A l’occasion du 83e anniversaire de l’Appel du 18 juin 1940, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé que Missak Manouchian, membre de l’une des organisations armées les plus actives de la Résistance, entrera au Panthéon, accompagné de son épouse Mélinée, elle aussi résistante. La cérémonie aura lieu le 21 février 2024, 80 ans exactement après que Missak Manouchian et ses 21 camarades des FTP-MOI aient été fusillés au Mont Valérien, la vingt-troisième, Olga Bancic, fut guillotinée en Allemagne.

Le président Macron répondait ainsi positivement à l’appel lancé à l’automne 2021 par le comité « Manouchian au Panthéon », qui proclamait « « Missak Manouchian est mort pour la France, fusillé à 37 ans le 21 février 1944 au mont Valérien. Il représente non seulement ses compagnons de l’ « Affiche rouge », mais aussi ces étrangers qui firent la France et dont la France fit des citoyens, le vaste peuple des ouvriers, typographes, cheminots, employés, intellectuels et poètes, hommes et femmes d’héroïsme et de devoir. Tous illustrent l’idéal d’une République où comptent avant tout l’amour de la patrie et l’adhésion aux principes universalistes qui la régissent (…). Il illustre le dévouement de ces Français par le sang versé, nourris des Lumières et de la mémoire de la grande Révolution, reconnaissants envers ce pays qui fut la terre d’accueil et le phare de tant de persécutés (…) Il disait quelques jours avant sa mort : «Vous avez hérité de la nationalité française, nous l’avons méritée.» A sa femme tant aimée Mélinée, le jour de son exécution, il écrivait dans une lettre immortalisée par Louis Aragon et Léo Ferré : « Je suis sûr que le peuple Français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement.»

L’actualité éditoriale accompagne l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian

Cosignataire de cette tribune appelant le président de la République à « panthéoniser » Missak Manouchian, Denis Peschanski a rejoint le comité exécutif du comité « Manouchian au Panthéon » en tant que conseiller historique. Il en est devenu le président du conseil scientifique, le 2 octobre 2023. Directeur de recherche émérite au CNRS, c’est un historien majeur du rôle des étrangers dans la Résistance. Il est l’auteur ou le co-auteur d’ouvrages essentiels. Il a notamment publié, avec Stéphane Courtois et Adam Rayski, Le Sang de l’étranger. Les immigrés de la MOI dans la Résistance (Fayard, 1989) et coécrit le documentaire La Traque de l’Affiche rouge réalisé par Jorge Amat (2007). A la veille de l’événement, dans le cadre d’une importante actualité éditorialeRaphaëlle Belon et Fabrice Grenard, Missak et Mélinée Manouchian, un couple d’étrangers dans la Résistance, in La Lettre de la Fondation de la Résistance, n° 115, décembre 2023 ; Dimitri Manessis et Jean Vigreux, Avec tous les frères étrangers : de la MOE aux FTP-MOI, Libertalia, 2024 ; Dominique Moncond’huy et Sylvain Boulouque (dirs), Missak et Mélinée Manouchian. La mémoire du groupe des 23, Atlande, 2024 ;  Benoit Raisky, L’Affiche rouge, Archi Poche, 2024 ; Gérard Streiff, Missak et Mélinée Manouchian, un couple en résistance, l’Archipel, 2024 ; Annette Wieviorka, Anatomie de l’Affiche rouge, Le Seuil-Textuel, 2024, Didier Daeninckx et Laurent Corvaisier, Missak Manouchian, l’enfant de l’Affiche rouge, Rue du Monde, 2024, Didier Daeninckx, Mako, Dominique Osuch, Missak Manouchian, une vie héroïque, Les Arènes BD/Ministère des armées, 2024, il signe avec Astrig Atamian historienne, chercheuse associée au CERCEC à l’EHESS, spécialiste du mouvement communiste arménien en France. Autrice de plus d’une centaine de notices biographiques pour le dictionnaire Maitron, elle prépare un ouvrage sur les communistes arméniens en France, à paraître aux Presses universitaires de Rennes. et Claire Mourdarian historienne, directrice de recherche émérite au CNRS et enseignante à l’EHESS, spécialiste de l’Arménie et du Caucase. Elle contribue aussi à la publication des Documents diplomatiques français, série « Deuxième Guerre ». Elle a publié notamment L’Arménie, PUF, coll. « Que-sais-je ? », 2022. un « beau livre » sur l’histoire de Missak Manouchian et de son épouse Mélinée.

