Simon Edelbutte est maître de conférences en géographie à l’université Nancy 2 et spécialiste de géographie industrielle. La collection « Carrefours » se veut une collection de culture générale qui associe les domaines les plus divers de la géographie. Ce livre a pour ambition d’être une « géohistoire » du fait industriel, c’est-à-dire l’étude d’un territoire sur un laps de temps long en Europe.

L’espace d’étude concerne l’Europe car elle est l’espace privilégié de la révolution industrielle. Ce terme ne veut pas dire histoire précise l’auteur, car d’autres ouvrages abordent cette question. L’industrie est peut-être moins visible aujourd’hui car à l’âge des hangars, rien ne ressemble plus à une industrie qu’un bâtiment de vente !

Penser le thème en géographe

En géographe, Simon Edelblutte cherche tout d’abord à préciser le vocabulaire qu’il emploie pour éviter toute confusion. Ainsi en est-il pour la ville-usine, définie comme une « ville presque entièrement ou entièrement née des mines ou usines ». La ville industrielle, elle, est une « ville déjà existante et accueillant de nombreuses usines ». L’approche est clairement géographique comme le montre aussi le plan choisi pour l’ouvrage qui choisit de superposer et d’emboîter les échelles : le site, donc la grande échelle, puis la ville, et enfin la région et ceci pour aborder l’histoire de l’industrie. Il rappelle utilement l’importance de cette grande échelle car c’est celle du vécu par les populations. Parmi les particularités du livre, on peut noter de multiples petits schémas qui parsèment le propos. Il existe aussi entre les deux parties de l’ouvrage un cahier central fort intéressant, qui alterne photos, cartes et schémas de synthèse. Un des buts est donc de montrer une évolution d’où le fait que l’auteur choisisse d’aller jusqu’à parler des technopoles. On a d’utiles études de cas, ou du moins des matériaux pour les réaliser et les penser.

Paysages et territoires industriels

Le défi est à la fois de collectionner, d’expliquer des exemples, mais évidemment de tirer quelque chose de cette accumulation par la mise en évidence de tendances lourdes. A ce propos, Simon Edelblutte évoque les structures utilisées au départ et qui ont été indéfiniment reproduites comme les sheds et les tubes. Les défis qui se sont posées concernaient l’approvisionnement en énergies d’où l’importance de la localisation au bord de l’eau. Pendant longtemps cette contrainte fut décisive. On utilisa aussi longtemps la brique comme matériau. Toujours dans l’idée de dégager des invariants, on peut évoquer le rôle majeur des vallées. Puis en changeant la dimension du regard, l’auteur s’intéresse ensuite à ce qu’il appelle les éléments indirects du paysage industriel. Il a fallu historiquement des logements et à proximité surtout à une époque où les moyens de déplacement n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. Certains passages du livre comportent une dimension très historique quand il aborde, par exemple, les services liés à ces constructions (éducation, hygiène, loisirs). Un minuscule encadré souligne la référence au familistère de Guise, frustrant quelque peu l’historien. Les planches qui rapprochent différentes situations européennes se révèlent elles au contraire particulièrement intéressantes comme lorsque l’auteur évoque les foyers sociaux du Yorkshire ou de Lorraine.

Quel devenir aujourd’hui ?

Nos paysages sont le produit territorial des révolutions industrielles. « La ville usine reste emblématique de ces époques et est paradoxalement assez peu étudiée après les années 60 …comme si elle disparaissait en même temps que l’usine qui l’avait générée ». A travers cet extrait, on aperçoit bien cette sorte de répulsion qui a pu s’emparer de ces paysages qui ne sont plus aujourd’hui synonymes de modernité et d’emplois. L’auteur s’intéresse à l’exemple de la Ruhr qui constitue le plus vaste et le plus peuplé des bassins industriels du continent. Toujours pour aller au-delà de l’unicité, l’auteur cherche à mettre en évidence plusieurs conditions pour la réussite de ce processus de transformations. Il distingue l’importance des choix politiques liés aux personnalités locales, la masse démographique du territoire qui est un potentiel pour d’éventuels investissements, et enfin la situation même du territoire. Il ne faut pas omettre les différents acteurs comme les entreprises, l’état, les régions par exemple…Le livre retrace aussi les processus comme la reconversion en distinguant toutes les étapes par lesquelles passe ce type de terrain. Cela ressemble donc parfois à une sorte de manuel pratique de façon convaincante permettant d’aller au-delà de l’exemple.
Le patrimoine industriel a commencé à obtenir une certaine reconnaissance depuis quelques années seulement. Pour beaucoup de gens, il est encore souvent considéré comme moins intéressant que la Renaissance.
Enfin Simon Edelblutte aborde la question passionnante de la friche et de sa reconversion. Que de cas à examiner et pourtant que de problématiques communes à travers le continent. Sur ce point, l’expérience européenne est éclairante, comme le quartier Vastra Hamnen à Malmö. Dans cet ancien quartier industrialo-portuaire, on trouve aujourd’hui une université, un palais des expositions, ou encore d’anciens docks devenus résidences.

Bémols et prolongements

Pour être encore plus efficace, il manque un index qui permettrait de retrouver les études de cas et les lieux, surtout lorsqu’ils sont évoqués à plusieurs reprises tout au long de l’ouvrage. Il y a bien une carte qui récapitule la localisation des illustrations, mais c’est insuffisant. On pourra déplorer également que les photos apparaissent en un noir et blanc particulièrement triste, qui a en plus tendance à conforter certaines images de l’industrie. On imagine que des raisons économiques ont présidé à ce choix. C’est d’autant plus dommage qu’aujourd’hui des photographes réalisent des clichés sur ces sujets. Alors certes, on est peut-être sorti du cadre que s’assignait ce livre, mais il n’en demeure pas moins que cette dimension esthétique aurait pu s’intégrer harmonieusement à l’ensemble. Il faudrait aussi prolonger par une approche extra-européenne, mais là aussi l’auteur a bien précisé que tel n’est pas ici son propos. Ces deux dernières remarques sont peut-être finalement à porter au crédit de ce livre qui invite à dépasser une vision trop étriquée d’un tel sujet.

Reconnaissons pour finir qu’il faut tout de même s’intéresser au sujet pour se plonger dedans, mais si l’industrie, si le thème du paysage ou encore la patrimonialisation interrogent, on pourra trouver d’utiles repères dans cet ouvrage.

Jean-Pierre Costille