Les chantiers de jeunesse n’ont pas suscité pendant longtemps beaucoup de recherches ; il existait , certes, des témoignages légèrement postérieurs à leur existence, ou publiés plus récemment mais c’est surtout au cours des années 1990 que cette forme d’encadrement de la jeunesse est véritablement devenue un objet d’études

Les chantiers de jeunesse n’ont pas suscité pendant longtemps beaucoup de recherches ; il existait , certes, des témoignages légèrement postérieurs à leur existence, ou publiés plus récemment mais c’est surtout au cours des années 1990 que cette forme d’encadrement de la jeunesse est véritablement devenue un objet d’études avec notamment l’organisation par le Service Historique de l’Armée du colloque de Vincennes en 1993, « l’Histoire des Chantiers de jeunesse racontée par des témoins », les publications récentes du CRIPHA et la thèse de Sciences Politiques de Gérard Foissy, « l’échec d’une expérience institutionnelle singulière, les chantiers de jeunnesse 1940-1944 » (1996).

C’est sous un autre angle d’analyse que se présente le travail de Christophe PECOUT, « Les Chantiers de la Jeunesse et la revitalisation physique et morale de la jeunesse française (1940-1944) » en proposant peu de temps après sa soutenance (2006) une version allégée de sa thèse de Sciences et techniques des activités physiques et sportives (« Une jeunesse qui travaille, une jeunesse qui chante, une jeunesse qui croit : les chantiers de jeunesse et la revitalisation physique et morale de la jeunesse française 1940-1944 »): même si les aspects institutionnels et politiques ne sont pas oubliés (et comment pourraient-ils l’être ?) l’accent est mis logiquement sur les enjeux éducatifs et les activités physiques, qui font l’objet des deux parties centrales de l’ouvrage.

Pourquoi une telle structure?

La première partie est consacrée à l’indispensable « genèse et organisation des chantiers de jeunesse » ce qui replace cette expérience dans son contexte à la fois idéologique (« Vichy et la revitalisation de la jeunesse française ») chronologique (« la genèse des Chantiers de la jeunesse ») et institutionnel (« la structure générale des Chantiers de la Jeunesse »). Cette partie contient aussi bien des analyses des aspects les plus pratiques qui ont conduit à mettre en place cette organisation (que faire des démobilisés ? et de ceux qui devraient être incorporés ?) que la présentation des conceptions pédagogiques qui sous-tendent cette expérience, notamment l’anti-intellectualisme, l’accent mis sur le sport, l’effort, l’action, surtout collective. Le 3e chapitre propose un précieux résumé de l’organisation incluant la liste des responsables et des cartes des lieux d’implantation.

Idéologies et enjeux éducatifs

La deuxième partie « Idéologies et enjeux éducatifs » utilise largement les déclarations des créateurs des chantiers, établit les liens qui peuvent exister avec le modèle militaire, le modèle scout qui fournit de nombreuses références et met aussi en évidence les contradictions qui existent parfois entre principes, déclarations et réalité. Composée comme l’ensemble de l’ouvrage de chapitres et paragraphes assez courts encadrés par des titres significatifs (« Obéir et servir, les deux mots d’ordre du Général de La Porte du Theil », « Anglophobie, antigaullisme, anticommunisme et antisémitisme », « les outils de la propagande » , « une nature éducatrice », « développer l’esprit d’équipe par une vie communautaire », « discipliner les jeunes » une jeunesse qui travaille » etc…), cette partie qui utilise de nombreuses citations des concepteurs et des responsables des Chantiers propose donc une très intéressante analyse de l’idéologie et de la pédagogie utilisée.

Les activités pratiquées

La troisième partie « L’éducation physique et le sport » est plus technique en quelque sorte ce qui correspond bien à la spécialité de la thèse initiale. Les différentes activités sont détaillées, malgré la faiblesse des moyens mis à disposition des responsables ce qui donne une place importante au « décrassage matinal » activités physiques diverses destinées au réveil musculaire et à « dissiper la mauvaise humeur », marches diverses, activités physiques variées. Une place particulièrement importante est tenue par la Méthode naturelle de Georges Hébert ou hébertisme, ensemble d’exercices individuels et collectifs codifiés en 1936 et qui cherchent à développer «la culture des sentiments nobles : dévouement, solidarité, altruisme, honneur, loyauté » ce qui correspondait parfaitement aux objectifs des Chantiers de la Jeunesse et aussi aux peu de moyens disponibles comme le montre leur description : « courir à allure rapide et moyenne, marcher dans tous les sens, sur trois pattes ou sur quatre pattes, porter un camarade sur le dos ou comme un bébé, grimper un obstacle, sauter en longueur… etc… »

Christophe Pécout montre aussi que progressivement, des activités qui correspondent aux différentes spécialités sportives ont également trouvé une place pour ceux qui les pratiquaient antérieurement bien que le sport pour lui-même ait suscité des réticences et fut « à réserver aux athlètes confirmés ».

