Documentaire de Michaël Prazan

France télévision distribution, 2009, double DVD

Largement méconnus et peu médiatisés jusqu’aux travaux du père Desbois, les massacres commis en Union soviétique par les Einsatzgruppen sont d’une ampleur considérable.
Ce double DVD reprend le documentaire diffusé en deux parties sur France 2 en avril 2009, auquel il ajoute un certain nombre de bonus comme c’est l’habitude pour les coffrets.

Des massacres de masse

Le premier DVD (« les fosses) s’intéresse à l’action des différents Einsatzgruppen sur le front de l’Est à partir de 1941. Celle-ci est replacée dans le contexte plus large de la solution finale dont les différentes étapes sont précisées.

Le documentaire rappelle également le caractère particulier de la guerre menée à l’Est par les nazis qui entraîne la formation de ces unités dont la mission initiale était d’éliminer les ennemis du nazisme (communistes, partisans mais aussi Juifs). Il montre comment les nazis ont su jouer du sentiment anticommuniste des mouvements nationalistes locaux pour exacerber un antisémitisme latent et ainsi disposer d’auxiliaires précieux pour leur sombre besogne. Dès l’arrivée des troupes allemandes, les pogroms menés par les locaux commencent.

Un antisémitisme que l’on trouve aussi chez les alliés roumains des Allemands dont les massacres n’eurent pas besoin d’être encouragés par les nazis. Un aspect souvent méconnu de l’extermination qui fait ici l’objet d’un chapitre.

Mais le désir d’échapper aux terribles conditions de vie en Union soviétique occupée ou dans les camps de prisonniers de guerre soviétique sont aussi une des motivations de ceux qui participent ensuite aux exécutions aux côtés des Allemands.

L’action des Einsatzgruppen est au cœur du DVD. Photos et films d’époque, interviews des acteurs et images actuelles des lieux nous permettent d’appréhender la réalité du déroulement de ces massacres. Le choix des exemples traités permet de montrer l’extension progressive des exécutions aux femmes et aux enfants et à tout le territoire soviétique, des pays Baltes à la Crimée en passant par Babi Yar
La richesse et la diversité des témoignages permettent de saisir le comportement des bourreaux, comme la brutalité des exécutions. Le perfectionnement des techniques de mise à mort allant de la fusillade à l’utilisation des gaz est abordé.

Effacer toutes les traces

Le deuxième DVD (« les fosses ») montre, comment, à la suite du retentissement que les nazis ont donné à la découverte du charnier de Katyn, ceux-ci craignent qu’il ne soit fait de même avec leurs propres massacres. Ainsi est prise la décision d’effacer toute trace. Les membres des Sonderkommando chargés de cette tache (prisonniers de guerre soviétique, déportés ou juifs) sont souvent exécutés une fois celle-ci terminée.

Mais le documentaire s’intéresse aussi à la psychologie des bourreaux. Leur difficulté à supporter les massacres qui les oblige à déléguer aux locaux ou à s’enivrer. Mais aussi leur idéologie et du haut niveau intellectuel de leurs officiers, comme en témoigne le passage où le procureur du procès des Einsatzgruppen se rend auprès d’un de leur commandant (Ohlendorf) condamné à mort . celui-ci le menace alors et tous les juifs américains avec lui.

La question des procès est également abordée. De ceux menés par les Soviétiques au fur et à mesure qu’ils libèrent leur territoire aux procès de Nuremberg. Le témoignage du procureur en charge du procès des Einsatzgruppen est édifiant,l’on est stupéfait d’apprendre qu’une des raisons limitant le nombre d’accusés au procès des Einsatzgruppen est banalement pratique : pas assez de place…

La relative clémence des tribunaux est expliquée par la nécessité de reconstruire l’Allemagne dans le cadre de la guerre froide mais aussi par le souci d’éviter d’apparaître comme une justice de vainqueurs, source de ressentiment.

Un documentaire efficace

Les DVD utilisent de nombreuses images d’archives aux sources diverses. Des classiques films de propagande des belligérants aux images prises par les témoins ou les bourreaux eux-mêmes en passant par des extraits des procès Eichman et de Nuremberg. Elles sont accompagnées d’un commentaire en voix off faisant le récit des évènements auxquels elles sont associées. Des images et un récit souvent très durs.

Le documentaire se distingue cependant par la mise en perspective des divers éléments. Il va plus loin qu’un simple récit, il donne du sens aux images.

En particulier l’analyse des photos du massacre de Liepaja par Edward Anders (un rescapé) qui nomme certaines des victimes et explique leurs attitudes avec une sincérité et un détachement stupéfiant au vu de la dureté de celles-ci.

Le passage bonus sur le massacre de Lubny associe, lui, le récit off d’un témoin aux images des victimes qui alternent avec le paysage bucolique. Cela se termine par la lecture des quelques lignes du compte–rendu de l’einsatzkommando sur cette action. Un passage qui permet de faire comprendre aux élèves comment les nazis présentaient officiellement ce type d’opération.

Des interviews de survivants ou de témoins permettent de saisir l’ampleur de ses massacres et la relative indifférence qu’ils suscitent. Les historiens spécialistes (C Browning, C Ingrao, J Matthaus, M Dean..) interviennent régulièrement pour mettre en perspective et démonter les mécanismes de la machine exterminatrice.

Mais le DVD se distingue par les interviews de personnes ayant participé aux massacre, en particulier un tireur lituanien ayant lui-même exécuté des Juifs et qui fait le récit des exécutions.

Il y a ainsi de nombreuses pistes d’exploitation du DVD. Qu’il s’agisse du processus de décision et de mise en œuvre de la solution finale ou d’une réflexion plus large sur les bourreaux, l’antisémitisme, les conditions de la guerre à l’Est et la justice.

@clionautes