Florilège de discours parlementaires de la IVe République.
Initiative bienvenue en des temps où ni la réputation de la classe
politique ni le prestige du Parlement ne scintillent au firmament de
l’opinion publique, l’Assemblée nationale a entrepris d’aider à réhabiliter le débat politique en parrainant une collection d’histoire parlementaire qui comprend déjà quatre autres recueils réunissant un choix de discours de la Révolution, du XIXème siècle et de la IIIème République. C’est dans la même logique que s’insère le présent volume, qui propose de manière très accessible une nouvelle sélection concernant cette fois les deux Constituantes de 1945 et la IVème république.Les quarante discours qui sont rassemblés dans cet ouvrage sont tous pourvus d’un chapeau introductif et d’un utile appareil critique identifiant avec soin les intervenants. En complément, un cahier iconographique inséré au milieu du volume propose un choix varié de photos, unes de journaux, affiches et caricatures.

Le panel des orateurs rassemblés est politiquement représentatif, et va de la gauche communiste (Raoul Calas, Jeannette Vermeersch) à la droite extrême (Jacques Isorni, Henri Dorgères, dont on redécouvre ici la longévité politique), en passant par l’extrême centre (Schuman, Queuille) et l’alternative gaulliste (Capitant). Voisinent également vieilles gloires (Blum, Daladier, Reynaud), hommes forts d’un moment (Bidault,Pinay, Mendès-France, Edgar Faure), jeunes loups (Mitterrand,Chaban-Delmas), apparatchiks incontournables (Duclos, Guy Mollet),mais aussi parfaits inconnus (Max Brusset) ou complètement oubliés (Germaine Poinso-Chapuis, qui fut en 1947 la première femme titulaire d’un ministère à part entière), tandis que Ferhat Abbas et Senghor font entendre la voix des dominés dans l’enceinte du Palais-Bourbon.

L’éventail thématique parcouru est large. Les enjeux sont tantôt anecdotiques (Tixier-Vignancour ferraillant pour empêcher l’invalidation d’un parlementaire poujadiste) et parfois cruciaux (déclaration d’investiture de Charles de Gaulle en 1958). Les épisodes de tension politique intérieure (notamment les tumultueux débats de 1947) voisinent de façon équilibrée avec les questions européennes, coloniales et diplomatiques, et les enjeux de société (crise du logement, modernisation agricole).

Si la vivacité des échanges prend parfois le pas sur la sérénité des idées, c’est que l’objectif explicite de la collection est de réunir un florilège de l’éloquence parlementaire. C’est la force du projet,mais aussi sa limite : régal de lecture grâce aux effets de tribune et à l’élégance des formules, le beau discours ainsi mis en exergue risque parfois de l’emporter sur le propos de fond.

On peut ainsi regretter l’absence, peu compréhensible, du discours d’investiture de Pierre Mendès-France en 1954, sans doute victime d’une mesure de quota implicite, du fait de la présence de deux autres interventions de l’intéressé… Pour autant, les qualités de l’ensemble sont indéniables et méritent de retenir l’intérêt, qu’il soit historique ou rhétorique, des lecteurs curieux de la vie politique française entre 1945 et 1958. Sur un plan plus étroitement pratique, les professeurs d’histoire – mais aussi ceux de français, voire de théâtre – y trouveront matière à étude de documents moins convenus que ceux de leurs habituels manuels de référence.

Quant à y puiser matière à réflexion sur les débats historiographiques actuels, on ne peut qu’être sidéré des bégaiements de l’Histoire – à moins qu’il ne s’agisse du rapport des hommes politiques avec l’Histoire ? – en lisant, par exemple, les propos tenus par le président Herriot en 1946 : “ sans vouloir dire – ce qui serait exagéré – que l’histoire de la colonisation soir une idylle, on peut affirmer qu’elle a été, de la part de la France, une œuvre d’intelligence et, pour une large part aussi, une œuvre de bonté ”… Ou encore : “ Je ne veux pas de bataille entre le Code Civil et le Coran ”… Et enfin : “ À la suite de nos malheurs, de nos craintes de nos souffrances, n’aurions-nous pas (…) une tendance fâcheuse à trop nous déprécier, parfois à nous humilier ? ”…

Guillaume Lévêque © Clionautes.