Cet ouvrage collectif va largement au delà de ce que son titre annonce puisqu’il aborde des questions beaucoup plus générales liées à la santé publique sans se limiter forcément au monde hospitalier parisien qui en reste largement le sujet principal. Ce beau livre, très illustré, fournit un panorama particulièrement intéressant des réponses aux questions de santé publique, de médecine et d’hospitalisation pour le XIXe siècle.
compte-rendu fait par Alain Ruggiero, maître de conférences en Histoire contemporaine à l’Université de Nice Sophia-Antipolis
L’exposition consacrée aux hôpitaux parisiens qui s’est tenue l’été dernier à la mairie du 4e arrondissement de Paris a été complétée par la publication d’un beau livre rédigé par un collectif qui comporte, outre les présentations des deux directeurs, vingt-huit contributions organisées selon trois logiques :
-« un monde de soins » tout d’abord qui regroupe des articles liés aussi bien aux progrès médicaux dans les hôpitaux, à l’architecture hospitalière, à des exemples particuliers, tels que l’hôpital Rotschild et le Val-de-Grâce,
-« un lieu ouvert sur la population » ensuite où sont abordés les questions relatives aux hôpitaux au service de leur environnement,
-« l’organisation du système hospitalier parisien » enfin où des aspects plus administratifs et logistiques sont traités : origine des financements, question de l’alimentation mais aussi où la question de savoir si les hôpitaux parisiens ont été des modèles à imiter par des villes de province est abordée.
Il est difficile de donner une vision globale d’un ouvrage qui comporte autant de contributeurs et autant de thèmes abordés : le riche contenu de ce livre est donc présenté par un long compte-rendu descriptif. 

L’introduction des co-directeurs permet de souligner quelques caractéristiques importantes des hôpitaux parisiens : une lourde machine aux nombreux établissements dont les Révolutionnaires ont essayé de clarifier les fonctions, une structure à la pointe de la science médicale dans la première moitié du XIXe siècle qui joue un rôle de plus en plus important dans la formation des médecins, une structure également de plus en plus complexe et dans laquelle les problèmes de gestion deviennent lourds mais qui propose un modèle possible pour l’équipement hospitalier de villes moins importantes. Cette introduction est complétée par une présentation précise des « sources de l’Histoire des hôpitaux parisiens au XIXe siècle » due à la plume de Rosine Lheureux , Conservatrice des Archives des Hôpitaux de Paris. L’inventaire comporte non seulement ce qui relève des fonds internes mais aussi ce qui peut se trouver aux Archives de Paris, aux Archives Nationales, à la Préfecture de Police, ou encore dans les archives de l’Archevêché .

