Donner une idée du Grand Siècle en regroupant un certain nombre de textes issus des Mémoires, redonner la citation exacte de ce qui est utilisé et souvent tronqué, voilà l’ambition de cet ouvrage.
Thierry Sarmant est un prolifique auteur et un merveilleux connaisseur du Grand Siècle tout en exerçant ses fonctions de conservateur en chef au Musée Carnavalet à Paris. Il réunit ici près d’une centaine d’extraits de sources pour illustrer le règne de Louis XIV.

Le grand champ d’héliotropes

Présentées chronologiquement, les sources décrivent successivement le lever du soleil, le règne glorieux, les tourments et tourmentes, puis le déclin de l’âge. Beaucoup de textes choisis sont connus mais trop souvent amputés, raccourcis ou pire « traduits » dans une langue sans saveur. Là, les extraits sont présentés dans le français poli du XVIIe siècle qui retrouve sa qualité avec des citations longues si nécessaires ou courtes quand un trait suffit.
Les sources de la première partie du règne sont animées du grand style du cardinal de Retz, de Mme de Motteville, de l’abbé de Choisy mais aussi de mémorialistes comme le tendancieux valet de chambre La Porte, Olivier d’Ormesson, Loménie de Brienne ou Charles Perrault et le rare journal de Fréart de Chantelou. Le milieu du règne est illustré par les lettres féminines de Mme de Sévigné, Mme la Palatine, Mme de La Fayette ou l’ambassadeur Spanheim avant que n’arrive du fond du champ « d’héliotropes», l’énorme caisse de résonance du duc de Saint Simon. Tous décrivent les courtisans, la noblesse et les visiteurs, selon le terme de Thierry Sarmant, comme des héliotropes, se tournant vers Louis XIV.

« Les plis du front de Colbert »

Les textes illustrent la formation du roi, quelques épisodes politiques de la Fronde, des réceptions, des événements de cour, des disgrâces, mais surtout de fabuleux portraits de courtisans ou de ministres, des vies illustres, des morts exemplaires. Les auteurs antiques sont encore un modèle de rhétorique. L’auteur veut souligner la perception de « ce monde là » – la cour – par ses contemporains et néanmoins critiques vigilants, parfois partiaux.
On y voit les courtisans se détester ouvertement comme Dangeau enlevant à De Callières, sa particule, si bien que l’érudit ambassadeur répond : « Vous m’ôtez un de, je vous en ôte deux, M Angeau». On perçoit le récent franchissement des frontières sociales de la société d’ordre : De Gesvres, toujours prêt à faire la morale à chacun, lance au maréchal de Villeroy juste avant le moment du petit couvert du roi, « la table et le fauteuil entre deux »: « Il faut avouer que vous et moi sommes bien heureux », message convenu pour énoncer devant la cour leur extraction bourgeoise à quatre générations de là. Que répondre, ainsi stigmatisé publiquement? Particules pas si élémentaires !

On saisit nettement les différences de style entre Mazarin et Colbert, opposé ensuite au style Louvois, dont les portraits sont choisis parce qu’ils ont été écrits au vitriol comme celui par Saint Simon sur la fenêtre bien connue et « quelque peu étroite » du Trianon de marbre en construction.

L’emploi du temps de Louis XIV en 1684 (p 199) permettra de faire varier les textes sur la journée du roi, épisode obligatoire tout enseignement actuel sur l’absolutisme… en primaire et au collège. Il est à étudier en parallèle avec la journée de Mme de Maintenon pour comprendre le quotidien du travail royal dans la chambre de l’épouse morganatique, « la mécanique roulante des jours et des temps » (p 260), mais également la prise de décision entre le ministre et Mme de Maintenon avant le travail en chambre. La lettre de Mme de Sévigné reçue à Versailles en 1676, servira pour illustrer la vie des courtisans, second lieu commun à étudier en classe. En Histoire des Arts, la description du pédantisme de La Feuillade qui finance la construction du monument à la gloire du roi au centre de la place des Victoires (p 209) peut s’accompagner d’une gravure dudit monument pour étudier la représentation royale, en l’accompagnant néanmoins de la critique de Louis XIV sur le culte de la personnalité.

« Il n’y a guère qu’une lieue de Bâville à Courson »

Certains textes montrent la peur tenace d’un régime absolu qui ne pardonne pas la Fronde comme l’affaire de Fargues au château de Courson, un frondeur repenti persécuté par son voisin, le président Lamoignon (château de Bâville -Essonne), pas plus qu’il ne pardonne aux protestants comme le peintre Rousseau qui, en 1688, entendant Mme la Palatine chanter des psaumes protestants dans l’orangerie de son château de Saint Cloud, réagit et lui découvre qu’il est protestant mais s’enfuit (hors du royaume?). Ces morceaux délicieux offrent une plongée dans le quotidien du roi et de son entourage domestique et administratif, dans les choix ou trajectoires de la famille royale, des courtisans.

Mais tous font apparaître une crainte, que leurs querelles, leurs errements, leurs oppositions ne nuisent pas au roi, ni à l’Etat, à l’ordre public. Mais beaucoup ne sont pas dupes de la dévotion, du jeu de la cour. Ils le font savoir avec une extrême élégance en narrant un épisode qui permet une distanciation, nous transmettant aussi une représentation visuelle facilement imaginable. Ainsi le délicieux tour joué aux fausses dévotes du Saint Sacrement ou vraies adoratrices du roi, qui, à l’annonce de l’absence du roi à la cérémonie au Salut, éteignent l’une après l’autre les flammes de leurs bougies dans la chapelle royale. Une Leçon de ténèbres imposée dont a bien ri le roi.

Cet ouvrage renoue avec cette tradition éditoriale disparue de recueil de textes et documents. Il présente un intérêt immédiat pour les professeurs et les étudiants qui, dans ces temps pressés du XIXe siècle, trouveront des textes à étudier ou des sources essentiellement françaises pour illustrer un propos.
Cet ouvrage est à lire d’abord juste pour le plaisir de la langue et du style. Le goût de l’archive associé à la connaissance des sources choisies avec une grande précision caractérisent Thierry Sarmant. Il nous offre par cet ouvrage, un contact direct avec des auteurs et nous met le grand siècle sous les yeux.

Pascale Mormiche