Cette édition représente une somme colossale (1040 p.) et vous assure de longues heures de lecture ! Michel CarmonaSpécialiste de l’histoire de la France du XVIIe siècle Michel Carmona est l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels Marie de Médicis (1981), La France de Richelieu (1984), Haussmann (2000) et Le Louvre et les Tuileries, huit siècles d’histoire (2004). nous dresse un portrait d’Armand Jean du Plessis devenu le célèbre cardinal de Richelieu mais aussi de la France et de l’Europe des XVIe et XVIIe siècles. La structure de l’ouvrage est simple car elle suit le fil chronologique de ce destin hors du commun, de la naissance à la mort du cardinal. Quelques chapitres thématiques sont incorporés à ce récit biographique afin de dresser un portrait détaillé du royaume de France, du pouvoir royal, des finances, du clergé ou des affrontements religieux à l’époque de Richelieu.

Du métier des armes à la prêtrise

Les premiers chapitres sont particulièrement intéressants car ils permettent de comprendre comment le jeune Armand Jean du Plessis, dans le contexte de la fin du XVIe siècle, se décide à prendre l’habit religieux. Il est né dans une famille dont le père, François, est proche du pouvoir royal. On retrouve François aux côtés d’Henri III puis d’Henri IV. Lorsqu’il meurt en 1590, Armand n’a que 5 ans. Sa mère Suzanne se retrouve seule afin de gérer les possessions familiales. Seul l’évêché de Luçon procure véritablement des ressources. Les difficultés financières, malgré l’aide d’Henri IV, obligent la famille à se retirer dans ses terres de Richelieu. Parce qu’il est un élève studieux et exemplaire, sa famille le promet dans un premier temps au métier des armes. Mais, afin que les Richelieu conservent l’évêché de Luçon et ses revenus lucratifs, il deviendra prêtre ! En 1606, Henri IV donne son agrément à la nomination d’Armand, âgé de seulement 20 ans, comme évêque de Luçon. Richelieu part à Rome afin de convaincre le pape d’accepter cette nomination car la limite fixée par l’Eglise est de 23 ans. Paul V, impressionné par le jeune homme et par la finesse de son intelligence, consent à la dispense. Le 17 avril 1607, Richelieu est sacré évêque à Rome.

Entre succès et désillusion

Coqueluche de la Cour avec ses sermons éloquents sans trop d’élans mystiques, Richelieu trouve un protecteur en la personne du cardinal du Perron mais n’entretient pas de bonnes relations avec d’autres proches du roi dont Sully. Il rejoint Luçon où il réussit à se faire accepter dans un diocèse qui n’aime guère sa famille, notamment les chanoines de Luçon. Il est intéressant de suivre l’œuvre importante de l’évêque afin redresser moralement et intellectuellement le clergé des on diocèse. Rêvant de retour à la Cour, Richelieu subit un premier échec en ne réussissant pas à se faire élire à l’Assemblée du clergé. Comme il le fera très régulièrement Richelieu se retire au prieuré de Coussay avant de revenir aux affaires !

Les débuts en politique

La mort d’Henri IV, le 16 mai 1610, change profondément la situation. Michel Carmona décrit alors longuement les débuts de la régence de Marie de Médicis qui dépense sans compter afin d’assouvir l’avidité des princes de sang que sont Condé, Conti ou Soissons. Ces années sont aussi marquées par l’arrivée au pouvoir de Concini rapidement promu marquis d’Ancre puis maréchal de France (novembre 1613). Richelieu fait le pari de soutenir Marie de Médicis et le maréchal d’Ancre dans le projet d’alliance avec l’Espagne. L’évêque commence à jouer un rôle politique important et se fait élire pour les Etats généraux à la fois pour le bailliage du Poitou et pour celui du Loudunais. Il est aussi choisi pour ses qualités de diplomate afin de régler certains différends comme lors de l’Assemblée du clergé. Lorsque Richelieu présente les cahiers de doléances du clergé, le 23 février 1615, il en profite pour faire l’éloge de Marie de Médicis. Il devient finalement l’aumônier d’Anne d’Autriche suite au mariage avec Louis XIII en novembre 1615.

Le « ministère Concini »

En 1616, les intrigues des Grands et notamment de Condé, qui jouent sur l’impopularité de Concini et l’inexistence politique de Louis XIII, permettent à Richelieu d’arriver enfin au pouvoir. Lors d’un remaniement ministériel il est nommé aux affaires étrangères et à la guerre au sein d’un « ministère Concini ». Il mène une intense activité diplomatique pour défendre la politique royale contre les Grands (arrestation de Condé, guerre contre les princes rebelles) et les ennemis du royaume (renforcement de l’alliance espagnole). Il intervient aussi dans les affaires européennes à propos de Mantoue ou de l’affaire Vienne-Venise.

