sources. Mais le lecteur lambda aura-t-il une culture suffisante pour mettre cette argumentation en perspective ou, se contentera-t-il de prendre pour argent comptant l’explication fournie par cet ouvrage ?

A n’en pas douter, les auteurs de cet ouvrage cherchent à « réhabiliter » les Musulmans par une approche plurielle des idées reçues sur l’Islam et le Coran. Le point de départ comme le souligne Paul Balta, c’est le 11 septembre 2001. A partir de cette date, l’islamophobie s’est nourrie autant des nombreux préjugés forgés au fil des siècles que des nouvelles interprétations erronées du Coran et de l’Islam. C’est pourquoi le premier chapitre s’ouvre sur l’Islam dans l’histoire.

1) L’Islam dans l’histoire

Dans cette première partie, les auteurs s’intéressent tout d’abord à l’homme et au livre qui sont à l’origine de l’Islam. Vrai ou faux prophète ? Qui est l’auteur du Coran ? Telles sont les interrogations qui amèneront à déconstruire les idées reçues. Mais, en guise de démonstration, nous avons une très courte biographie du prophète Mohamad au cours de laquelle il est rapidement fait allusion à une des pierres d’achoppement à savoir : Jésus est-il fils de Dieu ? Sans apporter d’argumentation les auteurs concluent cette partie en évoquant J-J. Rousseau et Lamartine qui ont « réhabilité » Mohamad et le Concile Vatican II (1962-1965) qui a « prôné le dialogue islamo-chrétien reconnaissant implicitement le caractère prophétique de Mohamad ». Il aurait peut-être été de bon ton de placer cet extrait de Lamartine dans « Voyage en Orient » où il présentait l’Islam comme un « Christianisme purifié ».
Il en est de même pour la « rédaction » du Coran. Michel Cuypers et Geneviève Gobillot soulignent, sourates et versets à l’appui, l’illettrisme du Prophète et relatent que la « mise en page » est postérieure à Mohamad ce que personne ne conteste. Ensuite, ils terminent en écrivant que « certains chercheurs avancent l’hypothèse que ce n’est pas seulement la mise en forme du texte qui doit être ainsi postdatée, mais aussi une partie plus ou moins importante de ses contenus ». Et puis, plus rien. Le lecteur reste sur sa fin…
Suivent ensuite deux parties consacrées à l’Islam et la guerre. Faisant le grand écart entre les guerres de conquête du vivant du prophète et les derniers rebondissements de la guerre en Irak et les actions de Ben Laden les auteurs dressent un tableau très succinct en essayant d’opposer les croisades et autres conflits occidentaux à l’encontre des pays musulmans au djihad.
La fin de ce chapitre tente d’apporter des éléments positifs au crédit de la civilisation arabo-musulmane à la quelle on refuse trop souvent la réalité de sa période prospère dans de nombreux domaines. Les auteurs rappellent aussi que cette civilisation a été pour l’occident, le trait d’union entre l’antiquité et la Renaissance.
Enfin pour conclure ce chapitre historique, les auteurs tentent de déconstruire l’idée reçue selon laquelle « il n’y a pas de doctrine cohérente dans le Coran » avant d’entrer dans un chapitre tout entier consacré aux fondements de la foi.

2) Les fondements de la foi

Avec ce chapitre, les auteurs sont davantage dans les idées reçues telles que nous les apportent quotidiennement les médias mais aussi les discussions que l’ont pourrait qualifier de « discussions de café du commerce ».
Construit autour de cinq chapitres, on sent les auteurs un peu plus à l’aise. Probablement que les idées reçues sont ici plus faciles à déconstruire. Prenons ce sous-chapitre intitulé « Le Coran a tout dit, il se suffit à lui-même ». Il est vrai que trop souvent nous entendons, dans les médias, dans nos établissements scolaires même, que « le Coran a dit ». Or, les auteurs nous apprennent que souvent la tradition a pu se substituer aux écrits et ils citent en exemple la lapidation. Le Coran ne stipule à aucun moment la lapidation pour quelque motif que ce soit. En revanche, la Thora évoque ce supplice. Ce serait donc sur la base de hadiths relevant de la Tradition que certains Musulmans veulent maintenir la lapidation que Jésus lui-même a refusé lorsqu’il disait : « Que celui qui n’a jamais pêché, lui lance la première pierre ».

