Cet ouvrage s’insère dans une série de volumes publiés par les éditions Droz, série intitulée « Archives des Églises réformées de France ». Philip Benedict et Nicolas Fornerod, deux chercheurs travaillant à l’Université de Genève, proposent ici l’édition d’une trentaine de documents relatifs aux tous débuts des Églises réformées françaises, au moment où la Réforme calviniste se cristallise dans la France des années 1550-1560.

Quels documents ?

Dans une longue et riche introduction – plus de cent pages –, les auteurs définissent d’abord le corpus d’étude. Trois types de documents ont été privilégiés : les actes des premiers synodes provinciaux des Églises réformées, ces réunions à caractère régional rassemblant pasteurs et laïcs (appelés anciens ou diacres) ; des requêtes, mémoires et autres discours produits par les députés nommés par les synodes ; le registre consistorial de l’Église du Mans qui couvre la période allant de janvier 1561 à février 1562. Le consistoire est l’institution de base du système ecclésiastique réformé, une instance à vocation multiple, matérielle, politique et surtout disciplinaire. L’essentiel des matériaux publiés ici, souvent pour la première fois, concerne l’année 1561 et le premier trimestre 1562, avant que n’éclate la première guerre de Religion. Le premier document transcrit date néanmoins de 1557. Il s’agit des « articles politiques pour l’Église réformée selon le Saint Évangile, fait à Poitiers ». Ce texte, qui conserve sa part de mystère, définit les règles de fonctionnement d’une seule Église, tout en exprimant la possibilité, pour ne pas dire la nécessité, de réunir des synodes, seul moyen de garantir l’égalité entre les communautés et de se distinguer ainsi des pratiques en vigueur dans le monde catholique : « Pour autant que toute primauté est dangereuse et aspire à une tyrannie, comme on en voit l’exemple en la papauté, à cette cause on se donnera garde de résoudre chose qui touche les autres Églises sans le consentement d’icelles et en être requis, ce qui se pourra faire en synode légitimement assemblé ».

Une organisation institutionnelle en gestation

Les premières Églises réformées sont « dressées », c’est-à-dire organisées autour d’un consistoire, à partir de 1555 et surtout après 1559. C’est en mai de cette dernière année, à Paris, que se réunit le premier synode national des Églises réformées de France, selon les termes habituellement retenus par l’historiographie. Les actes de cette assemblée de pasteurs, dont l’édition est actuellement préparée par Bernard Roussel, préconisent la tenue de synodes provinciaux deux fois par an. Le réseau se met très lentement en place. La documentation demeure très lacunaire. Pour l’année 1560, seuls les procès-verbaux des réunions de Caen (Normandie et Bretagne) et de Clairac (Guyenne) sont connus. Le réseau synodal s’étend par la suite, tandis que les frontières entre les provinces restent floues. La documentation publiée dans ce volume permet d’en savoir plus sur le déroulement et le fonctionnement de ces assemblées. De manière exceptionnelle, les actes du synode de la province du Berry (Sancerre, avril 1561) contiennent la liste des participants, sans doute une trentaine de membres (douze pasteurs, quatorze diacres, huit anciens et deux commis, selon l’évaluation proposée par les auteurs).

À côté des synodes provinciaux existent des subdivisions administratives intermédiaires, les colloques, à propos desquels on est peu renseigné. On en sait bien davantage sur les consistoires. Au Mans, durant les premiers mois de 1561, il existe deux consistoires, l’un pour les affaires de discipline, l’autre pour la police ou pour le gouvernement ecclésiastique. Les deux fusionnent par la suite, appliquant ainsi les recommandations du synode national de Poitiers (mars 1561).

À la lecture de tous ces textes, on comprend que le modèle préconisé par Jean Calvin n’a pu s’imposer en France sans aménagements de plus ou moins grande ampleur. Si les ordonnances ecclésiastiques de Genève (1541) distinguent les diacres, chargés de s’occuper des pauvres et des malades, et les anciens, qui veillent sur les mœurs des fidèles, la séparation entre les deux catégories est bien moins nette dans la France du début des années 1560. L’espace concerné ainsi que la situation politique – les Églises réformées sont condamnées à la clandestinité jusqu’à la proclamation de l’édit de Saint-Germain, en janvier 1562, quelques mois avant le massacre de Wassy – imposent des adaptations. Les auteurs rappellent, après d’autres, que l’initiative lancée pour convoquer le synode national de 1559 est venue de l’intérieur du royaume, suscitant les réserves de Calvin.

