Thèse d’histoire sociale sur les notaires poitevins de l’Ancien Régime.
Indépendamment de l’intérêt propre de son sujet pour l’histoire sociale de l’époque moderne, cette étude sur les notaires poitevins de l’ancien régime est une brillante démonstration de méthodologie appliquée.

Cet ouvrage dense et stimulant, qui publie la version abrégée d’une thèse soutenue à l’EPHE sous la direction de Jacques Revel, ne s’inscrit pas seulement dans la filiation de l’histoire notariale dont JP. Poisson et JL. Laffont ont démontré la richesse et la complexité. Elle s’inspire également des problématiques de la micro-histoire fondée par les chercheurs italiens comme Carlo Ginzburg ainsi que des méthodes de la prosopographie, et les fertilise par un usage novateur des techniques de la généalogie. Il dresse le portrait individuel et collectif des 300 notaires qui ont instrumenté durant trois siècles dans une capitale provinciale démographiquement terne et économiquement engourdie. L’image qui s’en dégage est contrastée. La construction d’une communauté structurée et d’une identité professionnelle forte se fait sur la base d’une crise financière permanente née des abus de la politique de création d’offices de Louis XIV. La rentabilité des activités de la corporation se trouve si obérée par la montagne des dettes qui en résulte que la valeur vénale des charges ne cesse de péricliter, et que cette charge paradigmatique de la stabilité dynastique se caractérise longtemps par une fluidité successorale évidente, que restreint pourtant progressivement la fermeture des horizons d’évolution sociale au sein du monde des offices. Cette stabilisation accroît l’hétérogénéité économique et sociale interne à la corporation, avec d’énormes contrastes de clientèle et d’activité entre de petits gratte-minutes peu rémunérés proches du monde de la boutique, et leurs confrères aisés cumulant les riches pratiques et les patrimoines fonciers. Une tardive ouverture intellectuelle accompagne la transformation des praticiens en légistes et accompagne, avec la Révolution et l’Empire, la reconquête d’une position au sein du monde des notables municipaux perdue depuis le XVIème siècle et ses liens au sein de l’échevinage.Très convaincante et bien argumentée, la réflexion de Sébastien Jahan, qui peut paraître trop rapide sur les modalités de l’exercice notarial proprement dit, est en revanche, grâce au recours à la généalogie, particulièrement fine et novatrice dans le décryptage d’une dimension complexe mais essentielle de la société d’ordres : celle des réseaux. Élaborés par le biais des alliances, des parentés et des affinités qui situent chaque individu au sein d’un projet collectif et d’un univers familial, ils sont méthodiquement constitués pour préserver ou améliorer les perspectives sociales communes et stratégiquement renouvelés avant que la mémoire des solidarités ne s’estompe. Là est sans doute l’intérêt essentiel de sa contribution. Si les conclusions de cet ouvrage peuvent sembler modestes, cette apparence ne doit pas minimiser son apport réellement novateur sur le plan méthodologique, ni surtout sa participation à la mise en évidence de la polysémie complexe des relations sociales qui structuraient la société d’ancien régime.Guillaume Lévêque © Clionautes.