Alphonse de Poitiers, comte de Poitiers et de Toulouse, frère de saint Louis, est le plus puissant baron du royaume. Dans cet ouvrage, Gaël Chenard revisite l’historiographie de ce personnage (qui date de la fin du XIXe siècle) et à travers lui, celle de son administration dans le Poitou. L’historien propose une étude complète et extrêmement poussée de la gestion des territoires par un prince au milieu du XIIIe siècle.

Ancien archiviste paléographe (promotion 2008) de l’École des Chartres, Gaël Chenard a réalisé une thèse de doctorat sur l’administration d’Alphonse de Poitiers en Poitou (1241-1271) à l’université de Poitiers (soutenue en décembre 2014). Il est, depuis février 2017, directeur des archives de la Vienne (Poitiers).

 Le Prince de Fleur de Lys

Cette première partie vise deux objectifs. Le premier objectif vise à évacuer deux à priori qui ont la vie tenace dans l’historiographie de ce personnage (le premier est de rejeter l’idée que l’histoire d’Alphonse de Poitiers ne se résume qu’à l’histoire de son administration dans le Poitou et le second est d’abandonner l’idée qu’il ne fut qu’un prince docile dans l’ombre de son frère, le roi Louis IX). Le deuxième objectif aspire à préciser la nature du pouvoir du comte de Poitiers dont le rôle se tient à mi-chemin entre le grand feudataire – en tant que comte de Poitiers – et le roi, son frère;

Alphonse de Poitiers, prince de fleur de lys, partage avec ses frères une communauté de vues (les idées et ambitions capétiennes, un attachement profond au vieux domaine, l’idée de croisade) et une communauté des moyens (le vivier des serviteurs d’Ile-de-France). Gaël Chenard tente de faire reconnaître au comte de Poitiers une histoire propre, distincte du roi, sans pour autant tomber dans l’excès inverse en faisant de lui un opposant de Louis IX. En résumé : ni rupture brutale, ni sujétion docile mais un juste milieu, celui de l’opposition respectueuse au roi (qui peut prendre la forme d’une absence délibérée à la Cour du roi par exemple).

Dans l’ombre du Siècle de saint Louis, qui est « une nouvelle phase de construction de la puissance publique autour d’une exaltation de la souveraineté », le comte de Poitiers défend un modèle différent : celui d’une souveraineté élargie aux princes de sang. Ce modèle se veut complémentaire du modèle royal, en renforçant la puissance publique à son profit, en indexant son pouvoir sur celui de Louis IX.

Le Comte de Poitiers

Dans cette deuxième partie, l’auteur se propose d’exposer les aspects les plus significatifs de la politique domaniale d’Alphonse dans le Poitou – et tout particulièrement avec un retour sur la révolte des barons poitevins et sa victoire sur ces-derniers, suivie par le maintien sur ses terres de la paix pendant 30 ans. La reprise en main comtale passe notamment par une reconquête des forteresses et un redressement des droits seigneuriaux. Il rallie à lui la noblesse poitevine en appliquant à merveille un contrat simple qui doit convaincre les barons de leur intérêt à dépendre du comte – dans le strict programme idéologique capétien– : le respect des droits et des coutumes de chacun et la promesse d’une justice effective et équitable contre la reconnaissance absolue de l’autorité seigneuriale du prince. Il intègre également une partie des élites économiques à la gestion des revenus comtaux par le biais du système de l’affermage des prévôtés et des revenus.

Gaël Chenard s’intéresse ensuite à la présence réelle du pouvoir dans les territoires d’Alphonse de Poitiers. Par une étude serrée sur les officiers locaux (sénéchal, prévôt, bailli, sergent, lieutenant, etc.) et les conditions dans lesquelles ils travaillent. Il nuance, là encore, l’idée que l’on retrouve dans l’historiographie traditionnelle et qui veut voir dans la nouvelle organisation administrative mise en place par Alphonse de Poitiers la volonté centralisatrice du prince. En prenant comme exemple la généralisation de l’affermage des prévôtés, qui va à l’encontre de cette centralisation.

L’Administration centrale

Dans la troisième et dernière partie de cet ouvrage, l’historien chartiste dessine les principes généraux sur lesquels repose l’administration pendant les 30 ans de gouvernement d’Alphonse de Poitiers. Sa politique n’est pourtant pas une suite linéaire et logiquement ordonnée. Deux courants de pensée s’opposent dans le milieu du XIIIe siècle et que l’on voit à l’œuvre dans le cas de l’administration du comte de Poitiers. D’une part, la volonté d’appliquer dans le Poitou la simplification poussée de l’administration domaniale – recette appliquée dans le domaine royal depuis le règne de Philippe Auguste –. Autrement dit, permettre à l’administration de fonctionner avec très peu d’hommes formés. D’autre part, la spécialisation toujours plus poussée des fonctions administratives qui pousse à étoffer l’administration en recrutant des cadres mieux formés.

En outre, l’extension du domaine – le domaine royal aussi bien que les territoires appartenant à Alphonse de Poitiers – nécessite également une multiplication des officiers, tandis que dans le même temps les territoires se trouvent de plus en plus éloignés de leur prince. Dans le cas du comte de Poitiers, celui-ci fait le choix d’un gouvernement à distance (depuis l’Ile-de-France) car il ne souhaite pas se passer de son réseau de connaissances et de personnels de confiance (qu’il partage avec son frère le roi). Pour le dire simplement : en Ile-de-France, Alphonse se trouve dans sa zone de confort pour gouverner.

Gaël Chenard met en évidence les transformations de l’administration qui en résulte : une concentration auprès du prince des fonctions les plus techniques et du personnel le plus qualifié, avec dans le même temps, le maintien d’un personnel peu spécialisé dans l’administration locale et une extension du système de la ferme. L’administration d’Alphonse de Poitiers bascule graduellement d’une administration de la maîtrise (gestion personnelle et directe du prince) vers une administration du contrôle (gestion fonctionnelle du prince).