Dans le cadre de l’Année Internationale de la Pomme de terre, organisée par l’O.N.U. en 2008, le comité national interprofessionnel de la pomme de terre a organisé un colloque dont cet ouvrage constitue les actes. Complété d’un CD de chansons dédiées au tubercule, il s’inscrit dans les travaux de l’institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation en collaboration avec l’Université François Rabelais de Tours.
L’ouvrage présente les contributions du colloque réunissant des universitaires de 11 pays européens mais aussi américains et même asiatiques. Une introduction présente le contexte et les diverses thématiques abordées. Malgré quelques répétitions car l’histoire de la pomme de terre en Europe présente bien des similitudes, on lira quelques contributions originales ou gourmandes.

De l’introduction de la pomme de terre en occident à sa diffusion en Europe.

Ce sont les frères Bauhin, botanistes et médecins protestants réfugiés à Bâle qui ouvre cette première partie avec une réflexion sur le classement botanique de la pomme de terre dans la famille des solanacées qui lui vaut une mauvaise réputation liée aux autres plantes de la même famille: mandragore, jusquemiane. L’étude descriptive est permise par les premières tentatives de culture en pays franc-comtois, le tubercule t est consommé par les animaux et les hommes dès la fin du XVIIe. Diverses citations évoquent les premières recettes, présenté comme aphrodisiaque mais aussi les « légendes » qui le mettent en relation avec la lèpre.

En France, dès 1761, c’est l’idée d’en faire un pain pour éviter les disettes qui est prôné par trois agronomes économistes: Cadet de Vaux, Grillon de Villéclair puis Jean Edmond Briaune. Ce sont les techniques de transformation de la pulpe mais aussi la valeur nutritionnelle du produit et l’intérêt économique face à la cherté des grains qui sont décris. Ces idées suscitèrent pourtant une opposition au profit de la consommation directe en substitution du pain.

Un petit tour en Italie où la méfiance fut longtemps dominante et la promotion orchestrée par les pouvoirs publics à la fin du XVIIIe. Les écrits de Buldini ou d’Amoretti mirent en avant la capacité à soigner et l’intérêt de la pomme de terre pour diversifier la monotonie alimentaire, mais ce sont les hommes d’Église qui jouèrent le plus grand rôle dans cet éloge. On découvre aussi que les promoteurs se sont intéressés aussi aux façons de l’accommoder. Aliment destiné aux pauvres, la pomme de terre gagne la « haute cuisine » au XIXe sous la plume du célèbre cuisinier Vincenzo Corrado où elle remplace la farine dans la réalisation des gnocchi. Malgré tout son usage est resté modeste dans la cuisine italienne où les pâtes fraîches occupent une grande place.

Restons en Italie avec l’évocation de l’agronome et médecin toscan Francesco Chiarenti qui publie au début du XIXe un traité. Face aux dérèglements climatiques attribués aux éruptions volcaniques du volcan indonésien Tomboro (1811-1818) et surtout de la succession de mauvaises récoltes qui affectent et en particulier la famine de 1816, les autorités italiennes cherchent à promouvoir la pomme de terre sans grand succès dès le retour de récoltes normales.

On aborde ensuite le XXe en France, avec des statistiques qui montrent la relative stagnation de la production dans la première moitié de siècle. L’article présente les travaux d’André Girard qui fournissent les bases des progrès à venir: taille optimale des tubercules de semence, lutte contre le mildiou, tri des plants, travaux qui s »inspirent des pratiques allemandes et hollandaises et débouchent sur l’évolution de la réglementation et la sélection variétale, vous aurez tout sur ces pommes de terre de votre assiette mais aussi sur le rôle de la Bretagne dans ce secteur.

En Slovénie, comme dans d’autres contrées, c’est d’abord un fourrage avant de devenir une denrée alimentaire pour les hommes en période de mauvaises récoltes puis une base de l’alimentation à la fin du XIXe.

