Qu’est-ce que préparer un cours ? Quels sont les fondements théoriques d’une telle activité mais comment cela se traduit-il aussi dans la pratique. Voici quelques-unes des questions auxquelles ce livre de Manuel Musial et André Tricot répond. Le premier est professeur en sciences de l’ingénieur à l’Université de Toulouse et à l’Inspe et le second est professeur de psychologie cognitive à l’université de Montpellier. Ils travaillent ensemble depuis quinze ans. Leur ouvrage s’adresse à tous les formateurs et tous les enseignants qui ont « pour agir, besoin de comprendre ce qu’ils font ». 

Ingénierie pédagogique

Ce livre est comme un prolongement d’un précédent de 2012 intitulé « Comment concevoir un enseignement ? ». A l’époque, plusieurs enseignants avaient signalé à la fois tout le bien qu’ils pensaient du livre et, en même temps, ils relevaient qu’il n’était pas toujours assez orienté sur la pratique. Ce nouveau volume entend donc remplir un double objectif : préciser les bases théoriques du modèle d’ingénierie pédagogique et fournir de nombreux exemples détaillés. Par ingénierie pédagogique il faut comprendre « un système de procédures pour élaborer des programmes d’enseignement et de formation de manière cohérente et fiable ». Comme le disent eux-mêmes les auteurs « la pensée lente … de l’ingénierie pédagogique ne semble pas toujours compatible avec une activité professionnelle quotidienne ». Il est pourtant important de savoir, à certains moments, s’arrêter pour réfléchir à ses pratiques. Les propositions des auteurs s’appuient sur les trois composantes de ce qu’ils nomment « la théorie des trois actes ». Les trois premiers chapitres proposent d’expliquer chacune des composantes tandis que le quatrième regroupe des propositions concrètes qui s’appuient sur le modèle précédemment expliqué. Précisons également que l’ouvrage comprend des points réguliers sous forme de résumé ainsi que de nombreux schémas ou illustrations. Une bibliographie abondante permet d’ aller plus loin.

Théorie de l’acte d’apprendre à l’école

Pour enseigner, il est nécessaire d’être au clair sur ce que signifie « apprendre ». Apprendre, c’est un couple composé d’une tâche et d’une connaissance. Autrement dit, une connaissance est ce qui permet de réaliser une tâche. Ensuite, les auteurs détaillent des processus d’apprentissage : il s’agit de la conceptualisation, la compréhension, la procéduralisation, l’automatisation, la prise de conscience et la mémorisation littérale. Puis, il s’agit de cerner ce que signifie l’acte d’apprendre à l’école car cela induit des contraintes spécifiques. De façon très claire, les contraintes sont présentées et, parmi elles, la difficulté de la généralisation ou l’importance de la motivation. On peut relever qu’il existe plusieurs processus qui transforment des connaissances explicites comme la généralisation, l’abstraction ou l’imitation. 

Théorie de l’acte d’enseigner 

La question centrale est ici : comment enseigner pour favoriser tel type d’apprentissage ? L’enseignant doit donc prendre en compte les élèves. Les auteurs mettent en avant trois principes : celui de dévolution, d’économie cognitive et d’étayage efficient. Le deuxième consiste par exemple à réduire le nombre d’éléments à mobiliser pour arriver à transformer le savoir en connaissance. Ensuite, le chapitre s’intéresse à différents processus et revient sur la question de la motivation. « Parmi les principes à rappeler il y a celui qui est qu’on ne peut apprendre sans rien faire ». Un tableau très utile propose un ensemble de conseils pour aider l’élève à gérer la charge cognitive. Finalement, faire comprendre un savoir c’est expliciter son contenu, expliquer la forme institutionnelle du savoir et faire expliciter les connaissances. 

Théorie de l’acte de concevoir

Il s’agit cette fois de savoir « comment s’y prendre » et cela synthétise les deux précédentes parties. « L’enseignant …est comme le concepteur-créateur de voyage qui élabore un produit touristique…il doit bien connaitre la région dont il s’occupe ». Préparer un enseignement, c’est définir « le quoi enseigner », le « comment enseigner » et « avec quoi ». Les auteurs précisent les trois principes essentiels de cette activité à savoir la pertinence, la clarté et l’adaptation du propos. Une des pistes aussi c’est, de la part de l’enseignant, de décrire un plan d’action car cela l’oblige à se poser des questions et il peut donc anticiper d’éventuelles difficultés. On trouve de nombreux conseils qui peuvent aider l’enseignant. On peut citer, par exemple, le fait d’activer des connaissances antérieures ou encore de proposer des tâches motivantes avec une liste de dix critères à respecter. Le chapitre montre aussi quelle trace écrite fournir aux élèves pour la prise de notes en distinguant des niveaux.

Applications de la « théorie des trois actes » 

A partir du chapitre 4, il s’agit donc d’exemples appliqués, ce qui représente la moitié de l’ouvrage. Beaucoup de matières et beaucoup de niveaux sont passés en revue : « chacun d’eux n’illustre pas l’ensemble des tâches de démarche de conception ». Voici comment chaque exemple est organisé : une partie liminaire qui précise le contexte et l’objectif d’enseignement, « les différentes activités de définition du contenu à enseigner, la planification du parcours d’enseignement-apprentissage et le façonnage des ressources pour enseigner ». On trouve ensuite un commentaire sur ce qui a été proposé pour préciser les limites de l’exemple fourni et inviter le lecteur à en « tirer les leçons ». Parmi les exemples traités, il y a entre autres « Enseigner l’écriture d’un poème en français au collège », « Enseigner le schéma cinétique pour la technologie en lycée » ou encore « Enseigner l’écoute musicale au collège ». On le voit, le spectre des propositions est large. Un des éclairages proposés concerne le chapitre sur les expériences totalitaires dans l’entre deux-guerres pour le niveau collège. Il convient d’abord de s’interroger sur le sens de l’expression « expériences totalitaires » puis on trouve une carte heuristique du régime totalitaire. Le chapitre détaille ensuite les étapes du parcours d’enseignement-apprentissage avec des variantes possibles. 

Il s’agit donc d’un ouvrage qui nécessite un temps d’appréhension pour en profiter pleinement. On sait gré aux auteurs d’avoir en quelque sorte essayé de tenir les deux bouts de la chaîne, c’est à dire d’avoir à la fois proposé une réflexion théorique de qualité et des déclinaisons pratiques. 

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes