Une longue enquête d’investigation
Pouvoir interviewer des membres et chefs des triades chinoises n’est pas facile. C’est pourtant ce qu’à réussi le journaliste Antoine Vitkine dans le cadre d’une longue enquête de terrain en Chine, à Taiwan, à Hong Kong, à Macao, en Australie, en France et au Canada. Son objectif est de mettre en lumière les ramifications et l’histoire des principales triades depuis la création de la République Populaire de Chine en 1949.
Ce livre est une adaptation du documentaire en trois épisodes sur les mafias chinoises diffusées sur Arte. Crée au XVIIe siècle, les triades chinoises peuvent nouer ou défier le pouvoir. Depuis le milieu du XXe siècle, les casinos, les salons de massage, la gestion des déchets et de façon plus surprenante, le cinéma, sont des domaines où l’influence des triades est forte. Les casinos permettent à ces groupes de blanchir d’importantes sommes d’argent. Le contrôle exercé sur les commerces permet de circonscrire la petite criminalité et de s’assurer d’un soutien politique. Ces véritables relais du pouvoir peuvent également être mobilisés pour mettre fin à des manifestations, comme à Hong Kong en 2019. Connues sous les noms de Bande verte, Bambou Uni, Sun Yee On, 14K ou Wo Shing Wo, elles soutiennent ou s’opposent au PCC selon les périodes.
Les triades ne sont pas qu’un objet exotique. Elles sont plus proches de nous qu’on ne le pense. Pas seulement parce qu’elles sont présentes sur notre sol; mais aussi parce qu’elle ont tendance depuis quelques années à se fondre dans le paysage. En effet, au fil de leur évolution, les triades, à commencer par les plus anciennes, ont transformé leurs activités illégales en business légaux. au fur et à mesure que les mafieux se rapprochent du pouvoir, ils se muent en criminels à col blanc. Certains triades sont même devenues des multinationales, ancrées dans l’économie hongkongaise, chinois et globale, ayant pignon sur rue et frayant avec les élites politiques, les tycoons et le showbiz. Ivres de pouvoir, s’enrichissant sur le dos des plus faibles, imposant leurs propres règles, les triades sont aussi, plus que toute autre mafia, des métaphores d’un capitalisme sauvage. La question des mafias est celles du XXIe siècle, autant que les enjeux climatiques, technologiques et géopolitiques.
Triades – La mafia chinoise à la conquête du monde d’Antoine Vitkine, Tallandier, page 30
L’enquête d’Antoine Vitkine l’emmène à faire des entretiens avec plusieurs personnalités dont Tseng Ying-fu (le Tyran) à Taiwan, l’avocat du Loup Blanc à Macao, Raymond Chow (la Crevette) dans sa prison états-unienne. Ce dernier remerciera même l’auteur d’un savoureux mail : « je tiens à vous remercier pour l’intérêt que vous portez à ma vie dans l’histoire des triades » (page 45).
Pratiquant l’extorsion, , les enlèvements, la contrebande, les paris illégaux, le prêt d’argent et la traite d’êtres humains, les mafias chinoises ont tissé un réseau mondial. Une excellente carte, présente dès le début de l’ouvrage, représente ce réseau mondial dont le foyer d’origine est le Sud-Est de la Chine. En dehors du monde chinois, elles sont présentes dans la plupart des Chinatown des grandes métropoles (Vancouver, Paris, San Francisco, Bangkok) et dans les pays où la diaspora chinoise est implantée depuis longtemps.
Les grosses triades se concentrent davantage sur le trafic de drogue. Ainsi, la 14K contrôle l’ensemble du trafic d’héroïne dans la région du Benelux, entre Anvers, Amsterdam et Paris, et plus récemment les drogues de synthèse, produites dans le Triangle d’Or, selon un rapport de l’Union européenne en 2011. La mafia du Fujian, créée à Hong Kong dans les années 1960 par des Chinois originaires de cette région et historiquement pro-Pékin déjà rencontre lors des manifestations de Hong Kong est considérée par les services policiers comme la plus grosse mafia d’Europe. Elle aussi s’appuie très largement sur sa diaspora, car 10% des Chinois dans le monde sont originaires du Fujian. Le gang est présent au Japon, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Italie, en France, au Canada… A New York, sur 300 000 personnes originaires du Fujian, 90 000 seraient liés au syndicat.
Triades – La mafia chinoise à la conquête du monde d’Antoine Vitkine, Tallandier, page 292
En conclusion, cette enquête fouillée, mi-historique mi-journalistique, éclaire de façon concrète le fonctionnement de ces groupes incontournables de l’antimonde.
Pour aller plus loin :