Un monde de soins

La première série de contributions « un monde de soins » commence par une étude de Françoise Salaün-Ramalho sur « l’Hôpital parisien et le progrès de la science médicale » qui montre la part prise dans les avancées de la médecine dues aux cliniciens parisiens tout au moins jusqu’au développement de la médecine de laboratoire. La contribution suivante, celle de Jacques Poirier complète cette étude en s’attachant de façon très précise à « l’enseignement médical dans les hôpitaux de Paris (1780-1930) » et à leur place prépondérante dans la formation des praticiens .
C’est en revanche à l’ensemble du personnel soignant dans le monde hospitalier parisien que s’attache Christian Chevandier, avec à la fois la progressive diminution du personnel religieux et l’entrée en force des infirmières laïques , qui se produit en même temps que la féminisation de la profession d’infirmier se confirme ; le désastre démographique accélère encore le processus après la Grande Guerre. Les rapports entre « l’Assistance publique de Paris et la charité catholique » sont ensuite étudiés par Jacqueline Lalouette et la deuxième composante du titre « chronique d’une séparation » donne l’orientation de cette contribution consacrée à cette marche vers la laïcisation de l’institution hospitalière parisienne non sans réactions de la part des milieux catholiques .
Les deux contributions suivantes sont ensuite consacrées aux bâtiments eux-mêmes, à travers d’abord l’étude de Pierre-Louis Laget sur « l’architecture hospitalière à Paris (1788-1935) » qui montre les conceptions successives qui ont prévalu dans ce domaine , en fonction des progrès des connaissances et de l’hygiène hospitalière, des positions souvent divergentes des médecins et des architectes. Tout ceci se traduit sur le plan des conceptions d’ensemble après des plans en « dents de peignes » (pavillons reliés par une galerie) à des pavillons complètement indépendants dès la fin du XIXe siècle puis par un retour au bâtiment unique à la fin des années Vingt. L’étude par Anne-Marie Châtelet, qui dépasse largement le cadre parisien des « hôpitaux baraques » montre comment à partir de modèles issus de la médecine militaire de campagne les hôpitaux–baraques, plus ou moins durables et qui ont correspondu soit à une recherche de solutions originales, soit à des situations d’urgence « ont constitué une remise en cause de la conception des hôpitaux ».
La contribution de Nicolas Delalande sur « les Juifs, la médecine et la philanthropie à Paris au XIXe siècle : l’exemple de l’hôpital Rothschild » se trouve placée juste après, ce qui pourrait d’ailleurs se discuter, et montre comment « d’une maison de secours pour israélites indigents …(il)… se mua progressivement en hôpital moderne » et l’auteur voit l’évolution de cette institution comme un témoignage du « double processus de médicalisation et de laïcisation des hôpitaux dans la seconde moitié du XIXe siècle ». Autre exemple d’institution un peu à part, l’hôpital militaire du Val-de-Grâce « centre de soins et foyer d’instruction des armées » surtout à partir de 1836 est ensuite présenté par Claire Fredj. Une deuxième contribution de Jacqueline Lalouette, cette fois consacrée à « onosmatique, symbolique et mémoire dans les hôpitaux parisiens » clôture la première série de contibutions et montre d’une part comment dans les noms des hôpitaux, les noms de fondateurs succèdent aux noms de saints, les noms de médecins finissant pas s’imposer à la fin du XIXe siècle. Les éléments décoratifs des hôpitaux sont également significatifs : symboles républicains, bustes, statues d’illustres praticiens, de fondateurs ou de donateurs. Les plaques commémoratives perpétuent le souvenir de soignants victimes de leur dévouement auprès des malades ou des Morts pour la France. Les éléments commémoratifs des hôpitaux sont donc variés et « voisinent les symboles ou les allégories se rapportant à l’Eglise catholique, à la Royauté et à la République, soit aux trois institutions qui ont joué un rôle fondamental dans l’histoire des hôpitaux ».

