Résultat des travaux de la journée d’étude du 7 mars 2005 sur Les femmes au travail dans les villes en France et en Belgique du XVIIIe au XXe siecle, cet ouvrage rassemble, après une courte préface de Margaret Maruani, directrice de la revue Travail, Genre et Sociétés, le texte de treize communications. Ces textes sont répartis en quatre ensemble, « questions générales », « femmes et travail manuel », « les femmes, l’argent le commerce » et enfin « femmes et responsabilités dans les professions intellectuelles », le tout complété par des indications bibliographiques, des éléments sur les travaux de chaque contributeur, un résumé des contributions, une table des documents, et enfin un index des noms cités. La variété des thèmes abordés rendrait difficile une présentation synthétique de cette publication, aussi l’auteur de ce compte-rendu a-t-il pris le parti de donner un aperçu de chaque contribution, en indiquant l’université d’origine après le nom de l’auteur.

Différences de féminismes entre France et Belgique

Ouvrant la première partie « questions générales », Eliane Gubin (Bruxelles) dont la contribution sur « travail des femmes, émancipation économique et histoire urbaine en Belgique (XIXe-XXe siècles » commence par une interrogation « sur son évolution générale (il s’agit du travail) et sur les liens entre travail rémunérateur et émancipation féminine ». Elle note que d’une part le premier féminisme belge, à la différence du féminisme français « a considéré l’égalité économique comme prioritaire, bien plus urgente à obtenir que l’accès au droit de vote », et que le féminisme est « un fait surtout urbain ». De plus « l’histoire urbaine témoigne toujours une très nette réserve à l’égard des différences de genre » ce qui a limité le nombre d’études de ce type. C’est surtout Bruxelles qui lui sert de support dans ses démonstrations, Bruxelles, « la Grande ville : un réservoir de femmes seuls qui « doivent » travailler », titre du premier paragraphe. De fait, la ville compte 53% de femmes en 1842 (date d’un recensement particulièrement explicite) et parmi elles Eliane Gubin montre que les célibataires et les veuves sont loin d’être les seules à travailler. Après la répartition de la population, l’approche suivante est relative aux métiers pratiqués, ce qui montre que comme pour les hommes c’est surtout le secteur secondaire qui est prépondérant, dans des activités liées au vêtement, à la blanchisserie, à la boutique et à la domesticité parmi celles qui sont à dominante féminine. Les recensements suivants lui permettent une vision évolutive, malheureusement très rapide comme il ne pouvait en être autrement dans une communication d’une douzaine de pages, mais qui fait bien ressortir la rapide croissance du tertiaire et de l’emploi féminin dans ce secteur avant 1914. Elle en conclut qu’en ville « les femmes sont parvenues plus rapidement à des professions plus diversifiées, plus qualifiées qui ont modifié leur identité au travail et imposé progressivement la notion de carrière continue » ; l’analyse de ces évolutions ne peut donc se faire sans celle des « bouleversements qui touchent la ville elle-même »

Histoires de veuves

Philippe Guignet (Lille 3) s’intéresse ensuite, en suivant une logique proche, à « surféminité, veuvage et gisements d’emplois féminins :des attributs démographiques et sociaux du monde urbain ? l’exemple de la Flandre française et du département de la Lys en 1806 ». L’exploitation du recensement de 1806 grâce à l’aide de Laurence Croze (Lille3) pour la partie statistique, dans le plus pur style des techniques de l’histoire sérielle, est conduite de façon très détaillée explicitant les taux de féminité et de veuvage selon la taille des circonscriptions administatives ce qui montre bien la plus forte présence de femmes et de veuves en milieu urbain et la surmasculinité dans les villages de petite dimension. Ces premières indications correspondent à des éléments déjà connus mais le lien entre « taux de féminité et de veuvage » par rapport aux « quotités de patente par tête » est également esquissé selon les mêmes circonscriptions, permettant d’obtenir une première approche du poids économique des veuves, qui est loin d’être négligeable. Sur le plan des taux d’imposition, le lien entre forte proportion de femmes et de veuves dans une circonscription correspond chaque fois à des quotités de patentes plus importantes mais l’auteur reconnaît qu’on atteint les limites de ce que l’approche statistique permet de démontrer par elle seule et que d’autres approches, plus détaillées, par commune, pour en déterminer avec précision les activités pratiquées permettraient d’aller plus loin.