Il s’agit en effet d’un beau livre : grand format, couverture cartonnée, élégance de la mise en page, et surtout priorité absolue accordée aux illustrations. Sur les 191 pages du livre, on ne compte que 32 pages de texte et plus de 200 reproductions de grande qualité. Il s’agit de photographies de divers format (y compris pleine page et même double page), des tracts, des cartes, des fac-similés (de la dernière lettre de Missak à Mélinée), des reproductions de documents d’archives qui permettent au lecteur de rentrer dans l’atelier de l’historien : ainsi des organigrammes dressés par les inspecteurs de la Brigade spéciale des renseignements généraux qui traquaient les membres du « groupe Les guillemets qui encadrent ici « groupe » s’expliquent par le fait qu’il n’a jamais existé de « groupe Manouchian » au sein de l’organisation des FTP-MOI, l’expression fut forgée après la guerre et popularisée par le poème d’Aragon. » Manouchian. Une lecture de l’ouvrage est possible uniquement en regardant les documents et en lisant leurs légendes, qui reprennent l’essentiel du contenu des textes. L’ouvrage est structuré en quatre parties : « Itinéraire de deux orphelins » ; « L’engagement dans l’exil (1925-1939) » ; « Vivre à en mourir (1939-1944) » ; « Les aléas de la mémoire (1945-Aujourd’hui) ». Chaque partie débute par un texte exposant l’essentiel du thème en quatre à six pages, suivi des documents et de leurs légendes.

« Itinéraire de deux orphelins »

Ce chapitre est rédigé par Claire Mouradian, et composé de trois parties traitant des Arméniens dans l’empire ottoman finissant, du génocide des Arméniens et du grand nombre d’orphelins dans les années qui suivent. « La préméditation et la planification du génocide ne laisse guère de doute, ne serait-ce que par le caractère systématique, simultané et organisé des opérations menées à travers tout l’Empire. La date de décision se situe probablement au lendemain de la débâcle de Sarikamich (janvier 1915), sur le front du Caucase, dans une bataille mal engagée en plein hiver par le ministre de la Guerre, Enver Pacha : il faut des boucs-émissaires. »

« C’est un génocide des temps modernes, perpétré par un parti-Etat dictatorial au nom d’idéologies d’exclusion (darwinisme social, panturquisme), mettant à profit le contexte du conflit mondial. Tout l’appareil étatique est mobilisé pour organiser l’extermination et la spoliation. » Le nombre des victimes se situe entre 1,23 et 1,5 million de morts, soit les deux tiers de la population arménienne. On estime à plus de 200 000 le nombre d’orphelins, en conséquence du génocide. « C’est de cette galaxie des orphelins dont sont issus Missak et Mélinée ».

Missak Manouchian est né le 1er septembre 1906 dans ce qui était alors l’Empire ottoman, dans une famille paysanne arménienne, dans le village turc d’Adyaman. Missak Manouchian passe son enfance dans le souvenir du massacre de 200.000 Arméniens entre 1894 et 1896. En 1915, ses parents font partie du million et demi d’Arméniens qui disparaissent dans le génocide perpétré par les autorités de l’Empire ottoman, son père mourant assassiné et sa mère de maladie dans une situation de famine. Recueilli avec son frère Garabed dans un orphelinat à Djounich actuel Liban, dans une région placée alors sous protectorat français, il y subit l’influence de la culture française et développe un attachement profond pour ce pays qui lui apparaît comme protecteur et bienfaiteur. En 1925, il débarque à Marseille et travaille quelque temps aux chantiers navals de La Seyne, puis il monte tenter sa chance à Paris.

Mélinée Soukémian est née en 1913,  dans une famille de fonctionnaires de l’Empire ottoman, son père occupait les fonctions de directeur dans l’administration des Postes. Orpheline très jeune, ses parents étant victimes du génocide arménien, elle est recueillie avec sa sœur aînée, Armène, par une mission protestante de Smyrne, en Grèce. Au terme de la guerre gréco-turque,  elle est déportée en 1922 vers Thessalonique. Accueillie comme réfugiée par le royaume de Grèce, qui est alors sous protectorat anglo-français, elle est placée dans un orphelinat de Corinthe, où les conditions de vie sont difficiles. À la fin de l’année 1926, elle fait partie, avec sa sœur, des enfants qui sont envoyés par le Comité américain du Secours arménien et syrien  poursuivre leur scolarité en France. Elle a treize ans quand elle débarque à Marseille, sous le nom de Mélinée Assadourian, à la suite d’une erreur d’enregistrement à Athènes. Mélinée et sa sœur sont accueillies avec 200 autres orphelines dans une école tenue par « les dames de Tebrotzassère » qui les initient à la langue et à la culture arménienne, à Marseille d’abord, puis au Raincy où Mélinée obtient son certificat d’étude en 1929. Elle suit ensuite une formation de secrétaire comptable et de sténo-dactylo. Diplômée, elle s’installe à Paris.

