La géographie est partout dans notre quotidien, la curiosité géographique est une constante depuis l’antiquité: l’ambition de ce livre est à travers de multiples exemples de montrer notre besoin de géographie.
Jean-François Joly enseigne la géographie en CPGE au Lycée Claude Monet du Havre.
Si le premier auteur est beaucoup plus connu en France par ses nombreux écrits épistémologiques (introduction à la géographie humaine, les concepts-clés de la géographie…..), les deux auteurs ont néanmoins de nombreux points communs: ils sont suisses, de l’Université de Genève, parties prenantes du festival de Saint-Dié et très représentatifs de ce courant de la géographie contemporaine qu’est la géographie des représentations etla géographie humaniste.

Ce court ouvrage est organisé en sept chapitres qui sont autant de pistes sur ce que peut-être la géographie. A cet égard, le titre et le sous-titre de l’ouvrage sont bien en adéquation avec le contenu:
« Voyage en géographie »: il s’agit bien d’un butinage qui nous ouvre des perspectives.
« une géographie pour le monde, une géographie pour tout le monde »: la géographie qui nous est proposée est bien ancrée sur les défis du monde actuel; elle se veut citoyenne, non pas une réflexion de spécialistes dans leur tour d’ivoire.

STRUCTURE

Introduction: pourquoi parler de géographie?
La géographie est clairement définie comme une science à l’interface du naturel et du social: de ses analyses, elle doit permettre de tirer des conséquences et de « prévoir un aménagement durable de nos espaces de vie ». Pour cela, il faut acquérir un « penser géographique » que les auteurs décompose en quatre éléments: savoir poser des questions, savoir où obtenir l’information, savoir analyser les informations et expliquer les pratiques spatiales

Chapitre 1: l’identité de la géographie
L’actualité du monde rend très sensible « un besoin de géographie » parce que la géographie est la seule discipline qui se consacre autant au rôle de l’espace terrestre et à son influence sur les sociétés ». Quatre notions apparaissent fécondes en matière d’analyse spatiale aux yeux des auteurs: disatnce, milieux, proximité, représentation spatiale.

Chapitre 2: la géographie partout, pour tous
Après avoir constaté que l’on pouvait faire de la géographie en analysant aussi bien la table de son petit déjeuner que les pièces de son automobile, les auteurs militent pour une géographie qui sorte de ses sphères académiques aussi bien pour les thèmes qu’elle aborde que pour les lieux où elle se pratique: c’est l’occasion de présenter le café géographique (de Saint-Dié! ) « une nouvelle manière de parler de géographie » et d’évoquer le domaine stimulant de la géographie des risques.

Chapitre 3: l’élargissement de l’espace
Ce thème est illustré par quelques exemples successifs: la diffusion des épidémies, l’évolution des modes de transports et leur nouvelle organisation (hubs), la mobilité résidentielle en ville (liée au cycle de l’âge) et l’élargissement de nos aires de vie urbaines (d’où les problèmes liés aux déplacements, les relations territoires-flux).

Chapitre 4: Vivre en ville
Les auteurs accumulent une série de constats: un monde de plus en plus urbanisé, l’émergence de « villes de nulle part et de partout », les inégalités dans la ville, la nécessité d’aménager.

Chapitre 5: Le pouvoir des cartes
Après avoir mis en évidence le développement des moyens à notre disposition ( outre la carte, la photographie aérienne, l’image satellitale, le SIG ), les auteurs insistent sur l’intérêt des cartes mentales (géographie des représentations oblige!) et sur la logique des cartes qui, loin d’être objectives, « reflète le monde social qui l’a produit et influence grandement nos représentations (d’où l’intérêt de l’exercice de déconstruction d’une carte)
Chapitre 6: Valeurs et natures du lieu
Chaque individu s’approprie des espaces de son logement à la planète entière ( ses « bulles » ou « coquilles »): se pose alors la question de la valeur des lieux liée à tous nos sens (d’où la mention d’une géographie des odeurs) et à l’époque à laquelle nous vivons: la montagne , lieu de malédiction, est ainsi devenue attrayante. Les lieux, pris comme métaphores, deviennent symboles pour matérialiser des archétypes (exemple de l’île) d’où le développement d’une « géographie de la couleur.
Ainsi « les images et les valeurs que nous projetons inconsciemment sur les lieux agissent en amont de nos pratiques et opinions ».