Puis, pour une période charnière entre Ancien Régime et période révolutionnaire, George Hanne (Toulouse 2) aborde « la construction de l’identité professionnelle des femmes avant et après la Révolution », en prenant comme lieu d’observation Toulouse (1770-1821). Son point de départ correspond à la recherche d’une véritable « identité professionnelle féminine sous l’Ancien Régime » en essayant de mesurer ensuite « si cette identité est modifiée par le changement de régime juridique et institutionnel de la Révolution ». Ces intéressantes questions sont l’occasion de faire ressortir que pour le lieu d’observation choisi, Toulouse, differents documents montrent bien pour la fin du XVIIIe siècle une large part d’individualisation professionnelle féminine puisque non seulement on trouve des femmes dans les mêmes activités que leurs maris ainsi que des veuves continuant celles de leur maris, mais aussi, ce qui est plus intéressant, des ménages en nombre non négligeable dans lesquels les activités des deux conjoints n’étaient pas liées.

Autonomie des femmes

La conclusion que Georges Hanne suggère après l’exploitation de sa documentation est qu’ « à Toulouse, l’activité féminine n’était pas dépourvue, à la fin de l’Ancien Régime, de toute forme de reconnaissance et comportait parfois une marge d’autonomie ». Il note ensuite « après la Révolution : l’amorce d’un processus de professionnalisation » en remarquant que la domesticité cesse souvent d’être une étape intermédiaire pour devenir une véritable profession et que s’installe « une économie féminine » autour d’activités telles que la couture, quelques spécialités marchandes. Il est également intéressant d’observer que le nouveau cadre institutionnel, juridique et administratif permet de découvrir à travers une documentation différente (les recensements de population par exemple) des aspects qui n’ont pas dû évoluer rapidement du fait de la Révolution et qui pré-existaient mais que les documents précédents ne permettaient pas d’appréhender. C’est par cette réflexion sur le positionnement des individus observés par rapports aux documents administratifs que se termine cette contribution.

Les deux contributions suivantes sont relatives à la Belgique et pour une période plus récente, puisqu’il s’agit tout d’abord de « sortir de guerre en Belgique : perspectives nouvelles pour le travail féminin » de Valérie Piette (Bruxelles) et pour la période qui suit, Catherine Jacques (Bruxelles également) s’intéresse aux « attaques contre le travail des femmes en Belgique : Une chance pour les milieux féministes radicaux ? ». Il y a une complémentarité entre les deux textes puisque l’un traite de ce qui a succédé à la situation de guerre, marquée en Belgique par l’occupation et pendant laquelle « la guerre a (…) renvoyé les femmes dans les secteurs que la tradition leur attribue : les œuvres, les soins, le vêtement ». La politique nataliste présente déjà pendant la guerre qui est « sans cesse invoquée pour favoriser le retour de la femme au foyer, la guerre passée (…) ou la guerre future ». Alors que la pression sociale est plus qu’importante sur les femmes, des éléments agissent en sens contraire comme le démontre dans son deuxième paragraphe l’auteur de la communication : « la petite bourgeoisie en quête de travail » car les bouleversements économiques et sociaux de la guerre sont passés par là, et le passage « de la philanthropie au service social », activité rémunérée aussi bien dans le secteur public que dans l’industrie. L’évolution de l’activité médicale, (« Soigner toujours mais autrement » titre du 3e paragraphe) fait appel à un nombreux personnel soignant féminin, non sans mal en raison des réticences des milieux catholiques, et enfin, même si les hommes sont nombreux également à en profiter, l’explosion du tertiaire par les banques, les assurances et le développement des services dans différentes activités (telle qu’on la trouve traitée pour la France par exemple dans La dactylographe et l’expéditionnaire de Véronique Gardey en 2001) entraîne une présence toujours plus importante de femmes dans le monde du travail, main-d’œuvre au demeurant peu coûteuse.