Mort de Concini et disgrâce de Richelieu puis retour en politique

De plus en plus sous l’influence de Luynes, Louis XIII, le 24 avril 1617,  fait assassiner Concini par le baron de Vitry, capitaine des gardes du roi. Richelieu se précipite au Louvre mais il ne fait pas partie du nouveau gouvernement (Villeroy, Jeannin, Sillery, …) . A la demande de l’ambassadeur de Florence, il est tout de même choisi comme intermédiaire entre le roi et Marie de Médicis qui est enfermée dans ses appartements. Louis XIII refuse de lui parler et souhaite l’envoyer à Blois. Richelieu devient le chef du Conseil « d’une reine sans royaume » (p.415). Pour Michel Carmona, « la dictature de Concini semble avoir disparu que pour laisser place à celle de Luynes » (p.438).

Le 15 juin 1617, Louis XIII ordonne à Richelieu de rester dans son diocèse jusqu’à nouvel ordre. Le 16 avril 1618, il est même exilé en Avignon ! La fuite de Marie de Médicis de Blois pour Angoulême (février 1619) permet à Richelieu d’être assez rapidement rappelé afin d’assurer la médiation qui débouche sur le traité d’Angoulême (30 avril). Pour Richelieu, Luynes est le principal obstacle qui s’oppose à son véritable retour au pouvoir. Ce dernier meurt le 14 décembre 1621.

Le cardinal de Richelieu, chef du gouvernement et premières affaires à gérer

Œuvrant à la réconciliation entre la reine mère et Louis XIII, Richelieu obtient la barrette de cardinal en 1622. Le 29 avril 1624, avec le soutien de Marie de Médicis, le cardinal entre au Conseil du Roi. Il s’active notamment lors de l’affaire de la Valteline. Suite au discrédit de la Vieuville et à son arrestation, Louis XIII propose à Richelieu la direction du gouvernement en août 1624. Il reprend les choses en main avec fermeté à propos de la Valteline et conclue finalement un traité avec l’Espagne le 5 mars 1626. Michel Carmona montre alors comment, avec l’affaire du duc de Buckingham, Richelieu se range du côté de Marie de Médicis contre Anne d’Autriche.

Dans le contexte du projet de mariage entre Gaston d’Orléans avec Marie de Montpensier, le parti de l’aversion souhaite l’élimination physique du cardinal … et peut-être même du roi. Le jeune marquis de Chalais, sous l’influence de la duchesse de Chevreuse, accepte de se compromettre mais se dénonce finalement lui-même à Richelieu. Gaston et Chalais s’enfuient avant d’être arrêtés. Chalais, qui avoue tout mais réfute le régicide, est le coupable idéal : il est noble … mais pas de sang royal. Il est exécuté, la duchesse de Chevreuse est exilée et Anne d’Autriche doit passer devant un Conseil étroit présidé par le roi.

La feuille de route de Richelieu

Avec l’Assemblée des notables en décembre 1626, Richelieu propose sa feuille de route pour le royaume. Il propose 13 points dont la modernisation de l’armée, la destruction des forteresses rebelles pour mettre fin à la guerre civile, la mise en place d’un enseignement plus technique et scientifique, la stimulation du commerce intérieur ou l’amélioration du rendement de l’impôt. Il fait aussi interdire les duels et n’hésite pas à faire exécuter les nobles comme Bouteville et Des Chapelles qui ne respectent pas cette obligation.

La Rochelle

Michel Carmona décrit précisément l’expédition de 1627 menée par Buckingham contre les prétentions maritimes françaises qui provoque le débarquement sur l’île de Ré mais aussi la résistance acharnée de Toiras depuis le fort Saint-Martin. La Rochelle ouvre le feu sur l’armée du roi ce qui provoque la mise en place d’un blocus terrestre. Pour ne rien arranger, une rébellion éclate en Languedoc autour du duc de Rohan. Buckingham évacue l’ile de Ré afin de concentrer les efforts sur la Rochelle. Richelieu décide alors la construction d’une digue en fermant le chenal d’accès au port, c’est le début du blocus maritime. Durant l’année 1628, plusieurs tentatives anglaises ont lieu afin de faire céder la digue. Guiton, le maire élu de La Rochelle, veut aller jusqu’au bout notamment en expulsant les bouches inutiles de la ville. Malgré l’assassinat de Buckingham, une nouvelle expédition part en septembre. Après plusieurs tentatives infructueuses, les Anglais s’en retournent en Angleterre. Richelieu, afin de maintenir la discipline ainsi qu’une certaine morale dans les rangs français, fait appel au Père Joseph. Le 28 octobre 1628, La Rochelle capitule et le 1er novembre le roi y fait son entrée.