Un lieu ouvert sur la population

La deuxième série de contributions « Un lieu ouvert sur la population » s’ouvre par une réflexion générale de Pierre-Louis Laget « l’hôpital et la cité : une conciliation difficile entre les prescriptions de l’hygiène et l’impératif de rester à la portée du public » ; la dangerosité de l’hôpital en milieu urbain conduit progressivement les implantations nouvelles à s’installer en périphérie : hospices, asiles d’aliénés pour qui les conceptions du milieu du XIXe siècle adjoignaient une exploitation agricole ce qui les implantaient obligatoirement en milieu péri-urbain, établissements hospitaliers éloignés du centre pour une meilleure aération et pour le calme nécessaire aux malades. Pierre-Louis Laget démontre les compromis qui furent nécessaires entre les conceptions médicales et hygiénistes face aux questions pratiques : trajets, dessertes, avant d’aborder la question des sanatoriums forcément excentrés en montrant que tous les types d’institutions sanitaires ont été concernés par les débats relatifs à leur emplacement. L’exemple du « déplacement de l’Hotel-Dieu au XIXe siècle » que présente ensuite Claire Barillé est celui d’un établissement « à la croisée des querelles non seulement médicales ou hygiénistes mais également politiques et sociales » l’emplacement de l’ancien Hôtel-Dieu se situant dans une des zones les plus restructurées du Paris haussmannien. La contribution suivante, celle de Christian Felkay étudie ensuite les rapports entre « les Bureaux de bienfaisance et les hôpitaux parisiens de 1796 à 1860 » et la marche progressive vers une meilleure coordination entre les secours à domicile et les hospices et les hôpitaux. Deux contributions sont ensuite consacrées à l’évolution des maternités et à la présence des enfants comme patients. Celle de Pierre-Louis Laget « le dilemme des maternités : promouvoir l’enseignement ou préserver la vie des mères » va en fait bien au-delà, à travers l’analyse détaillée des solutions recherchées pour limiter les effets de la redoutée fièvre puerpérale. Cet « enjeu majeur de santé publique » provoque à la fois des mesures d’hygiène plus rigoureuses et des conceptions successives des bâtiments réservés aux parturientes et aux accouchées en fonction des progrès successifs des connaissances ou plutôt de l’évolution des discours avancés pour expliquer la maladie. Jusqu’à l’emploi généralisé des antiseptiques, et même au-delà, la réponse au grave problème de la fièvre puerpérale se fait en partie par l’organisation des bâtiments et des services hospitaliers . « L’invention du patient : l’hôpital et l’enfant à Paris au XIXe siècle » rédigée par Luc Passion montre de son côté comment les médecins à force de lutter contre les épidémies en milieu hospitalier et contre l’effrayante mortalité qui y sévissaient ont acquis les connaissances nécessaires au développement cette nouvelle branche de la médecine qu’est la pédiatrie.
Les deux contributions suivantes sont consacrées aux maladies mentales, nerveuses et aux aliénés : « le moment Charcot » par l’étude de Nicole Edelman qui décrit les interprétations divergentes de ce qu’était l’hystérie à la fin du XIXe siècle et celles de Charcot face à celles de ses confrères, « les triomphes et les déboires de la médecine de la folie au XIXe siècle » ensuite, par celle d’Aude Fauvel qui montre le passage « de l’aliénisme à la psychiatrie » et les solutions adoptées pour prendre en charge des individus dont, après avoir reconnu la maladie sur le plan moral, il s’agit souvent de traiter une affection bel et bien physique. L’enfermement atteint des effectifs importants (en France 110000 personnes à la fin de l’entre-deux guerres) même si « les hommes du XIXe siècle n’ont jamais perdu l’espoir de libérer les fous ».
La contribution d’Anne Nardin, « les établissements hospitaliers au cœur des premières politiques de la vieillesse. Regards sur le secteur de la gériatrie » (ce qui correspond d’ailleurs à l’exposition actuellement présentée par les Hôpitaux de Paris : « Voyage au pays de Gérousie ») permet de suivre le passage d’hôpitaux jouant la fonction d’hospices aux hôpitaux prenant en charge les maladies de la vieillesse, se dégageant peu à peu de la seule fonction d’assistance.
Autre secteur de l’intervention hospitalière, la médecine d’urgence est présentée par Isabelle Lespinet-Moret qui s’intéresse à « L’accueil des accidentés du travail par les hôpitaux parisiens autour de 1900 » époque où la durée des séjours des accidentés paraît courte. Pierre Guillaume s’intéresse ensuite à « La prise en charge de la tuberculose à Paris au XIXe siècle » en montrant que devant l’impuissance de la médecine à guérir, l’effort porta d’abord sur la prévention, la recherche de l’amélioration des conditions sanitaires de l’habitat, la désinfection des lieux où des tuberculeux ont séjourné, l’utilisation de crachoirs ainsi que par un rôle croissant du dispensaire, lieu d’accueil, de dépistage et de premiers soins, et par l’évolution de « l’hospice spécialisé qui devient progressivement le sanatorium ». Le rôle des œuvres privées est important mais tout se fait sans grande coordination jusqu’aux lois de 1916 et de 1919 et le soutien de la mission Rockefeller qui entraîne une forte diminution de la mortalité tuberculeuse.
La contribution suivante, celle de Sandie Servais concerne « l’infirmerie spéciale Saint-Lazare ; quand la maladie devient un délit : prostitution et maladie vénérienne » . Pendant plusieurs décennies, dans cet établissement entièrement placé sous l’autorité de la Préfecture de Police, les prostituées malades sont placées dans un établissement qui pratique « un savant mélange entre l’hôpital et la prison, entre la patiente et la prisonnière ».
La deuxième série de contributions se termine par un article de Francis Démier « l’Hôpital à l’épreuve de la critique des « Réformateurs » du premier XIXe siècle » dans lequel il montre que « l’hôpital a …subi tout au long du premier XIXe siècle d’incessantes critiques de la part des réformateurs, des observateurs sociaux épris d’une nouvelle rationalité, d’un esprit utilitaire ».

