Une chronique d’Alain Ruggiero Université de Nice-Sophia-Antipolis

Assemblée des Pays de Savoie et fondation FACIM, Nice et Savoie : un regard contemporain, éditions Actes-Sud, mai 2010, 240 pages (dont 90 gravures et 90 photographies)

En 1864 paraissait le luxueux album Nice et Savoie, composé de gravures coloriés représentant différents lieux considérés comme représentatifs ou remarquables des deux provinces qui venaient d’êtres rattachées. Cet album, invitation au tourisme alors balbutiant, même parmi les quelques favorisés de la société qui pouvaient s’y adonner, est souvent utilisé aujourd’hui comme référence visuelle pour une époque où peu de photographies représentent encore paysages et monuments.

EXPOSITION ET LIVRE AUTOUR DE LA PUBLICATION DE 1864 : NICE ET SAVOIE

Parmi d’autres manifestations qui marquent le cent-cinquantenaire de vie de la Savoie et de la région niçoise au sein de l’ensemble français, la Fondation FACIM qui s’occupe de la valorisation du patrimoine savoyard et le Conseil général de Savoie organisent du 19 juin au 20 septembre à l’abbaye de Hautecombe une exposition de prises de vue du photographe François Deladerrière. Les panneaux de cette exposition représentent à l’époque contemporaine les mêmes sites remarquables qui avaient intéressé Félix Benoist, le dessinateur de l’édition de1864. Autour de cette exposition, les éditions Actes-Sud ont réalisé un très bel album, composé de doubles pages portant sur celle de gauche la quasi-totalité des gravures du Nice et Savoie de 1864 auxquelles correspondent en regard les clichés contemporains de François Delarerrière. La correspondance est saisissante dans de nombreux cas cas, tels Montmelian, Hautecombe, Saint-Jeoire-en- Faucigny, Lanslebourg, le Mont Ruant ou encore Guillaumes, même si les vues de 2010 représentent un paysage plus occupé par l’habitat etavec une végétation plus importate.
Dans d’autres cas, comme pour le lac d’Aiguebelette, et bien sûr les zones urbaines les lieux ont tellement changé que la même prise de vue n’était pas possible. On a également l’impression dans le cas de clichés pris à un angle légèrement différent que constructions et modification des infrastructures on empêché de poser l’appareil au même endroit que le carnet de croquis de Felix Benoist. La présentation des gravures et des photos est d’ailleurs précédée par une page de François Deladerrière expliquant son travail et pourquoi dans certains cas il n’avait pu utiliser exactement le même cadrage que sur la gravure.
La comparaison est stimulante comme dans tous les cas d’utilisation de ce procédé qui utilise des images « d’avant » et de l’époque qui nous est contemporaine et l’ensemble constitue un beau livre mais il n’est pas que cela.

DES COMPLÉMENTS FOURNIS PAR LES TEXTES D’ACCOMPAGNEMENT

La description des lieux (un par canton) due en 1864 dans l’édition d’origine de Nice et Savoie à la plume de Joseph Desaix et Xavier Eyma n’a pas été reprise, et pour placer les gravures et les photographies en quelque sorte dans la thématique de l’exposition et du livre, ce sont des textes relativement brefs d’Hervé Gaymard, de Bruno Berthier et de Maryline Desbiolles qui encadrent les planches portant sur Nice et Savoie trois regards contemporains d’essence différente. Hervé Gaymard, le président du Conseil Général de Savoie s’interroge tout d’abord sur «ce qu’à bien pu représenter le rattachement de 1860 pour nos aïeux » dont « certains virent apparaître et les autres disparaître une frontière». Il montre ensuite l’ampleur des bouleversements survenus depuis cette date : grands travaux, industrialisation, arrivée plus récente d’habitants venus d’ailleurs dont il note au passage que « ces Savoyards là, à de rares exceptions ne se sentent pas vraiment impliqués dans cette histoire désormais ancienne ». Il conclut cette présentation « Nice et Savoie, mémoire d’avenir » par une belle page sur tout ce qui l’accroche à cette Savoie qui lui est chère.

Précédant la présentation des gravures et des clichés, c’est ensuite l’universitaire Bruno Berthier, spécialiste des transferts de souveraineté de 1860 auxquels il a consacré plusieurs travaux, qui propose une réflexion à partir de « Nice et Savoie… La construction historique tourmentée d’une identité alpine singulière ». Cette interprétation de l’Histoire des Etats de Savoie propose une vision à long terme qui souligne l’originalité de cette structure politico-géographique à cheval sur une dorsale nord-sud à l’ouest des Alpes, mais en même temps les logiques géopolitiques à partir desquelles la possession du Piémont fit pencher le Duché du côté italien. Le cas de la Savoie et du comté de Nice, de l’autre côté de la barrière alpine ne pouvait que se poser dans un Etat dans lequel « le seul élément de cohésion de l’ensemble, à la veille de la Révolution comme plus tard, lors de la Restauration, réside toujours dans un principe vertical de type féodo-seigneurial d’attachement de chacune de ces communautés régionales à leur prince ». Le résultat en est que « ces liens personnels ne permettent pourtant pas l’émergence d’un véritable sentiment national » qui aurait pu aider au maintien de ces territoires dans l’ensemble piémonto-sarde bien que la force centripète italienne ait été probablement trop forte. La cession des deux provinces « régularisation contractuelle d’un mariage arrangé » avant que se produise « la célébration des noces et l’établissement du ménage » est ensuite décrite. Le rappel des commémorations de 1910 (ambiguë) et de 1960 (grand moment de ferveur patriotique) clotûre ce texte très synthétique mais à la portée des lecteurs non-spécialistes auxquels il se destine, texte qui annonce l’importance des mutations des cadres de vie entre 1860 et 2010.

C’est enfin un texte très personnel de Maryline Desbiolles qui fait suite à la partie illustrée du livre. Elle prend en effet comme point de départ les voyages familiaux entre le village des Alpes-Maritimes où vivaient ses parents et la Savoie où se trouvait une partie de sa famille pour dévider des séquences du passé qu’elle a vécu en Savoie et dans la région niçoise, parfois avec nostalgie, un souvenir en entraînant un autre, une idée en amenant une autre.
Ces pages relatant des allées et venues entre Nice et Savoie, est écrit dans une langue élégante et dont il faut savourer les enchaînements de phrases est un prétexte à diverses évocations et à finalement souligner les liens qui peuvent unir aussi, pour une seule personne, les deux provinces devenues françaises en 1860.
Enfin les dernières pages de l’ouvrage sont consacrées à la présentation des légendes détaillées des planches. A la fois catalogue d’exposition et intéressant ouvrage sur la comparaison de la Savoie et de la région niçoise entre 1860 et aujourd’hui , ce livre devrait attirer bibliophiles et lecteurs intéressés par cette histoire.

Alain Ruggiero