Nul n’est besoin de rappeler le parcours de Marc Ferro ; simplement au vu du sujet, il est nécessaire de revenir sur la série d’émissions « Histoire parallèle » qui traitait comme le livre qui nous intéresse de la second guerre mondiale.
Tout a-t-il été dit sur ce conflit, on peut avoir l’impression que oui au vu de la formidable production éditoriale consacrée à cette période centrale du XXème siècle toutefois des sujets restent discutés, les interprétations divergent sur un certain nombre de points, d’évènements. Tel est le parti de ce petit ouvrage, paru une première fois en 1993 et qui nous est offert ici dans une version revue et augmentée.Comme l’indique le titre, l’objectif n’est tant de faire une histoire de la seconde guerre mondiale mais de zoomer sur des séquences qui sont encore sujet à débats. Marc Ferro en retient onze de manière arbitraire, reconnaissant d’emblée que d’autres auraient pu faire l’objet d’un développement.
Ainsi le découpage en onze chapitre suit-il les onze thèmes choisis auquel sont consacrés en moyenne une vingtaine de pages agrémentées de documents souvent introuvable dans nos manuels et pouvant faire l’objet d’étude en classe de première, tels ce tract p153 mettant en garde les juifs contre les rafles en préparation ou encore cette proclamation du général Catroux mettant fin au mandat français en Syrie.

Quelles sont les « questions » abordées par l’auteur ?
Bien évidemment celle l’image au travers de la période de l’entrée en guerre ; il distingue des attitudes différentes d’un pays à l’autre dans l’utilisation des « médias ». Ainsi les actualités françaises et italiennes sont peu mobilisatrices pour l’opinion, l’adversaire n’étant jamais clairement désigné et dénigré à tel point que Marc Ferro en conclut pour la France que l’esprit de Vichy préexistait à Pétain. Le contraste est fort avec les actualités américaines, allemandes et soviétiques identifiant précisément l’ennemi : les premières pointant l’Allemagne nazie avant même le Japon, les secondes glorifiant les victoires de la Wehrmacht et les troisièmes employant un rhétorique anti-fasciste prononcée.

Vient ensuite une mise au point sur le double-jeu qu’aurait joué Pétain après l’armistice. Beaucoup de Français furent persuadés que le maréchal pratiquait une politique alternative à la collaboration ; ce sentiment s’alimenta du renvoi de Laval en décembre 40, des rapports cordiaux entretenus avec l’amiral Leahy, représentant de Washington or les archives révèlent une autre réalité. Comme Laval, Pétain considérait la déclaration de guerre à l’Allemagne comme une erreur et vit en la collaboration une possibilité de négociation avec l’occupant. Toutefois au fil du temps, la politique menée par Vichy sous Darlan puis Laval ne pouvait plus donner le change. Pétain joua alors la partition d’une collaboration subie plutôt que choisie alors que Laval jouait à fond la carte allemande.
Plus loin dans le développement, une typologie de la collaboration en Europe est tentée. Sont identifiés : les nazis hors d’Allemagne (Norvège, Hollande) souhaitant intégrer l’espace national-socialiste, les états satellites (Slovaquie, Roumanie….), les états créés par l’Allemagne (la Croatie), les collaborateurs sans états (Ukrainien, Russes de Vlassov…). Pour tous, la collaboration a revêtu des formes et une intensité variée dans le temps mesurables à leur implication dans l’effort de guerre ou la persécution des juifs.

22/6/1941, le déclenchement de l’opération Barbarossa marque la rupture du pacte germano- soviétique. Cette alliance contre nature, fruit de l’échec de la diplomatie franco-anglaise, avait permis aux deux signataires de gagner du temps : pour l’Allemagne, il s’agissait d’en finir à l’ouest avant d’attaquer l’URSS ; pour Staline, le pacte lui permettait de réorganiser son armée, décapitée par les procès de Moscou et défaillante lors de la guerre contre la Finlande.
Les signes avant-coureurs d’une rupture précoce de l’accord furent nombreux, Marc Ferro évoque 24 alertes reçus par Staline sur des préparatifs offensifs allemands mais celui-ci n’en tint pas compte persuadé qu’il était que si agression il y avait, elle ne pouvait être pour 1941.
En tous les cas, avant la rupture du pacte, la position des communistes français s’avéra complexe. Comment se comportèrent-ils entre août 39 et juin 41 ? Il semble qu’il faille distinguer le parti des militants. Le parti chercha semble-t-il à relancer son activité après la défaite, y compris en engageant une forme de collaboration avec l’occupant. Cette position, incompréhensible pour nombre de militants, est à opposer aux comportements d’individus qui dès le début s’engagèrent dans la lutte contre l’Allemagne par des actes isolés. Juin 41 marquant l’entrée massive du parti et de ses membres dans la lutte.