Premier différend avec Marie de Médicis

Les relations entre Marie de Médicis et Richelieu se compliquent. Celui-ci propose sa démission que Louis XIII refuse. Il lui donne même le titre de Premier ministre … qu’en réalité Richelieu exerce depuis 5 ans ! Mais ce dernier est de plus en plus fragilisé notamment par la guerre en Italie où les revers se multiplient et où l’armée est décimée par les maladies. A Lyon, en septembre 1630, Louis XIII est lui-même à l’article de la mort à cause de la dysenterie et des fortes fièvres. Gaston se voit déjà roi, Anne d’Autriche propose même de l’épouser ! Quinze jours plus tard, Louis XIII, miraculeusement guéri, rentre à Paris. Une trêve est finalement conclue grâce à l’action d’un envoyé du pape. En effet, Jules Mazarin, le 26 octobre, fait signer la paix entre Espagnols et Français sous les murs de Casal.

La journée des Dupes (10, 11 et 12 novembre 1630)

Le 10 novembre 1630, le roi tient son conseil au palais du Luxembourg. A la fin du conseil, Marie de Médicis annonce à Richelieu qu’elle a décidé de lui retirer les fonctions qu’il détient dans sa Maison. Louis XIII décide d’une entrevue pour le lendemain. L’accès à la chambre est finalement refusée au cardinal. Il passe par un passage dérobé et s’entretient avec le roi et sa mère. Richelieu se retire et attend la roi en bas des escaliers. A son passage, Louis XIII n’a même pas un regard pour son Premier ministre. Richelieu regagne le Petit Luxembourg, il pense fuir au Havre. Le roi lui demande de venir à Versailles. Vers minuit, il annonce à son gouvernement sa décision de garder Richelieu aux affaires. Le 19, Louis XIII rencontre Marie de Médicis à Saint Germain, elle refuse de revoir Richelieu et donc de siéger en sa présence. Les opposants au cardinal sont arrêtés dont Louis de Marillac qui dirige l’armée en Italie. La situation semble se détendre, Marie de Médicis siège à quelques conseils mais refuse, tout comme Anne d’Autriche, d’assister aux cérémonies officielles. Le 22, ce dernier prend finalement la décision d’éloigner sa mère. Le lendemain, il l’annonce à Anne d’Autriche qui transmet à Marie de Médicis

Richelieu tentent de régler les affaires intérieures et européennes

Il faut alors gérer et Marie de Médicis prisonnière à Compiègne puis qui s’enfuit aux Pays-Bas espagnols et Gaston qui s’enfuit lui aussi en Franche-Comté avant de rejoindre Marie de Médicis aux mêmes Pays-Bas espagnols (5 août 1631) d’où il espère une action d’envergure contre la France de Richelieu. Tout cela dans le contexte de la guerre entre la Suède et l’Empire. La France, alliée à la Suède, réussit à remporter de nombreuses victoires dans le Nord-Est : Sedan, Verdun, Moyenvic, … Pour intimider ses adversaires, Richelieu ouvre le procès du maréchal de Marillac par une commission extraordinaire. Marillac est finalement décapité le 10 mai 1632. A cela il faut ajouter l’attaque de la Lorraine qui se solde par le traité de Liverdun le 26 juin 1632 et les Hollandais qui attaquent les Pays-Bas espagnols provoquant le siège de Maastricht qui capitule le 24 août de la même année. Une nouvelle fois, Gaston fuit vers le Sud. La bataille de Castelnaudary permet de vaincre les insurgés et de capturer de Montmorency qui sera finalement exécuté. Gaston fuit à nouveau à Bruxelles et négocie son retour tout en parlementant avec l’Espagne. Une nouvelle réconciliation entre Gaston et Louis XIII est officialisée pat le traité d’Ecouen le 1er octobre 1634, ce qui n’empêche pas le frère du roi de s’enfuir à nouveau aux Pays-Bas espagnols … dès le 8 octobre !

Les tensions avec les Habsbourg d’Espagne accélèrent encore le rapprochement avec la Suède (traité de Compiègne) et débouchent sur une guerre qui est déclarée le 19 mai 1635. L’affrontement des chefs de gouvernement Olivares / Richelieu est, pour Michel Carmona, un « choc des ambitions personnelles » au service de l’Etat. L’auteur nous décrit alors les victoires, les défaites mais aussi la désorganisation et l’indiscipline de l’armée française. Avec l’invasion par la Picardie,  la capitale est menacée, l’impopularité de Richelieu augmente. Celui-ci propose une nouvelle fois sa démission à Louis XIII qui la refuse. Finalement, les Espagnols sont repoussés au Nord et en Franche-Comté. Durant l’été 1636, l’agitation gagne le royaume en Bretagne mais aussi dans le Sud-Ouest avec la révolte des Croquants.