La construction d’une alternative confessionnelle

Quels sont les sujets qui préoccupent les Églises réformées de France assemblées en synodes, en colloques ou en consistoires ? Les communautés consacrent beaucoup de temps aux pasteurs. Il s’agit notamment de lutter contre ceux qu’on appelle les « coureurs », ces ministres qui « s’ingèrent d’eux-mêmes au ministère », sans approbation de leurs pairs (actes du synode provincial de Normandie, Dieppe, mai 1561).

Les institutions réformées s’efforcent également d’établir un corpus de pratiques cultuelles conforme au modèle genevois, ce qui ne va sans contestations ou tâtonnements. Certains rites réformés s’opposent frontalement aux pratiques catholiques. C’est le cas des funérailles. Il reste difficile pour beaucoup de convertis d’accepter que la célébration se fasse dans la plus grande discrétion. En septembre 1561, à Paris, le synode provincial d’Île-de-France réitère l’interdiction générale des prières aux obsèques, tout en octroyant la liberté aux pasteurs « de faire exhortation » « là où ils verront grande espérance d’avancer la gloire de Dieu ». Cela ne saurait toutefois devenir coutumier « pour crainte de superstition ».

Les assemblées ecclésiastiques cherchent enfin à contrôler les mœurs des fidèles. Ces derniers sont invités, selon les mots de la Discipline de l’Église de Saint-Lô (1563), à suivre « justice et innocence », à combattre « contre les allèchements de la chair », à avoir « en horreur toutes paillardises, paroles vilaines, dissolutions, ivrogneries, jeux défendus ». Le consistoire du Mans se prononce ainsi sur quarante-neuf cas disciplinaires en 1561 et en 1562. Il joue un rôle d’arbitre ou d’intermédiaire dans les conflits qui opposent les membres de la communauté, proscrit les jeux de dés et de cartes, exige encore une rupture nette avec l’Église catholique. On retrouve de tels cas à Nîmes dont le premier registre consistorial (1561-1563), particulièrement riche, doit être prochainement publié par Philippe Chareyre. Les questions relatives au mariage font l’objet de nombreuses délibérations synodales. Les institutions réformées sont ici confrontées à la législation en vigueur, nécessairement adossée au droit canonique dans un royaume majoritairement catholique.

Une action politique

Les textes édités par Philip Benedict et par Nicolas Fornerod montrent bien que les institutions ecclésiastiques réformées possèdent également une dimension politique. Les Églises profitent ainsi de la convocation des États généraux à Orléans (décembre 1560-janvier 1561) puis à Pontoise (août 1561) pour faire avancer leurs revendications et leurs intérêts. Dès 1560 et surtout après la tenue du synode national de Poitiers en mars 1561, des députés sont envoyés auprès du roi « pour solliciter les affaires » des communautés huguenotes.

Les synodes vont parfois jusqu’à approuver la saisie d’édifices catholiques. En décembre 1561, une assemblée réunie à Sainte-Foy – les actes n’ont pu être retrouvés – met en place un véritable système militaire à l’échelle de la haute Guyenne et du Limousin.

C’est tout le mérite de cet ouvrage de montrer que synodes et consistoires offrent de multiples champs d’analyse, bien au-delà du domaine strictement religieux. Ce rapide compte rendu ne peut rendre compte de la richesse du volume signé par Philip Benedict et par Nicolas Fornerod : une introduction dense et décisive, un appareil critique d’une rare précision, sachant mobiliser les sources les plus ténues et les acquis les plus récents de l’historiographie, un index de qualité. Il faut saluer les auteurs et les éditeurs qui, en des temps où l’érudition a mauvaise presse, ont publié un maître-livre, référence désormais incontournable sur l’institutionnalisation de la Réforme en France.

Luc Daireaux

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