Les représentations de la pomme de terre, des images convenues aux réalités culturelles

C’est par la Norvège que commence le périple dans les réalités culturelles où la pomme de terre est un élément identitaire. Les auteurs de cette contribution narrent l’histoire de son implantation depuis 1750, le rôle des prêtres dans sa promotion pour soulager la misère, son entrée dans l’alimentation bourgeoise perceptible dans les livres de cuisine. Consommée cuite à l’eau en accompagnement du poisson salé, en farine dans la confection des boulettes ou distillée, elle représentait 100kg/habitant par an en 1950, ce sont plus que 35kg/habitant en 2000. Ce produit dont le commerce fut longtemps contrôlé par l’état a eu longtemps une image « disciplinaire » pour devenir aujourd’hui un symbole culturel.

Partant de l’idée qu’un titre culinaire est un révélateur des représentations associées au produit c’est à un voyage en France que nous convie la contribution suivante. La pomme de terre eut pendant longtemps des noms très divers d’une province à l’autre, nourriture populaire, elle apparait tardivement (1790) et modestement (15 lignes) dans les livres de cuisine. Elle entre véritablement en scène au XIXe dans les recettes qui lui sont consacrées et dans les dîners officiels dont les menus sont étudiés en détail. Son goût peu prononcé, sa présence dans de nombreux pays en ont fait un aliment neutre dans les repas diplomatiques même si les appellations peuvent faire sourire: comment décliner sous un nom pompeux le modeste légume. Aujourd’hui présente sur la table des plus grands restaurants se pose la question de son orientation vers le créneau du luxe.

C’est ce que montre aussi l’étude des menus du grand Hôtel à Paris depuis le XIXe: on y trouve la pomme de terre dans diverses préparations, même si dominent les façons les plus simples: pomme à l’anglaise associée au poisson puis au XXe plus souvent avec des viandes.

Écrire la pomme de terre à l’âge des Lumières: si tout le monde connaît Parmentier, bien d’autres écrits, présentés ici, traitent du tubercule pour le critiquer ou en faire l’éloge. Ses partisans insistent sur le rôle en cas de disette, qualités humanitaire et économique mais avec les textes de Jean de Crevecoeur, original normand qui voyagea en Amérique on va jusqu’à l’utopie.

On ne saurait parler de la pomme de terre sans passer par l’Irlande et la crise de la pomme de terre des années 1846-1847: après des débuts lents, elle était devenue hégémonique au début du XIXe. Les ravages du mildiou provoquèrent une très grave crise sanitaire, sans doute plus d’un million de morts et une émigration massive mais aussi la montée d’un nationalisme anti-britannique. On assiste aujourd’hui à des commémorations de la « Grande faim », manifestations officielles mais aussi attitude attentive envers les pays touchés par la famine.

Un petit tour du côté du Luxembourg pour une découverte du folklore de la région de Florenville nous invite en octobre à la fête de la pomme de terre qui est une occasion pour présenter les témoignages des anciens recueillis sur les pratiques alimentaires, les pratiques agricoles, les ravages et la lutte contre les doryphores, le marché mais aussi les chansons à la gloire du tubercule.

Avec la contribution suivante, on reste dans la chanson française ou en patois du Nord à la gloire de la purée, des patates ou des frites dont on peut retrouver quelques-unes sur le cd intégré au livre. Au XIXe la pomme de terre est associée à l’idée d’abondance puis c’est la répétition qui est évoquée, une image ambivalente une nourriture modeste et monotone même si les diverses façons de la cuisiner sont présentent dans les chansons. C’est aussi pour l’auteur l’occasion de tenter une géographie de la pomme de terre avant de conclure sur les usages argotiques et métaphoriques.

La baraque à frites est une véritable institution dans le Nord de la France comme en Belgique, elle s’inscrit dans la tradition du commerce ambulant des villes en mutation du XIXe, associé au succès d’un aliment peu cher et vite préparé que l’on mange en sortant de l’usine. Quelques cartes postales illustrent le propos et attestent du succès de ces très petites entreprises familiales. Après 1950 on assiste à de profondes transformations liées à la motorisation de la baraque puis à un début de sédentarité associée à l’introduction de nouveaux produits: sauce au picalili, puis viande ou brochette. Cela marque le passage d’une nécessité alimentaire à un loisir festif teinté de nostalgie.

