Les idées reçues sur l’Afrique sont tellement nombreuses que la mise à jour de l’édition de 2006 était rendue nécessaire pour rétablir la vérité et lutter contre les propos de café du commerce énoncés partout, y compris dans les médias ou par certains partis politiques. Entre les images dramatiques de migrations, de terrorisme ou d’épidémie affectant le sous-continent africain et celles annonçant l’avènement de la Chinindiafrique titre de l’ouvrage de Boillot, paru en 2013 chez Odile Jacob, il semblait nécessaire de faire la clarté sur tout cela. Toutefois, « l’ouvrage n’apporte, en fait, aucune vérité définitive sur ce sous-continent, mais des éléments partiels permettant au lecteur de construire sa propre vision par confrontation de ces différentes facettes, éclairées au travers des clichés ou lieux communs les plus prégnants. Nous renvoyons à la lecture des Afriques au défi du XXIème siècle (2014, Belin), tous ceux qui souhaitent analyser comment nous entrevoyons l’avenir des pays et des peuples subsahariens. » (p. 7).

Georges Courade, directeur de recherches honoraire à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), est la cheville ouvrière de cette entreprise éditoriale de longue haleine. Commencée en 2000, cette aventure a rassemblé les contributions des spécialistes de l’Afrique subsaharienne selon leur sujet de prédilection. Il a été nécessaire de renouveler l’équipe pour cette nouvelle édition, certains étant décédés, d’autres ayant changé de sujet de recherche. De même, le plan de l’ouvrage a dû être repensé pour tenir compte des évolutions « dans la mesure où une vision clairement optimiste du futur du continent s’est fait jour, avec son inévitable lot de stéréotypes et poncifs » (p. 9). Ainsi, si des idées reçues ont la vie dure, d’autres relatives à l’urbanisation et aux changements sociétaux sont apparues, dont l’importance se lit dans le plan de l’ouvrage, les deux dernières parties étant désormais consacrées à « Campagnes archaïques et villes prédatrices » et « Les lions africains sur la ligne de départ ? » en lieu et place de « Le progrès doit être imposé à des paysan(ne)s archaïques » et « L’Afrique est partie… mais dans quelle direction ? » .

L’introduction de l’ouvrage est l’occasion de présenter les deux grandes thèses en œuvre à propos de l’Afrique. Celle de l’optimisme macroéconomique, présentée par une citation du roman de Nicolas Baverez « … les Trente Glorieuses africaines sont marquées par une croissance supérieure à 8% par an. Mais son moteur se trouve plus dans la consommation que dans l’exportation. La création du Très Grand Marché africain en 2027 a encore accéléré son élan… La spirale positive entre les gains de productivité du travail et le niveau de vie et la rentabilité du capital entretient une croissance intensive… La révolution verte valorise le stock de terres arables disponibles, faisant de l’Afrique le grenier du monde. Elle nourrit sans difficultés notre population : 1,8 milliard de femmes et d’hommes ! » Nicolas Baverez, 2014, Lettres béninoises, donne une vision très confiante du futur du sous-continent en pariant sur le maintien d’une croissance économique de 5%/an (en intégrant les activités informelles), porteuse de l’essor d’une classe moyenne bénéficiaire de la « petite prospérité », sans pour autant négliger la place tenue par la corruption, pénalisant le développement. La thèse des afro-pessimistes, introduite par deux extraits de textes fort à propos Hegel, 1965 « L’Afrique, aussi loin que remonte l’histoire, est restée fermée, sans lien avec le reste du monde ; c’est le pays de l’or, replié sur lui-même, le pays de l’enfance qui, au-delà du jour de l’histoire consciente, est enveloppé dans la couleur noire de la nuit… nous voyons l’homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation. » Hegel, 1965, La raison dans l’histoire. et Sarkozy, 2007 « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. (…) Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. » Nicolas Sarkozy, Dakar, 26/07/2007, regroupe à la fois la mouvance tiers-mondiste dénonçant la domination économique du Nord sur l’Afrique, la tendance néo-libérale rendant les Africains uniques responsables de leur sort mais aussi l’afro-pessimisme d’inspiration essentialiste estimant que les normes, les cultures et les mentalités des individus et sociétés africaines sont contraires au progrès. Cette mouvance est aussi représentée en géopolitique avec ceux voyant dans la surpopulation et les terroristes que certains territoires abritent, des menaces pour les pays riches. Les deux grandes thèses ne tiennent pas la même place dans le texte puisque treize pages sont consacrées à l’afro-pessimisme contre 5 à l’optimisme.

Chacune des idées reçues est ensuite traitée dans de courts chapitres (de 5-7 pages), accompagnés d’une bibliographie et d’une sitographie. Certaines idées reçues sont particulièrement bien traitées (« Ce sont les Africains les plus pauvres qui migrent vers l’Europe » par Christine Follana, sociologue ; « La forêt recule » et « le désert avance » par Alain Morel, géographe ; « Les guerres de religion déstabilisent l’Afrique » par Maud Lasseur, géographe, « les enfants des rues : enfants du ghetto ou enfants invisibles ? » par Marie Morelle, géographe ; pour n’en citer que quelques-uns) tant le texte est bien problématisé et convaincant. Les chapitres sont ponctués d’encarts faisant le point sur certains pays ainsi que de cartes fort utiles. La lecture de l’ensemble est très aisée et peut se faire de manière linéaire comme plus ponctuelle.

Une lecture à recommander.

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes