La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique »

La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique » – ou CHM pour les initiés – (publiée depuis 1982) est désormais présentée par le service de presse des Clionautes, dans le cadre de la Cliothèque. Cette revue réunit des travaux de chercheurs français (pour la plupart) sur les évolutions historiques de la Franc-Maçonnerie française, liée à la plus importante obédience française : c’est-à-dire le Grand Orient De France ou GODF. L’abonnement annuel à la revue Chroniques d’histoire maçonnique comprend 2 publications par an (Hiver-Printemps et Été-Automne) expédiées en décembre et juin. Cette revue est réalisée avec le concours de l’IDERM (Institut d’Études et de Recherches Maçonniques) et du Service Bibliothèque-archives-musée de l’obédience du Grand Orient De France (GODF). L’éditeur délégué est Conform Édition.        

« Chroniques d’Histoire Maçonniques » n° 83 (Hiver 2018-Printemps 2019) : Varia maçonniques. Ce numéro est composé d’un avant-propos du Comité de rédaction et d’un unique dossier comportant 4 articles. Ce numéro ne comporte donc pas les rubriques habituelles : Études, Portraits et Documents, à l’exception notable du Dossier. Avec ce numéro 83, premier numéro de l’année 2019, les CHM renouent ici avec la publication nécessaire de numéros de varia. Après la publication d’un numéro spécial (n° 82) consacré à « la franc-maçonnerie de l’exil », le premier article rédigé par André Combes, Les francs-maçons espagnols réfugiés en France (1939-1958), se situe aussi dans la continuité du n° 82 et est la cinquième et dernière contribution présentée lors de la 2ème journée d’étude de l’IDERM, en juin 2018. Après cet article, le deuxième des CHM (étude de François Cépède) est consacré au Convent du Grand Orient de France de 1945 lors duquel se posa la difficile question du jugement des frères conseillers de l’Ordre du GODF et, le troisième est le portrait dressé par Yves Colleu d’Henri Montanier (1824-1872), l’un de ces nombreux francs-maçons qui accompagnèrent la construction de la Troisième République. Enfin, le numéro s’achève par un quatrième et dernier texte présenté par Marie-Anne Mersch, dans le cadre d’une conférence de l’IDERM : il est aussi le fruit d’une thèse de doctorat soutenue à l’université de Bordeaux 3, en 2016, sur la franc-maçonnerie et les femmes au XVIIIe siècle, en Angleterre, en France et (chose plus rare) dans les territoires allemands.

DOSSIER : Varia maçonniques

. Les francs-maçons espagnols réfugiés en France (1939-1958) (André Combes) : p. 6-25

Le premier article (rédigé par André Combes) montre que les deux principales obédiences maçonniques espagnoles, – le Grand Orient Espagnol, reconstitué en 1924 (GOE) et la Grande Loge d’Espagne (GLE), de moindre importance (fondée en 1885), qui réunissent 6000 membres en 1936 – , compensent leur faiblesse numérique par leur présence dans la vie politique et les associations de gauche comme « La Libre Pensée » ou celle de « La Ligue des Droits de l’Homme » (LDH). Elles sont influencées par les obédiences françaises dont elles partagent les valeurs. Déjà menacées sous la dictature de Primo de Rivera, les obédiences maçonniques sont bien plus qu’en France violemment attaquées par l’ensemble des forces nationalistes, conservatrices et cléricales. Au cours du congrès de Prague (28-31 août 1936) de l’Association Maçonnique Internationale (qui regroupe des obédiences européennes libérales), la question de la guerre civile espagnole qui vient d’éclater le 18 juillet 1936, est débattue alors que des maçons ont déjà été fusillés pour appartenance réelle ou supposée à la maçonnerie par les rebelles franquistes et leurs Temples maçonniques saccagés.

La politique antimaçonnique du régime franquiste est terrible, dès le début de la Guerre civile espagnole jusqu’en 1963 (dernière maçon tué par garrotage). Le premier décret antimaçonnique franquiste est daté du 15 septembre 1936 : toute personne restée maçonne après la publication de cet édit est coupable de crime de rébellion, ce qui légalise les exécutions sommaires. La première loi sur les responsabilités politiques du 1er février 1939 instaure la confiscation des biens. Elle est aggravée par celle du 1er mars 1940 sur « la répression de la maçonnerie, du communisme et autres sociétés clandestines qui sèment des idées dissolues contre l’harmonie sociale ». Des peines de douze à vingt ans de prison sont prévues pour les frères apprentis et compagnons et de vingt à trente ans pour les grades supérieurs. Des compagnes de maçons sont également parfois fusillées d’où l’importance de la présence de familles, et aussi d’orphelins, parmi les premiers réfugiés, en France.