Il en est de même de cet autre sous-chapitre intitulé « le paradis coranique est très sensuel ». Certes, le Coran décrit le paradis comme un lieu où les fidèles auront « des Houris (femme/filles) aux grands yeux, semblables à la perle cachée, en récompense de leurs œuvres ». Versets qui, selon les idées reçues, pourraient être un élément moteur qui anime les combattants des djihads et autre kamikazes. Là encore, après démonstration, les auteurs soulignent que la réalité des délices paradisiaques est sans analogie aucune avec celle de la terre. Après avoir « sondé » le Coran, les auteurs nous proposent un autre chapitre intitulé « Le Coran et la pratique de l’Islam ».

3) Le Coran et la pratique de l’Islam

Ici, c’est la vie quotidienne qui est abordée. Une vie quotidienne qui se déroule en occident car, en terre d’Islam, ces questions ne se posent tout simplement pas tout au moins sous le même angle.

Prenons un exemple. Dans le chapitre « Le Coran et la pratique de l’Islam », les auteurs nous proposent un sous-chapitre intitulé : « Le Coran oblige la femme à se voiler ». Nul doute que, compte tenu de l’actualité sur le sujet, le lecteur va dévorer cette partie. Que trouve-t-on ? Après une brève introduction qui nous permet d’apprendre que le port du voile n’est pas spécifique à l’Islam, les auteurs abordent les versets du Coran qui y font référence.
Cinq versets sont mentionnés pour l’argumentation. Un seul sur les cinq est rapporté. Et c’est justement celui qui a une portée assez générale puisqu’il dit : «O Prophète, Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles : C’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées ». Et sans explication aucune, les auteurs poursuivent en écrivant : « Mettant en doute leur origine divine, des incroyants ont relevé le caractère circonstanciel de ces textes et les contradictions existant entre certaines sourates. »

Oui mais… Il aurait été intéressant de relater ce caractère circonstanciel. S’agissant d’un sujet aussi brûlant que le voile, le livre aurait gagné à éclaircir les différents contextes dans lesquels baignent ces cinq versets.
Au contraire, s’appuyant sur ce verset, les auteurs dégagent « qu’il s’agit d’une recommandation non assortie d’une punition ». Partant de là, on découvre un tableau concis de la condition féminine à travers les âges et les régions. On y parle de voile qui couvre plus ou moins le corps de la gente féminine mais aussi des émancipations comme le statut de la femme promulgué sous Bourguiba (Tunisie) en 1956 et toujours en vigueur.

D’autres sous-chapitres abordent la viande hallal, l’interdiction de l’alcool ou la proscription des images avec autant de « maladresses » que pour le voile. Il est vrai que ces thèmes qui mettent en œuvre des cultures différentes et donc des approches différenciées sont propices aux idées reçues mais sont difficiles à déconstruire pour reconstruire une réalité des faits. Il s’agit donc davantage de faits sociétaux. C’est probablement pour cette raison que les auteurs consacrent le chapitre suivant à « la société musulmane ».

4) La société musulmane

Là encore les thèmes abordés sont, par leur titre, accrocheurs même, si parfois il y a redondance avec des thèmes précédents. Pour preuve, le sous-chapitre intitulé « le Coran infériorise la femme » recoupe en partie celui qui est évoqué plus haut traitant du voile.

Ceci étant, les thèmes concernent également une brûlante actualité comme ces titres : « Le Coran confond les domaines politiques et religieux ou L’Islam est incompatible avec la laïcité ».
Mais, une fois encore, les auteurs avanceront sur un terrain miné. Effectivement il est de coutume d’entendre que le Coran mêle les domaines politiques et religieux. Les références à ces tendances « fâcheuses » sont nombreuses dans le présent ouvrage et remontent souvent assez loin dans l’histoire. Mais, le peu de pages qui y sont consacrés ne permettent pas de « tordre le cou » à cette idée reçue. En effet, le Coran n’est ni un traité de science politique, ni un traité de science religieuse. C’est un message pour aider les hommes à retrouver le chemin vers Dieu, un message déjà présent dans la Bible et le Nouveau Testament, mais un message que les hommes ont travesti pour assouvir leurs vices : cupidité, avarice….

