Une chronique de Pascale Mormiche

Annie Mollard-Desfour. Le Rouge: Dictionnaire de la COULEUR, Mots et expressions d’aujourd’hui, XXe-XXIe siècles : le ROUGE, préface de Sonia Rykiel, CNRS édition 2000, 494 p. réédition 2009.

Une histoire récente de l’usage du rouge

Rouge et les autres couleurs de l’arc en ciel (il y aura onze ouvrages de couleur), voilà ce qu’a commencé de publier A. Mollard-Desfour, ingénieur au Laboratoire «Lexiques, dictionnaires, informatique » (LDI) de Villetaneuse. Pourquoi un dictionnaire pour les locutions des couleurs? Depuis les travaux sur la couleur de Michel Pastoureau, l’histoire des sensibilités s’est enrichi de l’étude de la gamme chromatique. A lire cet ouvrage, le rouge me monte aux joues d’avoir utiliser si longtemps ces expressions sans en avoir repéré la richesse et la variété. Et il ne s’agit encore que d’analyser les expressions nouvelles du XXe et du XXI siècle pour mettre l’accent sur les évolutions lexicales et les appropriations sociales des couleurs. Les sources pour appréhender cette couleur sont variées : articles de presse, poèmes, romans, chansons de Proust, A. France, Thibaudet, Mauriac, Sabatier, Aragon, Eluard, Boudard, Combescot à Picouly, de Montéhus, Prévert, Brassens, Brel, Goldman à Delerm. Comment notre siècle et le précèdent ont-ils modifié et adapté l’usage de la couleur rouge ?
L’ouvrage commence par une introduction synthétisant sur une liste rouge, l’étymologie, les différents usages sémantiques du rouge, puis s’ouvre le dictionnaire des différents sens, figurés, métonymiques et autres dans des expressions (100 pages) pour finir par tous les dérivés du rouge qui remplissent 340 pages, suivis d’une riche bibliographie et d’un index.

Du tapis rouge aux bonnets rouges

Quel rapport avec l’histoire direz vous ? Les champs d’utilisation du rouge nous font sortir le tapis rouge car les explications et les citations sont précises et actualisées. Rouge politique des bonnets rouges qui n’avaient pas un rouget, quand les escadrons rouges de Louis XIV combattaient, celui des tuniques rouges des anglais ont débarqué, des chemises rouges au drapeau rouge, de la Butte Rouge à la Place rouge, des écrevisses de rempart perdaient leurs pantalons garance, des gardes rouges au petit livre rouge, de l’affiche rouge à l’orchestre rouge jusqu’au téléphone rouge tout cela pour lutter contre le péril rouge quand les brigades rouges font trembler l’Italie et que la rose rouge s’installe en France. Le rouge philosophique que chaque alchimiste tente d’atteindre grâce à l’œuvre au rouge. Le rouge réservé à l’élite, de l’héraldique des gueules (rouges quel pléonasme !) pour les princes, aux talons rouges du sang bleu, du rouge cardinalice, au ruban rouge avant la rosette rouge. En géographie, le rouge du fleuve et de la mer Erythrée.
La deuxième partie qui propose tous les dérivés du rouge se prête moins dans une chronique à ces jeux d’expression mais relevons pour en donner la richesse, les variétés du rouge : érythrine, rougeâtre, amarante, Andrinople, rouge-baiser, Bordeaux, brique, cardinal en carême, carmin, carotte, cerise, cinabre, coquelicot, corail, cramoisi, cuivre et je finis par rouge diable et Dior pour vous laisser le plaisir de découvrir les vingt-trois autres lettres de l’alphabet. Que de rubriques (mettre les titres en rouge au XIIIe siècle) !

Du stylo rouge au rouge sang

Et nous y penserons, nous les professeurs, qui soulignons encore si souvent en rouge pour que les élèves ne soient pas marqués plus tard à l’encre rouge. L’analyse de l’histoire du mot, des modes de fabrication de la couleur dans les champs littéraires, scientifiques, religieux fait apparaître l’extrême variété de ses utilisations sociales et culturelles. Le rouge du sang, du meurtre, de la trahison, du péché, du maléfice, de la prostitution est passé, au XXe siècle au rouge de l’interdit, du danger pour passer dans le domaine de l’alimentaire (label rouge). Il reste le rouge de l’honneur, de la distinction et de l’érotisme.
Un livre incandescent qui n’est pas cousu de fil blanc! Mais beaucoup attendent de savourer les suivants afin que ces couleurs et leurs associations symboliques colorient notre usage de la langue.

© Pascale Mormiche