En France, de 1936 à 1940, de nombreuses tenues d’obligation, tenues blanches, conférences, soirées artistiques et musicales sont organisées par les loges françaises pour faire connaître la situation des républicains espagnols maçons en Espagne et recueillir des fonds. Dès mai 1937, la fraternité maçonnique nationale et internationale s’organise. Ainsi, une commission spéciale comprenant trois délégués du Comité exécutif de l’AMI (les Grands Maîtres du GODF, de la GLDF, du Grand Orient de Belgique) et six membres représentant les deux obédiences espagnoles est désormais chargée de l’organisation des secours et de procéder à tout contrôle nécessaire (mais elle ne pourra se réunir à Paris que tardivement car les représentants de la GLE sont encore à Barcelone). On peut considérer qu’entre 2300 et 3000 personnes ont bénéficié d’une aide spécifiquement maçonnique en France.

L’organisme assurant la liaison entre le GODF ou la GLDF et les réfugiés espagnols est « la Commission représentative de la Famille maçonnique espagnole » (CRFME), sise rue Puteaux (siège de la GLDF). Elle s’efforce de vérifier (si possible) les appartenances et de localiser les maçons espagnols pour leur adresser une documentation et, (par l’intermédiaire du GODF et de la GLDF) de leur trouver un emploi dans leur pays d’adoption, leur assurer une protection maçonnique et, enfin, les aider à rejoindre un des pays de langue espagnole du continent américain. Egalement, elle invite fermement les frères espagnols à se regrouper sous une forme non maçonnique et, donc, à ne pas former de loges, mais de s’affilier (éventuellement) dans des loges françaises du GODF ou de la GLDF, soit rallier les obédiences espagnoles (GOE et GLE dont le siège est à Mexico), voire s’affilier aux loges du GOE de la métropole. Finalement, 13 loges françaises de langue espagnole se sont créées soit au GODF (au nombre de 4 : Iberia (Paris) en 1945, Esperanza (Marseille) en 1938, 27 novembre 1943 (Montauban) en 1947 et Toulouse (Toulouse) en 1948) soit à la GLDF (au nombre de 8 : Exilio 681 (Montpellier), Ambrosio Ristori 682 (Bordeaux), Reconstruccion 687 (Toulouse), Franklin-Roosevelt 688 (Montauban), Continuitad 689 (Oran), Llibertad 690 et Republica Espanola 691 (Perpignan), Espana 692 et Plus Ultra 452 (Paris) ; elles ont vu le jour conservant des contacts avec les loges du GOB au Maghreb français (au nombre de 6 : Tunis, Alger, Oran, Casablanca, Oujda et Agadir) ou en Amérique. Au total, sur la décennie 1948-1958, le nombre de maçons initiés en Espagne et affiliés dans les loges françaises s’élèverait entre 600 et 700. Après la libération, le GODF et la GLDF a continué à organiser des sujets de conférences sur la question espagnole rue Cadet ou rue Puteaux et à recevoir dignement les représentants des deux obédiences espagnoles en exil à Mexico à chaque convent. En conclusion, de 1936 à 1958, la maçonnerie française a toujours été sensibilisée à la question espagnole, et ce, jusqu’à la fin du régime franquiste, en 1974.

. Le Convent du GODF de 1945 ou comment « juger » des frères ? (Frédéric Cépède) : p. 26-53

Le deuxième article (écrit par l’historien profane Frédéric Cépède) retrace le Convent du GODF des 17 au 20 septembre 1945 à travers des archives inédites du F:. Casimir Cépède, de la loge Diogène (à l’Orient de Paris). Le lundi 17 septembre 1945, à 9h30, l’assemblée générale annuelle du Grand Orient de France s’ouvre dans une atmosphère tendue. Pour cause d’entrée en guerre le 3 septembre 1939, le Convent ne s’est pas réuni depuis septembre 1938. Le Conseil de l’Ordre (organe directeur de l’obédience) attendait la reprise d’activité des ateliers sur le territoire pour le convoquer à nouveau. Sept longues années marquées, entre août 1940 et septembre 1944, par l’autodissolution du GODF – sa « mise en sommeil » – anticipant l’interdiction et la persécution mises en place par le régime de Vichy.