Au sortir de la guerre

Face à ces évolutions de fond et malgré les retards observés dans les secteurs publics, plus proches du discours officiel sur la place des femmes dans leurs foyers, les discours conservateurs ont peu de chance d’être totalement suivis d’effets. En conclusion, après avoir remarqué les contradictions entre discours et réalité, Valérie Piette s’interroge sur la position particulière de la Belgique, pays qui sort de la guerre sans déséquilibre démographique important, où les discours natalistes sont aussi virulents qu’ailleurs et qui pourtant connaît les mêmes modifications de la place des femmes dans le monde du travail et dans la société ce qui en fait un « laboratoire remarquable ».
Se consacrant à un des aspects traités par Valérie Piette, la volonté de dénier le travail aux femmes, et à ses aspects contreproductifs, Catherine Jacques montre ensuite comment les « attaques contre le travail des femmes en Belgique au XXe siècle » ont peut-être été « une chance pour les mouvements féministes égalitaires ». Ces attaques ont d’abord eu, dans le contexte socio-économique qui a été décrit dans la contribution précédente un effet mobilisateur des femmes des classes moyennes qui avaient un emploi autour des mouvements féministes autour de deux éléments « le droit au travail (…) et l’argument économique » d’où la revendication de l’autonomie des femmes. La notion d’interdiction « à un être humain de gagner sa vie par un travail honnête » a un effet mobilisateur bien au delà des mouvements féministes, dans certains milieux catholiques même et l’évolution de la société qui a obligé de nombreuses femmes des classes moyennes à travailler montre bien que c’est une nécessité. Le dernier paragraphe de cette contribution s’intéresse à « l’expression de la solidarité féminine » à travers conditions sociales et générations face aux mesures réglementaires limitant le travail féminin dans la fonction publique, ou les traitements perçus par les femmes. Là encore, les réalités économiques d’une main d’oeuvre féminine bon marché que le patronat ne souhaite pas voir disparaître finissent par limiter la portée des mesures prises avant de les faire rapporter. Le front uni offert par les femmes au cours des mouvements de protestation, meetings, défilés, articles de presse, émissions de radio a permis de « familiariser le grand public avec les thèses du mouvement féministe égalitaire ».

La deuxième partie, « femmes et travail manuel » plus courte ne comporte que trois communications.
Il s’agit tout d’abord de « place, rôle, responsabilités des femmes dans les corporations et dans les métiers libres des villes moyennes des Pays-Bas méridionaux, de Louis XIV à 1789 » présenté par Frédéric Caron (Lille 3) qui montre « les femmes actives dans les métiers jurés ou libres » aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les femmes étaient en effet présentes, non seulement parmi les ouvrières mais aussi les artisans et commerçants, aussi bien les veuves que les les célibataires et les femmes mariées. Malgré les difficultés d’évaluer leur effectif, Frédéric Caron cerne le contour de ce qu’elles pouvaient représenter grâce aux registres d’imposition et à l’exploitation de nombreux documents dans lesquels leur présence peut être repérée ce qui lui permet de montrer « que la participation des femmes à la vie économique des « bonnes villes » des Pays-Bas méridionaux est loin d’être négligeable ». Il décrit ensuite plus finement leurs fonctions , « indispensable partenaire du maître artisan » , « Mère protectrice et rouage nécessaire à la transmission de la boutique » et cherche à préciser comment elles peuvent « accéder à l’exercice d’un métier » . Face à l’exercice des ces responsabilités, « la réussite des veuves » suscite parfois la jalousie de concurrents masculins : Frédéric Caron note notamment que le registre de capitation pour Douai et Valenciennes livre des chiffres d’imposition souvent supérieurs pour les veuves.