Quant au second titre sus-relaté il faut reconnaître que, dans le quotidien nous pouvons entendre cette « idée reçue ». Elle est évidemment dépourvue de sens logique. Autant dire que le Catholicisme est incompatible avec la laïcité. Mais, la laïcité n’implique-t-elle pas de se dédouaner de toute autorité religieuse ? Dans un Etat laïc les religions sont, en principe, tolérées. Mais on ne peut pas concevoir que dans un Etat Catholique ou Islamique, la laïcité soit tolérée. Dès lors le lecteur est en droit d’attendre des auteurs qu’ils « tordent le cou à cette idées reçue ». Il n’en est rien. L’ouvrage fait seulement « l’éloge » des pays de culture arabo-musulmane qui ne sont pas hostiles à la laïcité citant aussi au passage ceux qui appliquent ou appellent de leurs vœux l’application de la charia. Ce qui permet aux auteurs de terminer sur un dernier chapitre concernant le rapport entre l’Islam et le monde moderne.

5) Islam et monde moderne

Le titre déjà est évocateur. Les auteurs opposent Islam et modernité. En soi c’est une idée reçue mais à aucun moment le livre ne tire argument de sa première partie évoquant que l’Islam était justement modernité au moment où l’Occident baignait dans l’obscurantisme moyenâgeux. L’Islam ne serait donc plus moderne aujourd’hui face au développement sans commune mesure d’un occident hier encore colonisateur des pays de culture arabo-musulmane.

Les titres de ce chapitre sont certes dans l’air du temps mais le lecteur y trouvera-t-il son compte ?
Le sous-chapitre intitulé « Le Coran est responsable de la violence de l’Islam », le lecteur s’attend à trouver de la violence au quotidien, dans son quotidien. Au lieu de cela, il est fait référence aux versets coraniques qui appellent les Musulmans à combattre. Certes la guerre est violence mais peut-il en être autrement ? En quoi le Coran serait-il responsable de cette violence ? Les auteurs n’en disent rien. Ils se contentent de rappeler le contexte historique et font au passage référence à la Bible.

Concernant le sous-chapitre « L’Islam n’intègre pas la modernité », l’angle d’attaque des auteurs est tout aussi flou. En effet, simplifiant leurs propos, ils soutiennent que la recherche notamment est un signe de modernité. Or, écrivent-ils les pays de culture arabo-musulmanes ne sont pas en première place mondiale dans ce domaine et même très loin de là. C’est vrai. Mais leur argumentation principale repose sur leurs dépenses importantes en armements, sur le taux d’illettrés etc.… Mais à aucun moment il n’est fait allusion à leur statut de pays colonisés autrefois militairement et aujourd’hui économiquement. Les auteurs écrivent que « l’accélération du rythme de l’histoire a entraîné le monde musulman, bon gré mal gré, dans la modernisation ». Non, la mondialisation a entraîné ces pays dans la consommation laquelle engendre une certaine modernité aux yeux des occidentaux.

En conclusion :

C’est un livre que l’on pourrait qualifier d’attachant et d’irritant à la fois.
Attachant parce qu’il aborde véritablement les idées reçues concernant l’Islam et le Coran, deux sujets étroitement liés et souvent d’une actualité brûlante. Irritant parce l’ouvrage est normalement conçu pour déconstruire ces idées reçues afin de reconstruire pour le lecteur des éléments de réponses permettant une réflexion objective. Or, il faut le dire, les auteurs n’y arrivent que partiellement. Mais on est toutefois enclin à leur pardonner car le Coran lui-même souligne dans la sourate 3, verset 7 que « On y [dans le Coran] trouve des versets sans équivoque et d’autres qui peuvent prêter à diverses interprétations. Les personnes dont les cœurs penchent vers l’erreur mettent l’accent sur les versets à équivoque, car elles recherchent la discorde […] ».

Jacques Muniga © Les Clionautes