Ce voyage en Acadie d’un Français en 1860 sur les traces des descendants des premiers colons un siècle après la fin de l’empire colonial français avec le traité de Paris en 1763 est un voyage d’enquête destiné à soutenir les communautés francophones du nouveau monde en particulier celles qui vivent dans le Maine, la Nouvelle Écosse ou le Nouveau Brunswick au sein de régions anglophones.

La longue introduction de Ronnie-Gilles Leblanc (105 pages) présente, outre un tableau des « régions acadiennes » en 1860, une biographie détaillée de l’auteur Rameau de Saint-Père, le contexte et les détails de son voyage, un résumé des notes sur la culture acadienne (mode de vie, architecture, cuisine) et les rapports avec la majorité anglophone dans une période charnière où nombre de familles acadiennes reviennent s’installer dans ces régions, l’occasion d’une renaissance de la communauté francophone et catholique.

La Nouvelle-Écosse

Le journal de voyage débute à Boston le 14 juillet 1860, Rameau découvre la ville grâce à un négociant installé là mais d’origine acadienne. Le lecteur suit pas à pas, jour après jour, les déplacements de l’auteur en route pour la Nouvelle Écosse, ses rencontres, ses étonnements. Lors d’une première escale à Sainte-Anne-du-Ruisseau il nous fait part de ses réflexions sur le devenir du peuple au sein de la communauté francophone d’Amérique : culte du dimanche, poids du souvenir de la « déportation ». Quelques cartes, tout au long du livre, permettent de suivre son périple.
Le récit fait découvrir les réalités économiques, le mode de mise en valeur entre agriculture et forêt, la place de la tradition, l’histoire de la colonisation de ces territoires et l’Hiver. Quelques portraits d’habitants donnent chair au récit.

En route pour la baie Sainte-Marie on voit le rôle des prêtres dans la conduite de la communauté mais aussi les désaccords quand le curé est un Irlandais ou un Écossais. L’auteur croise aussi quelques Français arrivés au XIXe siècle , prisonniers de guerre des Anglais ou aventuriers avec qui il partage des souvenirs des lieux de France.

Le récit de ces rencontres avec les Anglophones met en évidence ses préjugés. Les descriptions des villes et des campagnes renseignent sur les réalités de cette seconde moité du XIXe siècle notamment celle du port d’Halifax en Nouvelle Écosse.

Il évoque longuement ses difficultés pour consulter les archives concernant la période française d’avant 1750 : « grandes difficultés à consulter un très petit nombre de documents relatifs à l’Expulsion des Acadiens, la plus forte part resta introuvable : « il n’est pas facile, dit-il alors à ce sujet, de s’expliquer pourquoi on a cherché ainsi à cacher la particularité de ces événements, à moins toutefois, ce qui est concevable, que les acteurs intéressés, n’aient eu honte de leur œuvre ! » Non seulement on communique les documents difficilement et avec parcimonie, mais il me fut interdit de prendre ni notes, ni copies. J’étais obligé de rester debout devant un bureau, à peu près sous les yeux d’un employé, et on ne tolérait ni encre, ni crayon, ni papiers. » (page 208).

Il exprime aussi la méfiance des autorités à son égard : « Je n’oserais pas attribuer cet excès de sollicitude administrative aux manœuvres [ou] à l’influence de mon ancien compagnon de voyage M r Townshend. Cependant, j’eus un jour la surprise de lire [en toutes lettres] dans un journal d’Halifax ces lignes où je crus reconnaître sa main 3il  « Il est arrivé dans cette ville, un voyageur Français M r Rameau qui parcourt les townships où demeurent les populations Acadiennes, on ne peut au juste s’expliquer d’une manière précise le but de cette exploration, mais nous pensons que le gouvernement ne fera que son devoir en surveillant attentivement ses démarches » . »(page 209).

Il recueille la mémoire des personnes âgées comme à Artichat (page 224) ou l’histoire de la famille Girouard (page 243). On suit l’auteur de villages acadiens en villes anglophones en remontant vers le Nord où la proximité de Terre Neuve nourrit l’attachement à la France.

Le Nouveau-Brunswick

Nouvelle province visitée, c’est la même quête des familles acadiennes repérées souvent par leur patronyme.

C’est aussi l’occasion de raconter les tentatives acadiennes pour reprendre des terres et des forteresses dans les années 1770-1780 : la «guerre folle». il définit avec beaucoup de détails la population et l’histoire de villages : Memerancook, Bouctouche. Il en ressort la faible densité de population sur des terres souvent ingrates mais on observe aussi la porosité de la frontière avec le Québec d’où viennent des migrants comme par exemple lors des « grands feux » de Trois-Pistoles sur la rive sud du Saint Laurent.

Dans son sympathique souci des Francophones l’auteur exprime aussi une certaine xénophobie : « Miramichy ce 30 Août

Non jamais je n’ai conçu un pareil dédain pour tous ces Anglo- Américains. Vantards, gonflés d’eux-mêmes et en réalité sauvages, stupides et ignorants. Non ce ne sont bien vraiment que des paysans Anglais grossiers et sans savoir, à qui la fortune a départi par hasard la facilité de ramasser des dollars et d’apprendre à lire et à écrire. Ils ont fait alors ce que feraient beaucoup de nos paysans de France et ce car ils se sont mis sur le dos un habit ou une redingote, linge blanc, une chaîne d’or et des souliers vernis. Il se sont gonflés et bouffis et ont cru que cela suffisait pour faire un gentleman. Les nègres ne font pas pire quand ils sont affranchis. » (page 320)

« Vendredi 31 Août – Miramichi, encore sans timbres postes, c’est pourtant ici un grand bureau de poste. Mais ils ne peuvent ni me donner un timbre, ni me dire combien il faut. Je suis obligé de mettre ma lettre à la poste sans être affranchie. Quel pays sauvage, grossier, il est digne de pitié mais a du dédain qui les rendent méprisables. Il n’y a pourtant que 30 ans que nous sommes en Algérie, mais il n’est pas une bourgade où habitent vingt Français depuis cinq ans qui ne présente plus de facilités pour l’existence que les leurs. Malheureusement l’Algérie n’a ni les richesses naturelles, ni le climat, ni la liberté de ces pays. » (page 323).

La Gaspésie

Sans ce dernier chapitre Rameau arrive au Québec à une époque où la domination politique et économique des Anglophones est grande. Il raconte les efforts de quelques Québécois pour réaffirmer la présence française. Après un court séjour à Paspébiac il part pour la ville de Québec et achève là son récit.

Un texte dont le ton parfois véhément est conforme aux préjugés de son temps.

Appendice

Ronnie-Gilles Leblanc présente son travail de transcription et de reconstitution du journal de voyage et quelques extraits des papiers de Rameau Est joint un tableau des familles des pionniers acadiens de la Baie Sainte-Marie, du Comté de Yarmouth et la liste des informateurs de Rameau.

Une bibliographie complète l’ouvrage.