Les activités physiques ont donc pour objectif le « relèvement de la race française et la régénération de la jeunesse » pour corriger les défauts de la jeunesse d’avant-guerre jugée décadente car comme le précisent les Principes des Chantiers de la Jeunesse dès août 1940 « l’éducation physique doit être une science des attitudes. L’essentiel est l’ordre partout. La correction de l’attitude doit apparaître comme un certain mode de vie qui exclut tout débraillé, tout laisser aller». Compte tenu de la spécialité qui est la sienne l’auteur était bien placé pour analyser et détailler les différents exercices pratiqués et les pédagogies utilisées.

Entre Résistance et collaboration

Enfin, la quatrième partie « entre Résistance et collaboration » est consacrée à la question qui se pose quand on évoque les Chantiers de Jeunesse : mise au pas de la jeunesse française dans le cadre de l’Europe nouvelle, c’est-à-dire nazie ou préparation de la revanche. L’auteur montre que malgré quelques passages de responsables des Chantiers à la Résistance, ce qui renforce la méfiance des occupants, leur propre expérience en matière de mouvements de jeunesse leur faisant craindre la mise en place de structures para-militaires, la très grande majorité des cadres reste fidèle au Maréchal ; il montre aussi, grâce à de nombreux exemples, à quel point la germanophobie restait une valeur dominante, que l’attachement à la République persistait et que l’indifférence à la Révolution Nationale semblait caractériser les jeunes au grand désespoir des promoteurs des Chantiers.

Cependant les engagements dans un camp ou dans l’autre n’ont pas été la règle générale, l’attentisme restant l’attitude dominante, même si Christophe Pécout relève les comportements de ceux qui ont rejoint les maquis (sous-chapitres « l’engagement dans la résistance organisée » et « la résistance civile ») comme de ceux qui ont été des collaborateurs actifs (« lutter contre toute manifestation antinationale », « engagement dans la milice » et « des Centuries de France au projet de nazification des Chantiers de la Jeunesse d’Allemagne »). Il porte en conclusion un jugement nuancé en écrivant notamment à la fin de ce chapitre : « Cette ambivalence des Chantiers engendre par conséquent des représentations contradictoires qui soulèvent de véritables enjeux de mémoire entre acteurs et historiens. Les premiers, garants de la mémoire des Chantiers perpétuent l’image d’une organisation résistante et combattante alors que les seconds qualifient les Chantiers d’instrument idéologique de Vichy ».

Conclusion

La conclusion générale insiste sur l’ambition pédagogique et idéologique des Chantiers symbolisant « l’archétype éducatif pétainiste par excellence, modèle chargé de construire une France nouvelle autour d’une jeunesse modèle » mais « la majorité des jeunes n’a pas adhéré au projet éducatif et idéologique des chantiers. Comment pouvait-il en être autrement au sein d’une organisation où les moyens éducatifs infantilisants et puérils mis en œuvre étaient plus appropriés à des enfants de dix ans qu’à des hommes de vingt ans ? ». Les Chantiers, devenus progressivement réservoir de main-d’œuvre pour le S.T.O. ne pouvaient donc qu’être « une utopie éducative, parfait miroir de l’illusion gouvernementale de Vichy ».

Cet ouvrage comporte de nombreuses notes, des illustrations peu nombreuses mais bien choisies, une bibliographie d’une dizaine de pages (mais pour ceux qui voudraient approfondir malheureusement pas de liste des sources : on doit se contenter des références infra-paginales), de tableaux des groupements des Chantiers, de leur implantation et enfin une précieuse chronologie (sur ce plan, on peut regretter que dans les chapitres la façon dont les Chantiers évoluent entre 1940-41 et 1943-44 ne soit pas aussi développée qu’on pourrait le souhaiter mais cela ne correspondrait ni à la finalité de l’ouvrage, ni au nombre de pages disponible).

Même si parfois on aimerait davantage de développements sur les questions abordées (il n’a probablement pas été facile de choisir ce qui pouvait être retranché du texte initial) cet ouvrage est donc à la fois un bon complément à l’histoire du régime de Vichy et une bonne présentation de cette expérience assez peu commentée par ceux qui y ont été contraints d’y participer.