Chapitre 7: Une géographie existentielle et humaniste
Le rapport de l’homme à l’étendue, abordé à travers le voyage change fondamentalement avec « la culture de la mondialisation »: le goût du déjà vu, des lieux-spectacles, des villes interchangeables: « le voyage fictif sera peut-être le voyage le plus réel lorsque nous aurons balisé et banalisé tous les lieux de la planète ». Le génie du lieu s’effacerait-il même avec ses territoires en perpétuel changement qui mettent à mal notre vécu territorial (exemple du Havre sous la plume d’A.Frémont,  » un puzzle à la Dubuffet »). Arrive le cyberespace « qui n’existe que sous une forme électrique et non localisable physiquement: comme la mondialisation, il pose le problème du statut du local et engendre « des réactions de recul » qui « prennent déjà la forme de revalorisations, parfois obsessionnelles, de tout ce qui touche au lieu »
Les auteurs en appellent donc logiquement à un renouvellement des problématiques, centrées sur l’homme pris dans son entité: cette géographie humaniste amène le géographe à fréquenter le philosophe, l’ethnologue, le psychologue, le sociologue, l’historien d’art: c’est  » une approche transversale », non « un nouveau tiroir de la géographie ».

En conclusion ,la géographie devient « science consacrée aux pratiques spatiales des sociétés » aussi bien à l’échelle locale que mondiale. Mais les auteurs notent bien qu’elle n’est pas une discipline appliquée mais réflexive: il faut l’intégrer dans nos modes de pensée…. »à condition de l’utiliser de façon agréable et efficace »

COMMENTAIRE

Ce livre est stimulant par les pistes qu’il ouvre à une recherche géographique conçue comme ancrée dans nos sociétés. Il surprendra ceux qui y découvriront ce courant de géographie qu’on peut appeler humaniste après avoir parlé de géographie des représentations, des perceptions…Ses travaux sont en effet été quasiment totalement dans les problématiques des programmes scolaires. La lecture de l’ouvrage donnera certainement aux collègues de nombreuses idées d’expériences géographiques: pour l’avoir expérimentée, la réalisation de cartes mentales d’un espace urbain est un exercice très profitable.
Il met bien en évidence la spécificité du géographe, « spécialiste du spatial ». Les auteurs , tout en affirmant ,au fur et à mesure de l’ouvrage, la fécondité du courant humaniste, ne dédaignent pas s’appuyer sur d’autres travaux comme ceux de la géographie radicale concernant la rente foncière et les ségrégations urbaines. Même à la page 81, le fait que la notion de génie du lieu ait été traitée de « poudre de perlimpinpin » ne donne lieu à aucune charge contre las auteurs des Mots de la géographie puisqu’il est simplement noté « qualifiée par un dictionnaire géographique récent »!
Ce qui pourra dérouter le lecteur est que fatalement, en si peu de pages, beaucoup d’idées abordées ne sont qu’esquissées, supposent implicitement d’autres lectures déjà effectuées. Le plus gênant tient cependant à des changements brutaux d’échelle qui ne sont pas des emboîtements mais des ruptures qui donnent un côté décousu au texte. Ainsi dans le chapitre 4 vivre en ville, une page sur un monde inégal débouchant sur une anamorphose de l’indice de développement humain (avec de surcroît des indices inférieurs à 50 et supérieurs à 90!), au chapitre 6, un plaidoyer pour le développement durable et le patrimoine ( cette dernière notion faisant certes la liaison avec celle de valeur des lieux ).
Il n’empêche que ce voyage correspond bien à la volonté des auteurs de promouvoir une géographie séduisante: beaucoup de lecteurs se sentiront réconciliés avec la géographie, géographes même en refermant le livre. Un voyage donc à faire (même si le prix est élevé, vu le nombre de pages!).