« L’engagement dans l’exil »

Astrig Atamian a rédigé ce second chapitre qui couvre les années 1925 à 1939 et comprend trois parties : « Déracinés dans un monde étranger » ; « Une jeune garde intellectuelle » ; « Missak et Mélinée, figure de proue de la mouvance arménienne en France ».

La forte communauté arménienne de France connaît une vie culturelle et associative intense, et Missak Manouchian y joue un rôle notable. Il est en effet poète, et il fonde et dirige deux revues littéraires, Tchank (« Effort ») et Mechogouyt (« Culture »). Il suit alors des cours à la Sorbonne et dans des universités ouvrières et fréquente assidûment la bibliothèque Sainte-Geneviève. Mais les années 1930 sont d’abord pour Missak, comme pour Mélinée, celles de la formation politique. Les deux apatrides rescapés du génocide ont sans doute été séduits par la ligne antifasciste et la défense de la solidarité internationale du Parti communiste, mais aussi par la volonté de lutter contre un système social injuste. Son discours en faveur des travailleurs séduit les deux jeunes gens marqués par l’expérience de l’injustice et de la pauvreté. Le Parti communiste a pour stratégie l’intégration des travailleurs étrangers. En 1925, il crée la Main-d’œuvre étrangère (MOE), qui devient en 1932 la Main-d’œuvre immigrée (MOI). La MOI est organisée en groupes de langue. Missak Manouchian déploie alors une grande activité politique : il est membre du comité d’aide aux républicains espagnols et membre du groupe arménien, il est rédacteur en chef du journal Zangou (du nom d’un fleuve de la région d’Erevan), publié sous l’autorité du HOC (Hayastani Oknoutsian Komité ou comité de secours à l’Arménie, créé en 1921 à Erevan

Missak et Mélinée se rencontrent  pour la première fois en décembre 1934, et leur véritable liaison débute l’année suivante. Ils sont alors tous deux membres du Conseil central du HOC. Le rédacteur en chef de Zangou et la secrétaire partagent le même bureau. Ils ne sont évidemment pas seulement des militants, ils sont jeunes, ils s’aiment, ils ont des amis, ils vont au cinéma et à l’opéra. Missak fréquente le groupe des jeunes poètes arméniens. Ils se marient le 22 février 1936, munis du « certificat de coutume en vue du mariage » exigé des apatrides.

« Vivre à en mourir »

Denis Peschanski est l’auteur de cette partie qui traite – en s’en tenant à l’essentiel- de l’engagement résistant de Missak Manouchian dans les FTP-MOI, de ses responsabilités et de ses actions, de sa traque, de son arrestation du procès des vingt-trois résistants FTP-MOI et de leur exécution.

Missak Manouchian, apatride et communiste, est désormais menacé à cause de ses sympathies pour l’URSS, laquelle est considérée comme une nation ennemie depuis qu’elle a signé, une semaine plus tôt, le pacte germano-soviétique, et de son appartenance au Parti communiste. Dès le 2 septembre 1939, des policiers français ont perquisitionné  au siège de l’Union populaire franco-arménienne et arrêté Missak Manouchian. Séparée de Missak, interné à la Santé, Mélinée s’installe chez sa sœur. Pour échapper à sa prison, Missak Manouchian signe un acte d’engagement volontaire, un décret autorisant l’incorporation des apatrides pour la défense du pays. Le 7 octobre, il est à son domicile pour faire ses adieux à Mélinée avant de partir pour la base militaire de Colpo, dans le Morbihan, où, adepte régulier de la culture physique,  il est chargé de l’entraînement physique des recrues. Il porte donc l’uniforme français et s’apprête à défendre le pays qu’il a choisi et qui l’a accueilli. Il dépose, au début de 1940, une seconde demande de naturalisation, qui sera elle aussi refusée. A Paris, Mélinée assiste avec peine à l’entrée des Allemands dans la ville.

