Nicolas Richer a publié en 2018 un ouvrage intitulé Sparte : Cités des arts, des armes et des lois, paru aux éditions Perrin. Cet historien, professeur des universités à l’ENS de Lyon, est spécialiste de l’histoire grecque des époques archaïque et classique et plus particulièrement de Sparte.

L’histoire de Sparte est singulière et son image a été façonnée depuis la Révolution française : dans leurs discours, les Jacobins se reconnaissaient dans cette cité alors que les Girondins prenaient Athènes pour exemple. Au XIXe siècle Athènes est devenue le modèle de la IIIe République alors que Sparte était celui de la Prusse. Mais ce sont surtout les Nazis au XXe siècle qui portent au pinacle l’austérité spartiate. Aujourd’hui, il est admis par la communauté des historiens que Sparte est avant tout une cité grecque en Grèce, semblable aux autres, régie par des institutions singulières mais d’essence grecque. C’est sous cet angle que s’inscrit l’ouvrage de Nicolas Richer.

Dans les deux premiers chapitres, l’auteur présente les origines géographiques, mythiques et historiques de Sparte. La Laconie (région de Sparte) est occupée dès le XVIe siècle av. J.-C. par les Mycéniens. C’est aussi l’un des lieux mentionnés par les poèmes homériques. Cependant ce serait les Doriens qui auraient remplacé la population mycénienne. Cette histoire est retranscrite par la légende du retour des Héraclides, dont les rois se disaient les descendants.

À la fin du VIIIe siècle, des tensions apparaissent entre Sparte et ses voisines Argolide et Messénie, ce qui l’oblige à intervenir militairement en dehors de ses frontières. C’est à cette même époque que Sparte prend part à la diaspora grecque et fonde la colonie de Tarente. Toutefois, l’expansion des spartiates hors de Laconie ne débute véritablement qu’au VIIe siècle. Après deux longues guerres, Sparte prend le contrôle de la Messénie dont la population est transformée en hilote. À partir de cette expansion, le terme « lacédémone » désigne la construction politique constituée par les habitants de Sparte dans le sud du Péloponnèse, qui comprend la population spartiate, les périèques (population libre mais soumise aux décisions des citoyens de Sparte, notamment pour faire la guerre) et les hilotes (population qui exploite la terre et qui rendent une partie de leur travail aux familles qui les dirigent).

Dans le troisième chapitre, l’auteur insiste sur le rôle du législateur Lycurgue et pose la question quant à son implication réelle dans l’organisation politique de Sparte, car différentes contradictions apparaissent entre les auteurs antiques. Selon l’auteur, Lycurgue endosse des personnalités multiples qui font de lui un personnage légendaire. Il serait par conséquent la cristallisation autour d’un seul et même personnage, des contacts pris par différents Spartiates de l’époque archaïque. D’ailleurs, les réformes politiques, militaires et sociales attribuées à Lycurgue ont peut-être été stimulées par la prise de contrôle de la Messénie.

Dans le chapitre suivant, Nicolas Richer montre comment Sparte est passée peu à peu d’une cité des arts à une cité de l’austérité. Les spartiates se sont illustrés dans plusieurs domaines artistiques à l’époque archaïque notamment celui de la poésie grâce à des auteurs comme Terpandre, Tyrtée ou Alcman. Sparte connaît également une production importante de bronzes, de sculptures sur pierre et de peintures sur vase. Toutefois, elles diminuent fortement en quantité et en qualité à la fin du VIe. Cette chute de la production est en lien avec l’évolution du système social et institutionnel qui s’est progressivement mis en place à l’époque archaïque et dont l’aspect austère a été renforcé à la fin du VIe. La conséquence est une limitation de l’activité artistique qui a visé à restreindre le luxe des élites.

