Il en résulte un annuaire de la défaite constitué des 24 hommes clés ayant exercé les responsabilités majeures du haut commandement au cours de cette désastreuse campagne : les deux généralissimes successifs Gamelin et Weygand, le major général Doumenc, le chef d’état-major de l’armée ainsi que leurs grands subordonnés à cinq étoiles, commandants de théâtre d’opérations, de groupes d’armées et d’armées. Si certains de ces chefs sont restés célèbres (outre Gamelin et Weygand, tel est aussi le cas pour Giraud et Huntziger), plus ou moins à leur détriment, la plupart sont aujourd’hui inconnus ou oubliés du grand public.
Basé sur une documentation sûre, issue notamment de la consultation des archives tant privées que militaires les concernant, le répertoire biographique de ces grands décideurs en restitue le parcours de façon minutieuse et approfondie, détaillant origine sociale, études suivies, progression de carrière, commandements exercés, affinités politiques et maçonniques éventuelles, rôle lors des événements de 1940, attitude ultérieure. On apprécie particulièrement l’éloquent usage fait des appréciations et notations qui ont accompagné et appuyé leur accession aux plus hautes responsabilités. À l’exception du profil un peu plus atypique du général Victor Bourret (d’ailleurs tout aussi dépassé -voire davantage- que ses homologues par le déluge de 1940), c’est un tableau très homogène qui se dégage de cette revue de détails.
Car il est frappant d’observer à quel point tous ces chefs se ressemblent : même génération sexagénaire (mis à part leur aîné Weygand), même parcours d’excellence, même ordalie accélératrice de carrière sous le feu de 1914-1918, et même virile moustache… Tous ces képis à feuilles de chêne sont le produit du mécanisme méritocratique de l’école républicaine. Riches d’un parcours exemplaire et d’un passé de guerre remarqué, signalés par des évaluations élogieuses, ils partagent le même profil tout à la fois brillant et conformiste. Disciples dévoués et peu imaginatifs d’une doctrine stratégique intangible, rigidifiée par l’expérience de la Grande Guerre qui les a forgés et promus, ils sont les grands prêtres d’une culture de la certitude inapte à se remettre en cause face à l’inattendu. Pour une telle cohorte, la tempête de mai-juin 1940 est donc bien pire qu’une débâcle : c’est une énigme.
La faillite collective du commandement français ne tient pas seulement à son organisation défectueuse et ses conceptions caduques, elle résulte aussi du processus de sélection de ses ressources humaines. De cela, cet ouvrage prend indéniablement la mesure, dressant sans complaisance le procès-verbal des défaillances des Gamelin, Freydenberg et autres Garchery, mais rendant aussi acte des qualités et des efforts méritoires des Besson, Doumenc, Héring ou Olry. On aurait apprécié que soit approfondie la problématique des liens d’allégeance morale et hiérarchique de ces hauts gradés à l’égard du maréchal Pétain, mais les sources utilisées le permettaient-elles ? Quoi qu’il en soit, les postures d’engagement adoptées à Vichy ou dans la Résistance sont énoncées, et il est permis de rendre hommage à ceux qui reprirent la lutte, au demeurant à Alger plutôt qu’à Londres : si le rôle de Giraud est bien connu, il n’est pas malvenu de remémorer le sacrifice du général Frère et le dévouement de Prioux.
Même si on détecte des inexactitudes ponctuelles dans certaines légendes (p.41, p.125, p.155 et p.176), la qualité du travail accompli est certaine et témoigne d’un labeur scrupuleux. La défaite n’a pas de pères, et les biographes ne se mobilisent pas pour restituer leurs visages. Ce bottin illustré des grands commandeurs vaincus en 1940 comble donc utilement une évidente lacune bibliographique en réunissant leurs biographies détaillées. Une telle ressource sera sans doute indispensable à tous ceux qui s’intéressent aux causes et aux péripéties de cette catastrophe majeure de l’histoire de France.
© Guillaume Lévêque
L’adresse du coup allemand contre la charnière de Sedan et tout l’enfumage qui a précédé (simulacres de menaces contre les seuls petits pays neutres, comédies d’un Hitler se faisant passer pour sanguin alors qu’il mijotait ses attaques à loisir, légende selon laquelle il est surpris par la déclaration de guerre britanno-française, etc.) sont les grands oubliés de cette problématique.
Par ailleurs, Aimé Doumenc mériterait un traitement à part : sans être le moins du monde à gauche, il avait sué sang et eau pour obtenir l’alliance soviétique, il utilisait sans vergogne la main-d’oeuvre républicaine espagnole dans sa région de Lille et, au moment de prendre parti pour l’armistice, ses collègues l’excluent de leurs conciliabules !
Il s’agit aussi de se demander quels liens existaient entre ces fiers généraux et les grands capitaines d’industrie qui commerçaient sans vergogne avec l’Allemagne nazie et qui professaient : » Plutôt Hitler que le Front Populaire ».
Il s’agit de se demander ce qui se tramait dans l’entourage direct de Gamelin quand on sait que les généraux Giraud, Georges, Dufieux et Jeannel ont été approché par le mouvement fasciste « la cagoule ».
On peut se demander aussi pourquoi Hitler était si confiant quand il a complètement dégarni son front ouest pour concentrer toutes ses forces sur la Pologne en septembre 39 alors que la menace était claire : Entrée en guerre de la France et de l’Angleterre en cas d’agression de la Pologne ? Pourquoi l’attaque française dans la Sarre en septembre 39 n’a été qu’un simulacre. Cela fait beaucoup de questions qui sont aujourd’hui sans réponse satisfaisante.