Démobilisé, Manouchian est intégré dans une compagnie de travailleurs étrangers, à l’usine Gnôme et Rhône d’Arnage, dans la Sarthe. Mélinée est toujours à Paris où elle participe aux activités du Parti communiste qui se reconstitue dans la clandestinité, en effectuant des distributions de tracts. Ces tracts n’appellent pas alors à la Résistance. Si l’on considère que le pacte germano-soviétique n’a pas suscité de contestation apparente de leur part, on peut admettre qu’ils sont tous deux dans la ligne du Parti. Missak quitte son usine et rejoint clandestinement Paris en janvier 1941. Il est désormais dans l’illégalité. Le couple s’installe dans un nouvel appartement, et Mélinée trouve un petit emploi de comptabilité qui subvient aux besoins du ménage. Arrêté le 26 juin 1941 lors d’une grande rafle ordonnée par les Allemands, Missak Manouchian  est interné au camp de Royallieu près de Compiègne, et libéré en septembre 1941, faute de charges suffisantes.

C’est vers la fin de 1941 qu’il renoue pleinement avec le Parti et s’engage totalement dans la voie du militantisme clandestin. Il mène d’abord des actions politiques et de propagande. En février 1943 il quitte la MOI pour intégrer les FTP-MOI de la région parisienne. Il passe donc à la lutte armée, les risques sont désormais immenses, pour lui et pour Mélinée. En avril 1942 sont créés les Francs-Tireurs et Partisans Français dont font partie les FTP-MOI qui ont donc une double tutelle, la MOI d’une part, qui a reçu l’ordre d’affecter au moins 10% des effectifs aux FTP-MOI, les FTPF d’autre part. Les FTP-MOI ne sont composés au début de 1943 que de quelques dizaines de combattants regroupés en quatre détachements, auxquels s’ajoute une « équipe spéciale » qui se charge des actions les plus spectaculaires. On compte parmi eux des Italiens, des Roumains, des Tchécoslovaques, des Arméniens, des Polonais, des Bulgares et des Hongrois. La plupart d’entre eux sont juifs.

Ils mènent des actions de guérilla urbaine, sabotages et attentats contre l’occupant. Au début de l’été 1943, les militants de la MOI sont frappés par une vague d’arrestations, une réorganisation a lieu, et Missak Manouchian intègre le triangle de direction en tant que commissaire technique ; en août, il accède au poste de commissaire politique, donc à la tête de l’organisation. En août 1943, les FTP-MOI comptent 65 combattants. Entre juillet 1942 et novembre 1943, les FTP-MOI auraient réalisé 229 actions, abattant une quarantaine d’Allemands. Sous la direction de Manouchian, une soixantaine d’actions sont menées entre août et novembre 1943. Même si c’est assez peu dans l’absolu, c’est insupportable pour l’occupant. La plus retentissante est l’exécution, le 28 septembre 1943, par un commando de FTP-MOI, du général Julius Ritter, chargé de superviser en France la mise en œuvre du Service du travail obligatoire.

La direction des FTP-MOI demande à Mélinée de seconder son mari, sans participer aux actions armées. Elle devient secrétaire de la direction des FTP-MOI, rédige et dactylographie des rapports en français et en arménien ; elle assure aussi les fonctions d’agent de liaison de Missak. Le couple se protège en limitant le plus possible ses contacts en dehors des nécessités de l’action. Ils ne reçoivent plus d’amis, ne partagent plus aucun loisir. Mélinée est de plus en plus anxieuse. Ils se savent en sursis depuis que les Brigades spéciales de la police de Vichy ont renforcé leur traque des FTP-MOI. Les 200 inspecteurs des deux Brigades spéciales sont viscéralement anticommunistes, travaillent beaucoup et utilisent des techniques efficaces et bien rôdées. Le 24 septembre 1943, les policiers de la 2e Brigade spéciale repèrent Missak Manouchian, sans connaître son activité de chef militaire des FTP-MOI. Le mardi 16 novembre 1943, Missak Manouchian est suivi par le commissaire Gaston Barrachin et par quatre de ses inspecteurs, depuis son domicile jusqu’au train qu’il prend à la gare de Lyon en direction de Evry-Petit-Bourg (aujourd’hui, Evry) où il a un rendez-vous. Il est ceinturé par les inspecteurs. Quelques-uns de ses camarades sont arrêtés peu après, ce qui clôt une vague de 68 arrestations opérées par les hommes de la 2ème Brigade spéciale. La branche parisienne des FTP-MOI est quasi complètement anéantie.

Interrogé et torturé par le commissaire David, Missak Manouchian est ensuite remis aux autorités allemandes avec vingt-deux de ses camarades. Un procès à huis clos est organisé par les autorités allemandes du 15 au 18 février 1944, à l’hôtel Continental, en présence de quelques journalistes collaborationnistes. Les vingt-trois inculpés sont tous condamnés à mort par le tribunal du Gross-Paris, le 19 février 1944 et fusillés au Mont-Valérien le 21 février.