La vie maçonnique a repris son cours progressivement depuis un an : la première réunion du Conseil de l’Ordre s’est tenue, le 6 septembre 1944, et sa première circulaire est datée du 28 septembre 1944. Les modalités du redémarrage des loges et de la composition de son équipe de direction – ouverte notamment à des membres issus de la « résistance maçonnique » pour remplacer des membres décédés ou d’autres qu’il a exclu pour des faits de collaboration – occupent les réunions de la fin 1944 et du début de 1945. Il a fallu encore attendre six mois pour que les règles de fonctionnement soient fixées. Avec la convocation du Convent de septembre 1945, le retour à la légalité maçonnique est programmé. L’AG du GODF de septembre 1945 se tient sur fond d’un net recul de ses effectifs et de son réseau de loges : en 1938, le GODF comptait encore 454 ateliers et 30 000 membres ; en 1945, le convent a enregistré près de 8 000 frères et 252 loges, soit la perte de 45 % de ses ateliers et les ¾ de ses membres.

Les délégués représentant 252 loges considérées comme « réveillées » et les membres du Conseil de l’Ordre sont donc convoqués pour traiter les questions traditionnelles à l’ordre du jour. En premier lieu, l’assemblée générale est appelée à donner son avis sur la manière dont les responsables de l’obédience ont rempli leur mission depuis sa dernière réunion. Ensuite, elle doit renouveler sa direction. Le Conseil de l’Ordre a décidé que ses membres sortants peuvent se représenter, mais un point concernant les modalités d’élection de la nouvelle équipe n’a pas été tranché : faut-il renouveler tous les membres ou seulement le tiers sortant du Conseil ? Autre thème majeur, l’unité, réalisée dans la résistance maçonnique, est au cœur des préoccupations alors qu’au même moment la Grande Loge de France (GLDF) tient son assemblée et que la même question d’une union est posée dans les deux obédiences. Seulement, il ne fait plus de doute pour les rapporteurs du GODF que, depuis au moins le mois de mars 1945, l’attitude du Grand Maître de la GLDF, Dumesnil de Gramont, n’incline pas en faveur de la conclusion d’une unité discutée durant la guerre. Et, déjà, les deux camps qui s’opposent de manière directe au sein du GODF, se renvoient la responsabilité de cet échec.

Signe de la reprise des travaux du GODF, une question a été soumise en février 1945 à l’étude des loges. Elle porte sur « les bases de la nouvelle constitution » pour le pays. D’autres sujets seront aussi abordés, comme l’accueil des frères espagnols en exil, l’adoption de l’espéranto comme langue de la franc-maçonnerie, ou encore l’inévitable question de la laïcité. Le Convent va durer quatre jours. De fait, la question dominante porte sur le quitus à donner à la direction sortante. Elle se concentre dans la réponse à une autre question : Arthur Groussier et Louis Villard (respectivement président et secrétaire du GODF) ont-ils respecté ou trahi les valeurs maçonniques en écrivant, le 7 août 1940, une lettre au maréchal Pétain annonçant la mise en sommeil de l’obédience ?

Ce morceau d’histoire du GODF, observé par un historien profane, apporte quelques enseignements sur le difficile réveil de l’obédience au sortir de la Libération. Difficile non pas du fait du comportement de ses membres, mais de sa difficulté à trancher les débats sur la nature véritable de sa « résistance ». Le vote in extremis en faveur du quitus pour le rapport moral ne règle rien (113 voix pour, 112 contre pour la période juin 1940-août 1944) – contesté par personne malgré l’étroitesse d’un résultat qui pouvait aussi ressembler à un arrangement entre frères -, dans lequel se distingue clairement un clivage entre les loges de base et la « direction ». De plus, la mémoire d’Arthur Groussier comme de l’Occupation semble rester problématique pour une association qui s’observe au regard d’une histoire mythifiée et peine à se regarder à hauteur d’hommes, ordinaires.

. Henri Montanier (1824-1872), Médecin, Franc-maçon et Préfet gambettiste (Yves Colleu) : p. 54-65

Le troisième article (rédigé par Yves Colleu) raconte le destin d’Henry Montanier, qui naquit le 25 juin 1824 à Mauvezin, d’un père pharmacien dans ce chef-lieu de canton du département du Gers.

