Un ouvrage difficile à classer dans nos rubriques cartésiennes, une invitation au voyage en Haïti à la découverte du vodou, à la fois système de croyances et pratiques thérapeutiques dans un pays où le système de santé est souvent défaillant.
Nicolas Vonarx est anthropologue et professeur à l’Université de Laval, Canada où il intervient dans la formation des infirmiers, métier qu’il a lui-même exercé, sur les rapports entre spiritualité et maladie.

Il nous propose une relecture ethnologique du vodou comme système de soins à dimension magico-religieuse tout en étant attentif aux variantes spatio-temporelles et refusant toute généralisation hâtive. Il analyse les rapports des Haïtiens au vodou dans leurs dimensions fonctionnelles et quotidiennes, il s’intéresse aux circonstances et aux modalités du recours à ces croyances: vision du monde, maintien des liens de parenté, régulation des relations sociales, magie comme substitut à la violence sociale dans un pays où l’État est largement impuissant à améliorer le sort de la population.

Si les rapports entre vodou et santé mentale ont déjà fait l’objet d’étude, Nicolas Vonarx choisit d’analyser comment les savoirs, les pratiques et les discours interviennent dans les épisodes de la maladie dans une commune rurale: Bwa-Bijou dans le département de l’Artibonite.
En introduction il présente sa méthodologie d’enquête ainsi qu’un utile glossaire créole.

Le vodou au sein du pluralisme médico-religieux.

La description de quelques parcours de soins permettent de percevoir la complexité et le pluralisme des ressources disponibles pour les malades: remèdes domestiques, pharmacopée créole, pratiques religieuses ou magiques, médecine occidentale de base; une grande variété de savoirs, de comportements et de lieux de soins où le vodou a toujours sa place d’autan que la maladie est souvent considérée comme la conséquence d’une agression magico-religieuse.

L’auteur décrit les différents secteurs de santé:

  • La médecine créole, des pratiques héritées de l’Afrique par les esclaves, est souvent utilisée par les grands-mères mais elle a aussi ses praticiens, formés dans la tradition familiale, accoucheurs et herboristes appelé parfois « médecin-feuille ». Ils sont parfois aussi « oungan » ou « manbo », c’est-à-dire praticiens vodou, c’est l’occasion d’évoquer la lutte ancienne et actuelle contre le vodou des autorités haïtiennes politiques comme religieuses.
  • La médecine occidentale est implantée depuis la période esclavagiste, aujourd’hui souvent soutenue par des ONG, elle concerne en zone rurale les soins de santé primaire mais la situation reste précaire reposant localement sur des centres de santé occupés par des auxiliaires très peu formés, un secteur pharmaceutique où vendeurs de rue côtoient des officines plus officielles. L’offre est complétée par des médecins autoproclamés après une petite formation très parcellaire souvent dans le cadre d’un programme spécifique, par exemple de lutte contre la malaria; moins chers que les structures officielles ils ont un certain succès.
  • Les Églises (catholique, pentecôtiste, Église de l’Armée céleste…) jouent un rôle important dans la gestion de la maladie par des groupes de prières, des visites au domicile mais aussi par les structures de soins qu’elles gèrent.

Trois secteurs de santé, tous trois influencés par le vodou. Ce qui est commun c’est la place de ces croyances dans la décision de devenir thérapeute (choix divin, contrainte exercée par les esprits) et dans le mode d’accès au savoir: le rêve ou la possession par des entités non humaines. Mais d’autres outils peuvent être empruntés au vodou. Ces influences sont analysées pour chaque secteur de santé à l’aide d’exemples précis issus des enquêtes de l’auteur. L’enchevêtrement étroit du religieux et du médical tant chez les malades que chez les soignants constitue une culture commune d’où le vodou n’est jamais absent.

Le vodou comme système de soins

Les pièces maîtresses de ce système sont les relations que les thérapeutes vodou; « oungan » ou « mambo » entretiennent avec les « lwa », entités invisibles (génies, anges tutélaires).
Le praticien a trois champs d’intervention: la divination, le donneur de leçon et la personne armée de magie agressive. Il a été choisit par les « lwa », il est d’abord thérapeute et ensuite responsable d’un culte. Fonction souvent héritée au sein de la famille, elle a été imposée souvent à l’occasion de la maladie du futur praticien. Attaché à son « lwa », il doit l’honorer, l’accueillir dans une maison, lui organiser des festivités. C’est l’esprit qui confère les pouvoirs de guérison lors de divers rituels magico-religieux.

L’auteur décrit les lieux de la pratique vodou (habitation et cour du praticien) et les lieux de pèlerinage (carrefours, cimetières) lieux entre deux mondes visible et invisible, fréquentés la nuit. Il décrit également divers rituels observés en particulier aux grottes de San Bazil.

Le vodou, souvent dernier recours quand les autres méthodes n’ont pas eu de résultats probants, est surtout un système d’explication de la maladie. Lors d’une consultation stéréotypée l' »oungan » va dialoguer avec les esprits et énoncer les causes, toujours multiples, de la maladie fondées sur des querelles humaines ou avec les esprits, le malade est donc souvent responsable de son mal. On suit l’auteur dans son enquête au plus prêt des rituels. Ces grands schémas explicatifs sont ancrés dans les représentations populaires de la maladie: contact avec une matière maléfique, trouble occasionné par l’esprit d’un défunt… Les scénarios sont en relation avec les rapports au monde et en particulier l’existence d’entités invisibles: un dieu créateur accompagné des saints, esprits, « lwa » plus proches des hommes et dont les pouvoirs servent à satisfaire les besoins quotidiens, une forme de syncrétisme entre christianisme et fond animiste hérité des ancêtres, esclaves venus d’Afrique.
Toutefois il existe d’autres scénarios: l’agression magique provoquée à la demande d’un tiers par un praticien vodou, jeteur de sort en quelque sorte qui rappellent qu’Haïti est un pays très rude, où les rapports sociaux sont violents. Nicolas Vonarx analyse la perception des réalités sociales comme un héritage de la domination coloniale, de l’histoire de l’île et de l’impérialisme religieux.

Le chapitre suivant est consacré aux pratiques thérapeutiques vodou soignantes et préventives. C’est en fonction du scénario d’explication de la maladie qu’est organisée stratégie de guérison. L’auteur passe en revue toute une série de pratiques qui peuvent être très variables, il y a deux aspects: traitement des symptômes mais surtout réconciliation avec les « lwa » et engagement à l’honorer de façon durable. Il décrit en détail les étapes et modalités des pratiques pour chaque schéma d’explication: relation avec ses « lwa » familiaux, recours à un « lwa » spécifique à la maladie, neutralisation de l’agression d’un tiers ou d’une opération magique ou d’un lougarou.

Un ouvrage surprenant, passionnant, indispensable pour comprendre les Haïtiens.

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