L’organisation du système hospitalier

La troisième et dernière « partie » de cet ouvrage « l’organisation du système hospitalier parisien », commence par « un siècle de financement hospitalier », article dû à la plume de Jean-Paul Domin qui montre tout d’abord « le déclin progressif (des) formes caritatives de financement » ; les graphiques utilisés, très bien composés sont malheureusement difficilement lisibles (leur légende surtout) du fait de la réduction opérée au moment de la mise en page. Ce qui est montré, c’est l’évolution vers une part croissante des subventions dans le budget de l’Assistance et plus récemment par les remboursements de la Sécurité Sociale, complétées de façon marginale par les contributions des patients. Yannick Marec s’intéresse ensuite à « l’organisation administrative de l’Assistance publique de Paris au XIXe siècle » dont il montre la marche vers une centralisation qui correspond à la fois à une clarification des fonctions de chaque établissement mais aussi aux conceptions nouvelles qui transférent de la responsabilité des organismes charitables à la collectivité publique la prise en charge de l’assistance. De façon complémentaire, davantage centrée sur une courte période mais dépassant largement le cadre parisien, Jérôme Grévy s’intéresse pour sa part à « la République opportuniste et les hôpitaux » en montrant comment le processus de rationalisation qui est alors conduit permet « d’établir une structure de soins rationnelle et égalitaire sous l’égide de l’Etat ».
Autre question d’organisation hospitalière, « l’alimentation à l’hôpital » est traitée par Alain Drouard qui s’intéresse à la fois aux perfectionnements de l’organisation des services ayant à nourrir 15000 personnes et aux conséquences des progrès de la diététique sur les menus servis aux malades. Les trois dernières contributions sont consacrées aux exemples provinciaux, probablement moins pour montrer comment le modèle parisien est repris dans les villes importantes du territoire national que pour mieux faire ressortir la spécificité de cette énorme machine qu’était l’Assistance publique à Paris. Pierre Guillaume décrit tout d’abord pour une ville qu’il a souvent étudiée « la mosaïque hospitalière bordelaise au XIXe siècle », occasion de souligner au milieu de la grande variété d’institutions d’assistance l’émergence « d’un pouvoir médical qui, à Bordeaux, s’affirme à partir de 1850 » et comme dans d’autres villes à l’augmentation du rôle de l’Etat. Yannick Marec s’intéresse ensuite à une comparaison entre Paris, Rouen et Le Havre en montrant qu’à côté du modèle parisien où, et bien que de nombreux praticiens rouannais se soient formés à Paris, d’autres organisations sanitaires peuvent exister comme pour Rouen la persistance d’un important système de secours à domicile et de dispensaires. Au Havre au contraire, « c’est le choix de l’hospitalisation qui l’emporte » avec des solutions techniques alors en avance sur la capitale.
Olivier Faure enfin, par une interrogation portant sur la troisième ville de France « les hôpitaux de Lyon au XIXe siècle : un deuxième Paris » décrit une organisation sanitaire dans laquelle l’assistance publique est complétée par un réseau d’établissements confessionnels catholiques ou protestants, puis mutualistes. « Avec l’antisepsie et l’asepsie les opérations deviennent possibles sans risques inconsidérés » et un public qui n’est pas obligatoirement indigent fréquente l’hôpital qui devient « un enjeu majeur de la vie locale »

Cette contribution clôture cette partie en même temps que le texte proprement dit car il n’y a pas de conclusion générale. L’ouvrage se termine par une intéressante recension des hôpitaux parisiens au XIXe siècle, indiquant pour chacun son adresse, son origine, sa date d’ouverture, souvent son architecte, sa spécialité et son évolution dans le temps. La bibliographie d’environ 140 titres bien choisis constitue un bon point de départ, actualisé, pour étudier les hôpitaux et la médecine publique au XIXe siècle , enfin la table des illustrations qui détaille leur origine couvre à elle seule 9 pages.

L’intérêt qu’on peut trouver à la lecture de chacune de ces contributions rédigées par des spécialistes, l’existence d’un appareil critique d’une vingtaine de références par contribution, parfois bien davantage, la qualité des illustrations, particulièrement nombreuses, et la présentation de l’ouvrage (seules quelques coquilles qui ne gênent pas la lecture ont échappé aux correcteurs mais qui peut se prévaloir d’un ouvrage ou d’un texte sans coquilles ?) font de Médecins et malades dans les hôpitaux parisiens au XIXe siècle à la fois un beau livre et un ouvrage de référence dans un domaine où les synthèses sont encore peu nombreuses.