On ne saurait évoquer la frite sans un article sur les « french fries » ici en tant qu’objets culturels dans la littérature. Si Roland Barthes a cité la frite comme un symbole de l’identité française, l’auteur de cette contribution la traque dans la littérature française de Zola à Cendras et propose un parcours culinaire dans la littérature française et américaine où les « french fries » ont une connotation ambivalente.

Mais qu’en est-il le la représentation du tubercule dans sa patrie, la Bolivie? Un fossé culturel s’est creusé entre citadins et paysans andins en particulier dans les modes de consommation. Pour le comprendre les auteurs reviennent sur la géographie et l’histoire du pays, la place de la pomme de terre dans l’activité agricole des plateaux andins, les très nombreuses variétés (plus de 700), sa mythologie, les techniques culturales et les rituels de plantation: l’ispalla et les formes de consommations, inconnues en Europe: le chuño (pomme de terre amère séchée) et la tunta (pomme de terre gelée).

Qu’en est-il de l’Asie? L’objet de la contribution suivante est de présenté une réalité hongkongaise: les cha chaan teng ou tea-café, lieu identitaire et lieu de rencontre entre orient et occident. L’auteur cherche à comprendre cette réalité aujourd’hui mais en retrace l’histoire, lieu révélateur de la relation des habitants aux pouvoirs chinois ou coloniaux. Elle décode, en suivant les leçons de Claude Levi-Strauss, les menus et les mets (origine, nom) dans l’offre du restaurant le Taï Ping. Un parcours à la fois historique et culturel avec de nombreuses adresses, un article à lire si vous avez l’occasion d’aller à Hong Kong.

Les marchés contemporains de la pomme de terre et les enjeux sociaux de la consommation

Quatre articles pour cette troisième partie et tout d’abord la place du tubercule dans l’alimentation des civils pendant la première guerre mondiale et les politiques de rationnement, de contrôle des prix et les réquisitions en Belgique, en Allemagne, en France, au Royaume-uni … et même dans l’empire ottoman face aux trafics, à la spéculation et au mécontentement des populations civiles.

Au XXe siècle les modes de consommation changent, comment, en France entre 1950 et 1980 on passe de la pomme de terre à la purée en flocon, du champ à l’industrie. De base de l’alimentation, avec un poids réel dans le budget des ménages on passe à une denrée secondaire et peu chère. L’auteur rappelle que derrière les statistiques il ne faut pas oublier la forte autoconsommation du premier XXe siècle, une grande place dans les livres de cuisine pour une consommation pourtant routinière avant que la diversité gustative et les formes industrielles ne gagnent du terrain au moment même où le super-marché devient le lieu d’approvisionnement des familles. L’auteur analyse l’histoire de la purée mousseline en flocon.

C’est à une autre aventure industrielle qu’est consacrée la contribution suivante: 1956-2008 – la pomme de terre globalisée par la chaîne productive structurée autour de Mc Cain et Mc Donald ou l’histoire d’un succès industriel dans un monde uniformisé tant en matière économique qu’au niveau des modes de vie et de consommation. L’auteur analyse la forme entrepreneuriale, le choix de l’innovation technologique et de la standardisation: la même frite, le même goût, la même présentation partout dans le monde. Ce qui conduit au contrôle de la production agricole en amont, à la taylorisation du secteur tertiaire, à l’organisation d’une logistique maximum. Leur succès est à rapprocher d’une demande croissante de restauration simple, rapide hors du foyer et d’une consommation domestique du « prêt à consommer ». L’usage de la publicité et l’image de marque ont fait de ces deux entreprises un révélateur de la mondialisation.

La stratégie marketing en Croatie vient clore l’ouvrage: après une présentation du contexte de la culture de la pomme de terre, la relative faiblesse de la production, l’auteur présente les études mises en place dans ce pays pour améliorer la filière et la crainte exprimée par les producteurs en cas d’entrée dans l’Union européenne.

La conclusion permet un rappel de l’action de la F.A.O. en faveur de la pomme de terre pour sa valeur nutritive, sa capacité d’adaptation et son rôle dans l’alimentation des plus pauvres.

Une bibliographie étoffée et une sitologie complètent un ouvrage certes très spécialisé mais qui peut fournir quelques éléments nouveaux à l’enseignant dans l’approche de thème: nourrir le monde.