« Amas d’objets disparates dont des barriques dont elle tire son nom », la barricade devient, avec ce livre, objet d’histoire. Le sous-titre indique aussi clairement l’orientation du récit original mené par Eric Hazan. Le slogan évoque  » une histoire vivante, dont les objets sont les personnages inattendus

Une nouvelle collection originale

Philippe Artières a inauguré, avec « La banderole », cette collection intitulée « Leçon de choses », référence clairement assumée à Georges Perec. . C’est donc à un voyage au pays des objets que nous invite dans le cas présent Eric Hazan. Signalons que d’autres ouvrages sortent au même moment comme l’un consacré au cadeau de Noël.
Eric Hazan est déjà l’auteur de « L’invention de Paris » en 2002 ou d’une « Histoire de la Révolution française » en 2012. On sent chez l’auteur une attention et une sensibilité réelle à l’histoire des anonymes. Lors d’une table ronde récemment il signalait qu’en plus des lieux de mémoire il faudrait aussi être attentif aux lieux de l’oubli. L’ouvrage est complété par quelques photographies, un index et des notes.

Qu’est-ce qu’une barricade ?

Eric Hazan s’attelle déjà à cerner son sujet. Il définit une date de naissance. Le mot est né fin XVIe dans le contexte des guerres de religion. A l’époque, les barricades sont le fait de l’aristocratie alors qu’au XIXe siècle ce seront les ouvriers qui les érigeront. Il montre qu’il ne s’agit pas d’un « retranchement ordinaire » et il invite à une histoire sur trois siècles avec une focalisation sur le XIXe siècle. Il propose l’étude de onze moments différents qui ont vu des barricades. Plusieurs chapitres sont consacrées à l’année 1848. Il caractérise chaque épisode comme pour Lyon avec les premières barricades prolétariennes. Eric Hazan note également que, malgré ce temps long, la technologie de la barricade évolue peu au fil du temps. Il signale également qu’il y en eut relativement peu durant la Révolution française. Il choisit de clore son étude à la fin du XIXe siècle : on y reviendra.

De longues citations et des plans

L’auteur choisit de proposer des plans pour montrer les barricades et leur positionnement. Il privilégie aussi les longues citations qui sont autant de moyens de restituer l’ambiance de l’époque. Il choisit aussi de raconter jour après jour, ou par heure les épisodes. Il mêle sa voix à celle des témoins pour créer un récit vivant. En même temps, ils sont tous restitués dans leur contexte.
On peut citer comme révélateur le chapitre sur les barricades de 1830 avec Chateaubriand et Alexandre Dumas convoqués comme témoins, ou sur 1851 avec Victor Hugo. Lyon était alors la première ville industrielle de France et 90 000 personnes vivaient du tissage de la soie. Sur les journées de Lyon en novembre 1831, Eric Hazan raconte jour après jour :  » le dimanche 20 novembre 1831, les chefs d’atelier et les compagnons …décident une manifestation pacifique le lendemain dans toute la ville.  »
Eric Hazan convoque dans d’autres chapitres des acteurs moins connus, comme Prosper Olivier Lissagaray à propos de la Commune. Ce combattant a d’ailleurs passé le reste de sa vie à étudier l’histoire des événements qu’il a vécus.

Paris, capitale internationale de la barricade

Ce n’est sans doute pas un hasard si Paris fut associé à la barricade, et ce, au-delà du XVI ème siècle. Paris disposait d’une topographie favorable à la barricade au contraire de villes réaménagées telles Londres ou qui se voulaient modernes dans leur construction comme Berlin.
Paris fut le lieu d’accueil des réfugiés politiques au XIX ème siècle. Lorsqu’ ils repartirent, ils exportèrent également la technique dans leur pays. Ce fut au printemps de 1848 que la barricade s’exporta en masse en Europe. Cet objet, appelé à être détruit, a tout de même parfois laissé des traces tangibles comme dans le célèbre tableau d’Eugène Delacroix  » La liberté guidant le peuple » ou encore dans la littérature grâce à Gavroche.

Du sens et de l’avenir des barricades

Tout au long du XIX ème siècle, la barricade fut donc, selon Eric Hazan, une « forme symbolique de l’insurrection ». Il signale ainsi qu’elle était dressée par les habitants de cette même rue, mais comme le prolétariat a été contraint de travailler de plus en plus loin de là où il vivait, l’enjeu s’est déplacé vers l’usine. Les foyers insurrectionnels ont donc migré de plus en plus du centre vers la périphérie. C’est pour cela qu’il choisit de ne pas évoquer d’autres barricades comme celles de Barcelone en 1936 ou de Paris 1944.
La barricade est avant tout un blocage et elle n’est sans doute plus adaptée aux conditions actuelles. En revanche, on pourrait trouver des équivalents modernes avec le blocage des flux ferroviaires ou informatiques.

Au total, la barricade est donc plus qu’un objet car, à travers elle, c’est une histoire politique et aussi de la révolte populaire qui peut être envisagée. Ce livre ouvre donc des perspectives et c’est bien là l’essentiel. Il creuse le sillon d’une collection originale qui donne envie d’en poursuivre l’exploration.

© Jean-Pierre Costille, pour les Clionautes.