Ce travail de collecte permet de mettre en perspective historique et sociologique la question de l’immigration en France. Ce dictionnaire de tous les termes, aussi bien techniques qu’argotiques consacrée à l’immigration et aux immigrés ce parcours au fil des pages et des notices avec énormément de plaisir. C’est d’abord un dictionnaire étymologique permettant de retrouver l’origine de tel ou tel mot ainsi que le parcours est le changement de sens qu’il a connu. Le terme de ghettos par exemple attestés en français dès 1536 vient de l’italien fonderie et désigner une petite île spécialisée au XIVe siècle dans la fabrication de bombardes. Les juifs de Venise y ont été cantonnés à partir de 1516. Les deux auteurs enrichissent leurs recherches d’extraits de textes ou ces termes ont été utilisés parfois avec un changement de sens. Alphonse Daudet parle par exemple de ghettos auvergnats dans les comptes du lundi paru en 1873.
Les mots voyagent aussi, comme le mamelouk, historiquement désignant le membre d’une milice ottomane, mais que l’on retrouve avec une petite déformation dans les Antilles françaises. Le mamelouk désigne alors un homme ou une femme issue de l’union d’un homme blanc et d’une femme métisse ou quarteronne.
Les termes péjoratifs sont évidemment largement présents dans cet ouvrage. On remarque d’ailleurs qu’ils peuvent changer de sens par appropriation de la dénomination dépréciative. C’est le cas de Portos, le terme qui désignait les Portugais présents en France dans les années 60, repris par les Portugais eux-mêmes pour parler de leur communauté. Par contre, on ne retrouve pas la même évolution chez les Polacks, les immigrants Polonais. Le terme reste argotique mais globalement péjoratif alors qu’il désignait au départ un cavalier polonais servant dans l’armée française au XVIIe et XVIIIe siècle.
Portos, bougnoules et macaronis
Plus étonnant encore le terme de pieds – rouges, qui désignait depuis 1991 les Russes vivant désormais dans les républiques indépendantes issues de la caisse Union soviétique, a d’abord désigné des militants français qui s’étaient installés en Algérie après l’indépendance, dans l’espoir d’y construire le socialisme. La plupart d’entre eux ont été expulsés lors du coup d’état de Boumediene. Certaines expressions sont l’objet d’une étude attentive et surtout très utile comme celle de « l’identité nationale ». Cette expression a été utilisée après 1968 par les mouvements régionalistes en France qui se piquaient parfois du nationalisme, comme le mouvement occitaniste, où le séparatisme breton et même alsacien. Depuis 2007, on sait comment ces deux mots sont utilisés. Certaines expressions par contre semblent avoir disparu du vocabulaire politique courant, comme celle de l’immigration sauvage. L’expression était apparue, certains vieux militants s’en souviennent, lors de la campagne menée par le groupe d’extrême droite ordre nouveau. Ce mouvement avait été dissous en même temps que la ligue communiste, après la manifestation du 21 juin 1973. Le mot d’immigration a été associé à bien d’autres : on est passé de l’immigration clandestine, souvent évoqué à l’immigration illégale, ce qui suppose qu’elle puisse être également légale, à l’immigration zéro pour en arriver depuis 2005 à l’immigration choisie, que l’on se gardera de confondre avec l’immigration subie.
Certains termes sont de véritables découvertes : qui utilise encore aujourd’hui le mot de « jingoïsme » pour désigner toute attitude nationaliste d’arrogance belliqueuse ? Ce terme utilisé en Angleterre serait l’équivalent du chauvinisme en français.
Certaines dispositions législatives comme les lois Pasqua ne sont pas ignorées des deux auteurs. Cet ensemble de lois relatives à l’immigration et à la nationalité ont été votées entre 1986 et 1988 et en 1993 lorsque Charles Pasqua était ministre de l’intérieur. Ces lois avait pour vocation de durcir les conditions d’entrée des étrangers en France. Du fait des failles juridiques dans le statut des étrangers, ces lois, d’après les auteurs, ont généré une catégorie nouvelle étrangers en France : les sans-papiers.
Les insultes permettant de désigner l’étranger ont des origines variables : assimilation de l’étranger à ce qu’il mange, comme le macaroni, désignant l’italien, extrapolation de sens, à partir d’un mot venu d’une autre langue, comme bougnoul. Des appellations exotiques ont été également utilisées : l’appellation de Kroumir désignait un arabe, par glissements phonétiques avec l’insulte : «crouillat ». Pourtant, les Kroumirs existaient bel et bien à la frontière algéro – tunisienne comme tribu nomade. Ce sont ces fameux Kroumirs qui ont servi de prétexte aux armées françaises pour imposer à la Tunisie le protectorat. Le capitaine Haddock utilise ce terme comme une insulte également dans un des albums de Hergé.
Kroumirs et droit d’asile
Évidemment d’autres termes sont également resitués dans leur contexte, et on peut être surpris et en même temps accablé par l’immense richesse de cet inventaire du rejet de l’autre. Pour terminer sur une activiste ce voyage dans le vocabulaire, quelques mots sur l’asile, la protection accordée à celui qui vient d’ailleurs. On y décrit le cadre juridique actuel, fruit d’une longue évolution à partir du concept antique qui remonte à la Grèce. On décline cette expression à partir du droit d’asile qui ne désigne pas le droit d’un individu à obtenir l’asile sur le territoire d’un autre État mais bel et bien le droit que possède l’État d’accorder l’asile sur son territoire. En d’autres termes le droit d’asile n’est en aucune manière un devoir d’asile.
Trois textes fondamentaux traitent du droit d’asile en France, à commencer par la ligne quatre du préambule de la constitution de 1946, rajouter à la constitution de 1958. La convention de Genève traite par contre du statut de réfugié. Cela est parfois source de confusion. L’asile conventionnel résulte de l’application par la France de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, tandis que l’asile constitutionnel qui offre la même protection juridique que le précédent prend en compte la menace réelle sur l’individu, contrairement à l’asile conventionnel où l’on évoque le risque de persécutions. L’asile territorial a été supprimé par la loi du 11 décembre 2003. Il permettait d’accorder l’asile à une personne capable d’établir que sa vie ou sa liberté est menacée dans son propre pays.
On peut donc passer un moment très agréable de découverte avec cet ouvrage, mais aussi trouver des références biens commodes sur des dispositions récentes concernant le condition d’accueil et de séjour des étrangers en France. On peut voir d’ailleurs que bien des thèmes sont récurrents, et que le combat pour l’intégration, pour l’accueil des étrangers en France ne date pas d’hier. Toutefois, c’est dans les périodes de crise que les situations se tendent et que l’intégration par le travail, la plus efficace semble-t-il, devient la plus difficile.
Bruno Modica © Clionautes