Cette même année 41, la guerre prit un tour nouveau avec Pearl Harbor. Roosevelt a-t-il « livré » Pearl Harbor afin d’entrer en guerre ? Pour l’auteur, la réponse est négative. Les Japonais n’eurent pas besoin de cela. Tout les y incitait : la faiblesse anglo-française, le besoin de matières premières, le militarisme ambiant. Dès la mi-41, les actualités japonaises se firent l’écho de cette volonté d’expansion au sud-est et ne cessèrent de s’en prendre aux Américains. Marc Ferro pense que l’accusation portée contre Roosevelt tient à deux raisons : la sous-estimation par les dirigeants américains de l’animosité japonaise, les mensonges du président au congrès pour provoquer une guerre contre …. l’Allemagne. Point sur lequel il obtint le résultat escompté mais suit à l’attaque aéronavale sur Pearl Harbor.

Le sixième focus opéré par Marc Ferro concerne le tournant de la guerre. Quand faut-il le placer ? Régulièrement, Stalingrad, El-Alamein et Midway sont citées comme étant les trois victoires alliées marquant un retournement de la situation. Mais le sort n’était-il pas joué avant ? Sont cités pour appuyer cette thèse de Gaulle pour qui la guerre était finie en décembre 41, Goebbels et Todt estimant que la guerre était peut-être perdue suite à la défaite de Moscou, Goering au procès de Nuremberg déclarant que la guerre a été perdue lors de la bataille d’Angleterre mais aussi les actualités françaises passant sous silence en 41 la situation sur certaines zones du front de l’est. Au final, Marc Ferro semble considérer que fin 41-42, la situation s’inverse non seulement sur les champs de bataille mais aussi dans le domaine industriel.
Qu’en était-il de la lutte dans l’Europe occupée ? Est fait un rappel de l’efficacité de la résistance en termes de destruction, de ralentissement des communications allemandes, de mobilisation de la Wehrmacht (Yougoslavie, URSS). Une résistance dans laquelle les européens entrèrent à des moments différents (précocement en Pologne, tardivement en Italie) mais en nombre croissant dû au sentiment d’une défaite possible de l’Allemagne et à la répression toujours plus dure exercée par celle-ci. M.Ferro énumère les formes que purent prendre les actes de résistance mais souligne toute l’importance de la résistance non-armée en ce qu’elle est révélatrice de l’état de l’opinion publique. Dans les colonies, les défaites des métropoles relancèrent les courants indépendantistes. Toutefois ils se trouvaient face à un dilemme : coopérer avec l’ennemi de la métropole ou aider les alliés en espérant l’indépendance de leur victoire éventuelle. La seconde option fut choisie par la plupart des indépendantistes qui misèrent sur la victoire des alliés, surtout celles des Etats-Unis pour atteindre leur objectif ; une minorité fut tentée par la première mais le comportement des Japonais en Asie et les victoires alliés de 42 incitèrent ces mouvements à changer leur fusil d’épaule.

L’avant-dernière question porte sur l’extermination des Juifs avec des interrogations simples : Qui savait et quoi ? Introduisant le sujet par la difficulté à établir un bilan précis de l’extermination (5-6 millions), l’auteur souligne le soin mis par les nazis à garder secret la solution finale mais il n’empêche que des milliers de personnes savaient ou se doutaient en Europe. A l’extérieur, des informations dispersées parvirent jusqu’aux alliés qui considérèrent longtemps que les Juifs exagéraient leur sort. En 1945, même lors de la découverte des camps, la spécificité du sort des juifs n’apparut pas immédiatement comme Sylvie Lindeperg le fait remarquer lorsqu’elle retrace la carrière d’Olga Wormser (http://www.clionautes.org/?p=1342).
La question finale est une réflexion sur la comparaison entre fascisme, nazisme et autoritarisme. Un certain nombre de définitions du fascisme sont redonnées mais pour l’auteur elles ont pour défaut de banaliser le nazisme insistant sur le problème que pose la volonté de comparer nazisme et stalinisme : identifier l’un à l’autre peut amener à faire table rase de l’essence du nazisme : le racisme. Le livre s’achève sur le rôle des populations et leur adhésion ou non à ces idéologies : l’idée que les dirigeants auraient imposé à la population ces idées est en partie vraie mais il ne faut pas oublier qu’une partie de la population adhéra à celles-ci.

Il s’agit d’un livre agréable à lire de part la forme choisie : pas de litanie de dates, de noms, d’évènements mais des réflexions sur quelques thèmes ; aucune volonté d’exhaustivité mais une volonté d’éclairer quelques temps forts du conflit le plus meurtrier de l’histoire.

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