Textile entre Tours et Tourcoing

Célia Drouault (Tours) s’intéresse ensuite à « la condition des ouvrières en soie à Tours au XVIIIe siècle », dans un secteur, « l’industrie de la soie » qui « est quasiment une mono industrie dans la ville de Tours au XVIIIe siècle ». La démarche suivie pour étudier ces ouvrières est originale, puisque, au lieu de chercher à exploiter des archives relatives à l’industrie de la soie et à ses ouvrières, Célia Drouault « a pris le problème à l’envers en analysant une grande diversité d’actes et d’instances administratives, judiciaires ou corporatives ». Elle a trouvé les ouvrières en soie dans des documents relatifs aux déclarations de grossesse, des contraventions diverses, les contrats d’apprentissage, les testaments, les actes divers, de vente ou de donation y compris « la donation par forme de droit d’accroissement » qui constitue une forme d’entraide en créant une véritable communauté de biens même entre deux femmes et dont plus de la moitié des actes retrouvés concernaient des ouvrières en soie. Les contrats d’appentissage, détaillés, sont une occasion de mieux connaître ces métiers, particulièrement réglés même si des épouses ou filles de compagnons peuvent y être actives souvent en dehors de tout cadre réglementaire. Après avoir noté à la fois la protection particulière que semblent avoir les ouvrières en soie de la part des autorités et la coutume de Tours qui est plus favorable au femmes, Célia Drouault conclut en comparant leur conditions à Tours et à Lyon, ville qui leur est plus défavorable.

Flore Lataste ( Lille 3) présente enfin « Vies d’ouvrières : étude sur les trajectoires professionnelles d’ouvrières du textile à Roubaix-Tourcoing dans l’entre-deux-guerres ». Elle souligne tout d’abord l’importance de l’étude des trajectoires professionnelles féminines qui rend mieux compte de la réalité du travail féminin que celle des instantanés que constituent par exemple les tableaux de la population active. En inscrivant explicitement sa démarche dans les « mêmes perspectives et les mêmes questionnements » que Catherine Omnés dans ses travaux sur les ouvrières parisiennes (Ouvrières parisiennes, EHESS, 1997), Flore Lataste étudie successivement la mobilité géographique, la mobilité professionnelle, la qualification, le nombre d’emplois occupés. Six graphiques concernant les ouvrières des draperies de Rourcq et relatifs à la décennie 1920-1930, particulièrement pertinents éclairent son propos : qualification du poste en fonction du moment de la carrière, nombre d’arrêts en fonction du statut marital, durée totale d’inactivité en fonction du statut marital, nombre d’arrêts en fonction du nombre d’enfants, durée totale d’inactivité en fonction du nombre d’enfants et nombre d’emplois occupés en fonction du nombre d’enfants. Leur commentaire lui permet de tirer quelques conclusions : les ouvrières observées « se révélent en général peu mobiles, aux plans géographiques, sectoriel et professionnel ». Pourtant quelques cas atypiques lui font souhaiter « d’essayer de constituer une typologie des ouvrières en fonction de leur mobilité » pour voir si « les mêmes ouvrières cumulent un certain immobilisme dans l’ensemble des secteurs et si d’autres au contraire s’avèrent particulièrement mobiles » ce qui permettrait une véritable « esquisse des différents marchés du travail féminin dans l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing.