Le chapitre 5 est consacré au rayonnement de Sparte au VIe siècle. La cité laconienne s’affirme dans le Péloponnèse à partir du début du VIe siècle, notamment contre les Tégéates qui lui ont opposé une résistance. Un changement intervient au cours de cette période dans les rapports de force, car Sparte ne cherche plus à hilotiser les vaincus, mais elle met en place des traités qui donnent naissance à la ligue du Péloponnèse. Sparte développe également une diplomatie en Asie mineure, tout d’abord en créant des liens avec Crésus le roi de Lydie, puis ensuite avec Samos qui reçoit une part importante de sa production artisanale. Toutefois, toutes les politiques extérieures de la cité relèvent d’une volonté politique institutionnalisée qui laisse peu de place aux relations individuelles avec telle ou telle cité. Sous Cléomène Ier, Sparte n’envisage guère d’étendre son réseau de protection à l’extérieur du Péloponnèse, car la cité n’avait certainement pas pris la mesure de sa nouvelle puissance. De plus, elle devait composer avec ses alliés.

Dans les trois chapitres suivants, l’auteur présente des traits de caractère sociale de la cité. C’est ainsi que l’on apprend que les Spartiates ne doivent pas produire eux-mêmes. Ils ont recours aux hilotes qui produisent et qui forment un maillon important de l’économie de la cité. Une autre particularité concerne l’apparence des citoyens, car les vêtements ne devaient pas refléter les fortunes individuelles. Cela ne veut pas dire pour autant que la société spartiate était égalitaire. En effet, des différences de richesse se faisaient sentir lors des repas pris en commun.

L’auteur met en relief l’oliganthropie (diminution de la population adulte, notamment masculine), un des éléments qui a fragilisé le système social de la cité. Il y a plusieurs causes à ce phénomène, en particulier les différentes guerres qui ont eu une incidence sur la démographie, mais aussi la division de l’héritage foncier due à un trop grand nombre d’enfants ce qui entraîne un appauvrissement de ces derniers qui ne peuvent pas faire face à leurs obligations et qui par conséquent sortent de la citoyenneté.

Enfin l’auteur présente les pratiques éducatives existantes à Sparte. Les jeunes gens à partir de sept ans sont formés collectivement et non pas confiés à des pédagogues en fonction de leur appartenance familiale. Cela permet aux futures citoyens de s’imprégner dans l’esprit des valeurs collectives.

Dans les chapitres suivants, Nicolas Richer aborde d’autres aspects, notamment la vie politique, religieuse et militaire. Aristote à la fin du IVe siècle voit dans les institutions de Sparte un exemple de constitution mixte. Sparte est une dyarchie car il existe deux rois, qui peuvent être vus comme des magistrats à fonction militaire ayant également des pouvoirs religieux. Il existe aussi les gérontes, un conseil composé de 28 membres de plus de 60 ans dont une partie est apparentée aux rois. Il y a aussi cinq éphores élus chaque année qui sont les principaux magistrats de la cité  et dont leur rôle est de surveiller les actions de l’Ecclesia. Ces derniers sont formés, organisés pour faire la guerre et la décident. Les citoyens soldats doivent combattre bouclier contre bouclier. C’est une conséquence de la réforme hoplitique qui a permis de diffuser dans le corps des citoyens la capacité matériel à s’armer lourdement en arme de bronze. La conséquence est que les citoyens en combattant de façon solidaire ont pu affirmer leur importance politique. C’est ainsi que les citoyens morts au combat font l’objet de culte de héros alors que ceux qui font défaut, doivent être rejetés de la collectivité et portent le nom de « trembleurs ».

Les deux derniers chapitres offrent une synthèse de l’histoire politique de la cité. Ils permettent de comprendre de façon claire et précise comment les spartiates ont réussi, à partir de la bataille des Thermopyles en 480 contre les Perses, à s’affirmer face à leurs rivaux athéniens comme les défenseurs du monde grec, puis comment la cité est passée de l’hégémonie à l’abaissement notamment après sa défaite à la bataille de Leuctres en 371 face aux Thébains. L’auteur met également en lumière les contradictions de la politique de la cité qui n’hésite pas à demander le soutien financier de la Perse pour vaincre Athènes.

Au final, Nicolas Richer dresse une synthèse riche sur la cité laconienne et remet en cause les idées reçues dont certaines remontent à la période hellénistique. Sparte doit donc être considérée comme une cité grecque parmi les autres. L’ouvrage s’appuie sur une documentation importante et est accompagné de nombreuses illustrations et cartes qui viennent éclairer les propos de l’auteur.