A l’occasion du procès des FTP-MOI de la région parisienne, les Allemands lancent une vaste opération de propagande qui a pour objectif de déstabiliser la Résistance, en jouant les cartes de l’anticommunisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie. Les services de la propagande allemande conçoivent, réalisent et font placarder une grande affiche dont la mise en page témoigne de leur volonté d’assimiler les résistants de la FTP-MOI à des criminels terroristes. L’affiche comprend une phrase d’accroche : « Des libérateurs ? La Libération par l’armée du crime ! » ; les photos, les noms et les actions menées par dix résistants du « groupe Manouchian », Manouchian lui-même étant ainsi présenté : « Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés » ; six photos d’attentats ou de destructions, représentant des actions qu’ils sont accusés d’avoir commises. L’Affiche rouge aurait été diffusée à 15000 exemplaires, accompagnées d’un tract. Les rapports des Renseignements généraux montrent que cette opération de propagande eut sur l’opinion publique un effet inverse à l’effet recherché : les passants manifestèrent souvent des réactions de sympathie vis-à-vis des résistants dont la photo est reproduite sur l’affiche. Néanmoins, les historiens ne disposent pas des sources suffisantes pour connaître le réel impact de l’affiche sur l’opinion publique. On trouve dans le livre de nombreuses photos, des fac-similés de documents d’archives et de la presse collaborationniste et résistante.

Missak ne revenant pas, Mélinée quitte à midi l’appartement où la table est mise, un peu avant que la Gestapo n’arrive. Elle se cache chez des camarades, puis chez la famille Aznavourian, et une longue attente commence, seule face à l’angoisse, tout en poursuivant son activité de propagande clandestine. Pensant la protéger, ses amis lui cachent son exécution Pendant des mois, elle reste dans l’ignorance du sort réservé à son mari, n’ayant pour seules informations que celles de la propagande officielle qui le présente comme un assassin. Elle apprend brutalement son exécution par un visiteur de passage. Ce n’est que le 28 novembre 1944 que Mélinée reçoit la dernière lettre que lui a écrite Missak, le 21 février. L’ouvrage montre le fac-similé du manuscrit de la lettre.

« Les aléas de la mémoire »

Cette dernière partie est rédigée par Denis Peschanski, en collaboration avec Astrig Atamian et Claire Mouradian. Curieusement, cette passionnante question de la mémoire du « groupe Manouchian », qui relève d’un domaine dont Denis Peshanski est le spécialiste, est traitée ici de façon superficielle. On pouvait difficilement faire plus court et on ne peut que le regretter. Le dernier paragraphe est intitulé « Des conflits de mémoire au consensus » : l’auteur tenait-il à ne pas menacer le consensus établi autour de la panthéonisation en développant trop les conflits de mémoire ?

On pourra consulter le dossier Missak et Mélinée Manouchian sur le site des Clionautes pour appréhender plus complètement cette question : les oublis du Parti communiste, qui pendant de longues années à rayé de son histoire les résistants étrangers ; la postérité de l’« Affiche rouge », assurée par le poème d’Aragon en 1955, mis en musique et chanté par Léo Ferré en 1961, et par le cinéma (films de Franck Cassenti en 1976 et de Robert Guédiguian en 2009) ; la polémique historique, médiatique et politique autour du documentaire réalisé par Mosco Lévi Boucault et intitulé Des terroristes à la retraite, diffusé à la télévision en 1985 ; débats actuels sur la « starisation » du couple Manouchian aux dépens des autres résistants FTP-MOI morts au combat

« Ce qui est frappant c’est que grâce à Aragon avec son poème « Strophes pour se souvenir », écrit en 1955 (…) et à Léo Ferré qui a composé sur ce poème la chanson immédiatement si connue, en 1961, « l’Affiche rouge », Missak Manouchian est entré dans la mémoire collective dès les années 1950 (…) Il est clair que la cérémonie du 21 février prochain va singulièrement amplifier ce phénomène d’inscription dans la mémoire collective des Français (…) Ce sera le premier résistant étranger à être panthéonisé ; ce sera le premier résistant communiste à être panthéonisé. Il sera en effet accompagné de Mélinée qui fut de ses combats dans la Résistance et forma un couple fusionnel, comme en témoigne la dernière lettre de Missak. Mais comme l’a annoncé Emmanuel Macron, avec lui, ce sont les 22 autres FTP-MOI exécutés suite au même procès et même, au-delà, tous les résistants étrangers qui entrent au Panthéon ». (Denis Peschanski)