La Troisième partie, « les femmes, l’argent le commerce », réduite à deux communications, commence par un exemple original, « le personnel féminin du marché au blé d’Amiens au XVIIIe siècle : les « Facteuses », présenté par Gérard Hurpin (Picardie) puisqu’une bonne partie du marché du blé d’Amiens était dans les mains des revendeuses (36 stands sur 39), au demeurant d’une condition sociale modeste. Il étudie les différents acteurs, vendeurs et acheteurs de ce marché au blé à travers les documents relatifs aux émeutes de 1766 qui fournissent de nombreuses informations sur le marché du blé et les facteuses. Dans le cas de ces mouvements populaires, les femmes acheteuses modestes, s’opposent aux facteuses à qui les vendeurs ont fixé les prix. La documentation utilisée, le registre municipal d’immatriculation notamment, permet de montrer qu’il s’agissait surtout de femmes mariées, qui travaillaient souvent dans l’atelier de leur sœur, de leur mère ce qui suggère « un milieu assez fermé qui dans une certaine mesure s’auto-recrutait sur des bases familiales ». Même dans le cas où leur activité semblait garantie par la régularité des acheteurs (les communautés religieuses notamment), les facteuses occupaient « une position clé très exposée ». Et Gérard Hurpin de conclure « en somme, les facteuses (sont) de pauvres femmes placées au cœur d’un dispositif créateur d’immenses richesses alors qu’elles ne pouvaient guère espérer s’élever au-delà d’une médiocre subsistance sans honorabilité particulière » ce en quoi il lui semble voir « le prix à payer par le travail féminin à l’époque où on se place ».

Jean-Paul Barrière (Lille 3) présente ensuite, à l’aide de nombreux éléments chiffrés « Veuves et travail féminin dans les villes françaises du XIXe siècle : premières approches ». Il s’intéresse à un aspect peu abordé de la présence des veuves dans la société du XIXe siècle, les veuves au travail en s’appuyant sur l’exploitation des tableaux très détaillés du recensement français de 1906 qui lui fournit une première approche. Ce cadre chiffré lui permet d’inscrire les exemples tirés des enquêtes sociales, d’une étude sur les veuves dans une commune de l’agglomération lilloise et de renseignements précis sur la profession de libraire, en utilisant notamment le Dictionnaire des femmes libraires en France publié en 2003. Cet ensemble lui permet d’une part de dresser un tableau d’ensemble, qui montre tout d’abord que les veuves chefs d’établissement sont surtout présentes dans « la vente de comestibles, la mercerie, les débits de boissons et l’hôtellerie-restauration » les « responsables d’ateliers travaillant les étoffes » les « petits objets domestiques » et les « métiers de bouche (crèmerie, boulangerie )», les employées dans les commerces et les « services publics civils ». Celles qui sont classées comme ouvrières sont au 2/5e des domestiques, 1 sur 5 est salarié agricole le reste se répartissant dans les différentes activités liées au textile, au travail des étoffes, à l’habillement et dans l’hôtellerie-restauration. .Jean-Claude Barrière note également « une certaine participation aux services publics généraux et industriels, et dans le transport par voie ferrée, ce qui pourrait illustrer un emploi préférentiel de veuves de cheminots ou d’agents de l’Etat ». Ce rapide aperçu ne peut donner qu’une vision partielle du très riche contenu de cette communication dans laquelle on trouve également une comparaison avec les travaux des enquêteurs sociaux, surtout anglais. Une analyse plus fine puisqu’elle se rapporte à une étude précise pour la période 1846-1901 sur la ville de Croix, à proximité de Roubaix, permet , en outre , de montrer entre autres éléments la permanence des solidarités familiales avant qu’existent les pensions et surtout que les bouleversements démographiques causés par la Grande Guerre modifient la proportion des veuves. Malgré l’important apport de cette contribution, l’auteur conclut que « de nouveaux comportements (sont) encore à explorer », .

La quatrième partie, « femmes et responsabilité dans les professions intellectuelles » ne se rapporte logiquement qu’à une période plus contemporaine, à travers tout d’abord les difficultés de reconnaissance de « l’inspection de l’Assistance publique au féminin (1820-1940) : discours, pratiques, expériences » contribution présentée par Virginie De Luca (Picardie) qui montre que si la place traditionnelle des femmes dans les missions d’assistance n’est pas contestée, il n’en va pas de même pour leur présence comme inspectrice. Malgré trois recrutements comme sous-inspectrices en 1888, l’expérience cesse de 1904 à 1925 pour toutes les mauvaises raisons possibles telles que la difficulté de prendre du recul face aux situations difficiles des personnes dont s’occupe l’Assistance Publique, ou l’incapacité de supporter les fatigues des déplacements. Le recrutement, toujours au grade inférieur, ne reprend qu’en 1925 et le nombre de candidates est important. Ce n’est qu’en 1938 que les femmes peuvent devenir inspectrices et Virginie de Luca démontre, de plus, que les femmes ont eu des promotions beaucoup plus lentes que leurs collègues masculins.