Les conspirations se multiplient contre le cardinal

En août 1637, Anne d’Autriche, qui grâce à son porte-manteau La Porte correspond avec la duchesse de Chevreuse, l’Espagne et l’Angleterre, est à l’origine d’une nouvelle conspiration contre le cardinal. Celui-ci l’a fait surveiller et la fait même avouer sa culpabilité devant lui puis devant le roi. Le traité de réconciliation conservé aujourd’hui à la BNF.

Richelieu est aussi fragilisé par les amitiés féminines de roi dont Mademoiselle de Hautefort et Louise-Angélique de la Fayette. Il intervient alors pour les éloigner du roi et hâte, par exemple, l’entrée de cette dernière dans les ordres. Les rapports entre Louis XIII et son Premier ministre se dégradent. Un nouveau complot, celui du père Caussin, confesseur du roi, est déjoué par l’habileté de Richelieu décembre 1637).

Nouveaux désordres intérieurs et extérieurs

Les années 1638 et 1639 sont marquées par les difficultés militaires : déroute de Fontarabie (7 septembre 1638), difficultés en Italie mais aussi par des succès dont la capitulation de Brisach (18 décembre 1638).

En 1639, la révolte fiscale des Va-Nu-Pieds en Normandie secoue le royaume mais Richelieu affirme l’autorité royale lors d’une répression « exemplaire » (novembre 1639).

Déjouer encore et toujours les conjurations

Mademoiselle de Hautefort, à nouveau influente, manigance avec Anne d’Autriche contre le cardinal. Celles-ci sont intouchables car la reine est enfin enceinte. L’année 1638 est aussi marquée par le rapprochement de Louis XIII avec le marquis de Cinq-Mars qui devient Grand-Maître de la Garde-Robe. Si ce dernier se brouille régulièrement avec le roi du fait de ses dépenses et dettes, il reste très influent. Le 5 mars 1641, il entre au Conseil du Roi. Richelieu est à la fois arbitre et adversaire de Cinq-Mars. Il doit faire face à une nouvelle conjuration entre le marquis, le duc de Bouillon, Gaston d’Orléans et Anne d’Autriche qui veulent lutter contre son « despotisme ». Les conjurés projettent de traiter avec l’Espagne et d’assassiner le cardinal. Mais, à Lyon, Cinq-Mars ne va pas au bout. Louis XIII est de plus en plus malade. La conjuration est découverte … peut-être dévoilée par Anne d’Autriche pour sauver la régence à venir. Cinq-Mars est arrêté ainsi que ses complices (12 juin 1642). Un procès le condamne à mort.

La mort du cardinal

Parce que des reproches lui sont adressés, Richelieu écrit au roi pour se défendre et justifier ses décisions. Louis XIII ne répond pas tout de suite puis, sachant le cardinal malade, consent à lui écrire et même à lui rendre visite. Richelieu lui conseille de s’entourer de Mazarin et, le 4 décembre, le cardinal décèdeQuelques extraits du Testament Politique de Richelieu, réédité en 2011 aux Editions Perrin. Cinq mois plus tard, Louis XIII meurt à son tour.

 

Michel Carmona s’efforce, tout au long de cet ouvrage volumineux, de démontrer comment le cardinal puis Premier ministre de Louis XIII, a façonné l’unification de la France et le renforcement du pouvoir royal. D’une grande intelligence, doté d’un sens politique hors du commun et ambitieux, Richelieu possède toutes les qualités de l’homme d’Etat. Il surmonte ainsi les difficultés intérieures et extérieures ainsi que les multiples conjurations. Le contexte politique et la situation du royaume de France, forts bien racontés, occupent une grande place dans le livre et peuvent donner l’impression de s’éloigner parfois du sujet. Certains regretteront ainsi le manque d’analyse quant à la personnalité et à la psychologie de cet animal politique.

La force de cet ouvrage est de nous livrer un portrait nuancé du cardinal de Richelieu entre celui d’Alexandre Dumas pour qui l’habileté diabolique, la mesquinerie et la persécution contre les bons le rendent détestable et celui de Michelet dont l’admiration lui font dire qu’il est « l’homme le plus sérieux du temps ». 

Pour les Clionautes, Armand Bruthiaux