Après un baccalauréat ès lettres obtenu à Toulouse en 1842, il obtint son baccalauréat ès sciences le 6 janvier 1844 et entreprit des études de médecine à Toulouse. Dès la seconde année, il quitta sa province d’origine pour s’inscrire à l’École de médecine de Paris et, à compter du ler janvier 1846 (à 22 ans), il est attaché, en qualité d’externe en médecine et chirurgie, à l’hôpital Beaujon (à Clichy-la-Garenne, près de Paris).

Montanier fut de ceux qui se mobilisèrent pendant les journées de février 1848. Cependant, il obtint son diplôme de docteur en médecine en soutenant une thèse consacrée aux maladies du système urinaire, en janvier 1849 (à 25 ans). S’il fut un praticien renommé, il fut également un chercheur et un écrivain scientifique publiant de nombreux articles. Ce rationaliste républicain s’orienta naturellement vers la Franc-Maçonnerie et fut initié à l’âge de 41 ans, le 9 novembre 1865, à la Loge Mars et les Arts, à l’Orient de Paris. Il passa Compagnon puis Maître, le 14 juin 1866. L’année suivante, la Loge prit le nom « Le Progrès ». La personnalité de Montanier fit une telle impression dans la Loge, qu’un an après son initiation et, avec six mois de maîtrise, il en fut élu Vénérable, à l’unanimité des suffrages, le 13 décembre 1866. Montanier fit de la Loge Le Progrès, dans les dernières années du Second Empire, un des Ateliers de Paris dont les tenues furent le plus recherchées. La qualité de ces travaux attirèrent de nombreux profanes qui devinrent francs-maçons et la Loge devînt un véritable foyer d’opposition au régime impérial. En juin 1870, il fut élu conseiller de l’Ordre du GODF puis, Gambetta (ministre de l’Intérieur) le nomma préfet du Gers, en septembre 1870, son département d’origine (mais aussi très conservateur), afin de reprendre en main l’administration de la France, en renouvelant profondément le corps préfectoral, en faisant appel à de nombreux francs-maçons républicains. Après la défaite de la liste républicaine aux législatives du 8 février 1871, Montanier démissionne et revint à Paris pour reprendre sa place de conseiller de l’Ordre au GODF où il dût faire face aux évènements de la Commune de Paris. Vis à vis de cette dernière, Montanier adopta l’attitude de ceux qui, pour préserver l’unité de la Maçonnerie, condamnèrent ceux des Maçons parisiens qui voulurent soutenir le mouvement insurrectionnel et signa, le 9 avril, un manifeste appelant le gouvernement, l’Assemblée et la Commune à l’arrêt de l’effusion de sang. Le 11 avril 1871, il conduisit la première délégation maçonnique à se rendre à Versailles où elle fut reçue par Jules Simon, mais sans résultat positif. Tombé gravement malade, durant l’été, Montanier participa au convent de septembre 1871 et fut réélu conseiller de l’Ordre mais son état de santé s’aggravant, il entreprit un voyage en Toscane pour se rétablir. Il mourut à Pise, le 10 mars 1872, à l’âge de 48 ans.

. La franc-maçonnerie et les femmes au temps des Lumières : Angleterre, France et territoires allemands (Marie-Anne Mersch) : p. 66-86

Ce quatrième article (écrit par Marie-Anne Mersch). En 1723, les premières Constitutions de la Grande Loge de Londres furent publiées entérinant les règlements et les obligations des francs-maçons anglais. La troisième obligation précise que seuls des hommes nés libres sont admis et que les femmes et les serfs en sont exclus. La franc-maçonnerie se répandit rapidement sur le continent européen et ces Constitutions servaient de référence dans tous les pays où des loges sont constituées. Et pourtant, à partir du milieu du XVIIIe siècle, certaines loges initiaient des femmes avec un rituel particulier en organisant des séances extraordinaires dénommées loges d’adoption. Ce phénomène eut lieu principalement en France, mais aussi en Europe, notamment dans les territoires allemands.