Femmes, avocates et enseignantes

« L’accès des femmes au Barreau pendant la Première Guerre mondiale » est l’occasion pour Annie Duperchin (Lille 2) de montrer les réticences masculines devant les premières inscriptions au Barreau d’avocates. Encore a-t-il fallu à ces pionnières franchir les barrages successifs que sont l’obtention de la licence en Droit (ce sont les facultés de Droit qui restent longtemps les plus fermées aux étudiantes) et l’inscription au Barreau, auquel au début personne ne prend le risque de les présenter. L’arrivée de quelques courageuses pionnières après la promulgation de la loi de 1900, qui autorise ces inscriptions malgré l’opposition du monde judiciaire, déchaîne ironie et critiques, révélant finalement les craintes des avocats qui jugent cette concurrence déloyale, qui acceptent mal cette présence et qui ne savent pas au début comment se comporter dans un tribunal face à une consoeur. Les prévisions qui sont faites quant leur avenir sont sinistres aussi bien dans la presse spécialisée que dans les périodiques destinés au grand public « elles mourront de misère, de faim ou de fatigue » comme l’écrit un rédacteur de la Gazette des Tribunaux du Midi. Seules, quelques avocates plaident avant 1914 mais l’absence d’une bonne part de leurs confrères pendant la guerre oblige l’institution judiciaire à leur laisser davantage de place même si le petit nombre de licenciées ne permet guère d’augmenter de manière significative leurs effectifs. Annie Duperchin, à l’issue de cette contribution très documentée conclut qu’ « avant comme après la guerre, être avocate dans ce premier quart de siècle, c’est accepter d’être une pionnière » même si progressivement le monde judiciaire les accepte mieux.

Enfin, Jean-François Condette (Artois) propose avec « des Cervelines aux professeures : la difficile intégration des femmes dans le personnel enseignant des universités françaises au XXe siècle » d’aborder une question dont on ne parlait guère dans le monde universitaire jusqu’à un passé proche. Pour la « cerveline », qu’il définit dans un article de Carrefours de l’Education de 2003 comme « une adepte de la raison pure qui va à l’encontre de la nature et de l’ordre social, reniant sa mission première de mère et d’épouse » le chemin est difficile pour sortir du rôle de la curiosité qui intrigue et qui inquiète pour acquérir une véritable place au sein de l’Université, comme étudiante d’abord, comme enseignante ensuite malgré les réticences masculines. Il regroupe ses remarques en séquences chronologiques aux titres significatifs : « le temps de l’exclusion : la Femme indésirable dans le personnel enseignant des facultés (1900-1920) », « le temps de la ségrégation et des pionnières (1920-1950) » et « le temps de l’intégration (1950-2000) : lenteurs et limites de l’entrée des femmes dans le personnel enseignant des universités ». Son propos est étayé non seulement par le recours aux prises de postion, articles et études de chaque période mais aussi par l’exploitation des annuaires universitaires et des livrets de l’étudiant de plusieurs facultés ou universités ce qui lui permet de dresser un panorama non seulement fondé sur des exemples mais aussi sur une base quantitative solide. C’est ainsi qu’il peut affirmer que « lettres et santé sont désormais les plus ouvertes à la féminisation, au contraire du droit et des sciences ».

C’est par ce dernier très intéressant article que se termine le texte en lui même, avant la bibliographie qui peut fournir un précieux point de départ pour qui veut travailler sur la thématique du colloque, la présentation de chaque participant, , ce qui se fait trop rarement , le résumé des textes et l’index des noms cités. Un regret cependant, c’est qu’il n’y ait pas eu dans ce volume bien construit et de bonne facture de véritable conclusion faisant la synthèse de ce que la journée d’études du 7 mars 2005 avait apporté.