L’Angleterre, la France et les territoires allemands du Saint Empire Romain Germanique sont trois espaces qui se caractérisent par une rapide prolifération des loges maçonniques tout au long du XVIIIe siècle. Il s’avère que la franc-maçonnerie a su s’implanter dans des contextes politiques très différents. En Angleterre, la franc-maçonnerie naît en 1717 avec l’institution d’une Grande Loge et ce ne fut que plus de trente ans après, en 1751, qu’elle se vit confrontée à l’instauration d’une deuxième obédience concurrente. En France, une quinzaine d’années après la création de la première loge parisienne, un nouveau système fut adopté, introduisant les grades écossais, alors que dans les territoires allemands ces mêmes grades furent introduits à Berlin, en 1740 seulement, à peine trois ans après la création de la première loge de Hambourg. L’organisation des Grandes Loges s’implantent dans les trois pays étudiés selon l’emplacement du pouvoir politique. Mais c’est en France que les débuts de la franc-maçonnerie sont les moins bien documentés et que la franc-maçonnerie fut le moins bien accueillie, ne bénéficiant pas d’une protection royale comme ce fut le cas pour la Prusse ou de l’aura de ses premiers membres comme ce fut le cas à Londres.

La puissance de la monarchie absolue française n’a pas permis aux loges françaises, dans la première moitié du XVIIIe siècle, de se développer avec le même épanouissement qu’en Angleterre, en Prusse, ou dans l’Électorat de Saxe. Il en résulte qu’elles étaient davantage éloignées du pouvoir politique et ne lui devaient pas une loyauté totale en tant qu’entité. Les loges maçonniques anglaises et germaniques ont pu se développer dès le départ dans une ambiance de confiance, justement parce qu’elles se sentaient davantage protégées et ne mettaient dès lors pas en cause le pouvoir politique. Toutes ces différences prises en considération, les Constitutions d’Anderson se sont néanmoins imposées dans ces contextes différents, ce qui démontre leur force de persuasion. Les maçons anglais, français, tout comme ceux des territoires allemands ont été fidèles aux lois de leur temps, à savoir le respect des statuts sociaux et le maintien des femmes dans la sphère privée. Il en résulte que les lois maçonniques ont également exclu les femmes. Que les lois aient influencées les coutumes ou inversement, l’état d’esprit et l’opinion ont été formés par le vécu et par la réflexion. Une adhésion à la franc-maçonnerie nécessitait le respect des Constitutions d’Anderson, qui n’avaient pas comme objectif de remettre en question les mœurs de l’époque.

Cette étude part du constat qu’il existe un double phénomène en ce qui concerne la franc-maçonnerie et les femmes. D’un côté, leur exclusion formelle des loges instituées pour les hommes et dotées de règlements délivrés par leurs obédiences respectives. D’un autre côté, l’existence prouvée de l’initiation des femmes dans des loges maçonniques. L’organisation de ces loges nous renvoie immédiatement à d’autres constats. Tout en fonctionnant selon un modèle mixte, elles n’initient cependant que les femmes, les hommes se référant toujours à leur loge d’origine pour faire état de leur appartenance maçonnique. L’existence même de ces loges renvoie ainsi à l’exclusion des femmes.

La relation entre les deux sexes dans le cadre bien  ritualisé d’une loge devient un acte réfléchi et raisonné. On pourrait en déduire que c’est le résultat du phénomène des Lumières, la raison l’emportant sur la croyance et les suppositions faites sans preuves à l’appui. Rien n’est moins sûr. Les sources relatives à la discussion sur l’exclusion des femmes de la franc-maçonnerie sont nombreuses dans les trois espaces étudiés (France, Angleterre, Allemagne). Elles sont la preuve qu’un réel débat a existé et que le sujet faisait l’objet d’une controverse. Cette recherche a tenté de ne pas confondre deux débats qui sont souvent présenté comme conjoints. Celui des réflexions des philosophes des Lumières sur l’Homme, qui peut être doué de raison et d’entendement, et devenir majeur et autonome et celui qui a pour objet l’autonomie des femmes, la possibilité de quitter un statut de mineures à vie et d’être reconnues comme des individus à part entière. La philosophie des Lumières pratique un double discours. Le discours des Lumières se développe à partir d’une représentation masculine de la femme mettant en valeur des vertus spécifiquement féminines, qui deviennent dès lors l’objet d’une différence insurmontable. L’invocation de la nature fut utilisée pour produire une théorie rationnelle du féminin. Vu sous cet angle, les loges maçonniques initiant des femmes se sont démarquées de cette pensée générale en établissant un lien rationnel entre les deux sexes.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour la Cliothèque)