Comment les jeunes d’aujourd’hui comprennent-ils ou appréhendent-ils le monde dans lequel ils vivent ? Quel rôle peut jouer l’HGGSP dans ce décryptage ? Robert Pourrade enseigne l’HGGSP depuis sa création et mène depuis plusieurs années une réflexion pédagogique et politique sur le regard que les jeunes portent sur les enjeux mondiaux.

Le cadre de l’enquête

Le propos central du livre questionne la construction du rapport au reste du monde des jeunes Français grâce aux témoignages des quelques centaines de jeunes qui ont suivi le cours d’HGGSP de Rodolphe Pourrade. Le collègue n’oublie pas de dire d’où il parle en évoquant un établissement plutôt favorisé. En 20 ans le monde a incroyablement changé : en 2005 le PIB du Japon était 5 fois supérieur à celui de la Chine , il lui est aujourd’hui 3 fois inférieur. Pour aider à comprendre le monde, l’HGGSP offre un espace privilégié. Cependant, n’oublions pas qu’une grande partie des élèves ne suit pas cet enseignement. Chez les jeunes le regard porté sur l’actualité et les relations internationales se construit à partir de trois éléments : le discours familial, les représentations médiatiques et le savoir scolaire. Cette coexistence de trois récits peut créer de la difficulté pour les élèves. L’auteur a choisi d’insérer des retranscriptions d’échanges qui se sont déroulées dans ses classes ce qui rend l’ensemble très vivant.
Dans les deuxième et troisième parties, la construction est la suivante : le vécu de la classe, la lecture critique des programmes scolaires et enfin un retour sous la forme d’un bilan et de prolongements.

Des textes et des images

Le collègue s’intéresse d’abord aux pratiques informationnelles des élèves en montrant le succès d’Hugo décrypte par exemple. Dans leurs boucles informationnelles, les jeunes accèdent à des connaissances parfois très précises sur des sujets très complexes. Il y a surtout une différence avec les adultes, ce qui pose la question de la disparition de référentiels communs. Les élèves pensent parfois que les cartes n’ont aucun parti pris et l’enseignant doit les faire travailler sur ce point en les confrontant à des exemples précis. Plusieurs exemples concrets sont présentés et reproduits dans l’ouvrage.

Mémoires et patrimoines : boussoles désorientées ?

Les questions des mémoires des crimes de masse et celle du patrimoine, étudiées en terminale, mettent aux prises les élèves avec des questions qui touchent à l’identité collective, nationale et même plus largement à l’identité humaine. Les échanges retranscrits permettent de rendre compte de l’état d’esprit des élèves. On mesure que les cérémonies de panthéonisation demeurent assez mal comprises. Si les questions de genre ou d’appartenance communautaire sont visibles pour tout adulte en contact avec la jeunesse, la nature de l’identité nationale est aussi profondément interrogée.

Civilisation et terrorisme islamiste : la toile de fond huntingtonienne

L’actualité internationale des deux dernières décennies a été rythmée par le terrorisme islamiste. Le risque de peurs paniques et d’amalgames sont deux éléments contre lesquels l’enseignant doit lutter au quotidien. L’Islam est finalement peu étudié à l’école et surtout de manière réductrice, trop souvent sous l’angle du djihad.

Juifs et arabes

L’arène médiatique utilise très souvent ces catégories. Dans l’imaginaire collectif des élèves, le Palestinien demeure un Oriental là où l’Israélien est considéré comme un Occidental. Le premier réflexe des élèves est de se positionner moralement face aux évènements. Une infime minorité d’élèves a conscience que Juifs et Arabes ont pu coexister sereinement durant des siècles.

Polluer c’est mal

Les connaissances des élèves sur l’environnement résultent majoritairement de l’enseignement scolaire voire du traitement médiatique de la question. Ici, le microcosme familial est moins présent. Là encore des retranscriptions d’échanges avec les élèves permettent de voir comment se situent les jeunes face à cette question. L’environnement est une des questions les plus prises en charge par l’éducation nationale. L’auteur se montre très sceptique sur la notion de transition qui irrigue pourtant tout le programme de seconde.

La démocratie, c’est voter aux élections

Pour une immense majorité des jeunes, la démocratie se résume à l’exercice du droit de vote, voire à l’élection du Président de la République. L’auteur souligne que le programme scolaire affiche une hégémonie de la démocratie libérale et c’est pour cela qu’il propose aux élèves d’étudier en contrepoint Malatesta, un anarchiste révolutionnaire italien. Il souligne aussi que sous prétexte de neutralité, l’ école se refuse à éclairer des points pourtant vitaux.

L’Euh…rope

Raconter l’Union européenne à travers sa construction et les idées de Monnet ou Schuman est loin de suffire aujourd’hui. L’auteur choisit de politiser cette question en cours. Ainsi, pour les élèves, l’immigré des années 2020 est forcément africain en situation illégale donc un hors-la-loi. Face à ce portrait comment agit l’Union européenne ? L’Europe des manuels c’est aussi trop souvent celle de la paix et des élargissement successifs mais nulle trace de l’influence étatsunienne ou de la question pourtant centrale de l’OTAN.

L’Afrique est un pays qui …

L’Afrique reste sujette à une série de fantasmes néocoloniaux mâtinés de bonne conscience humanitaire. L’Afrique serait un bloc monolithique et tout l’enjeu est de faire distinguer des sous-ensembles aux élèves. Le fait qu’environ la moitié du continent soit chrétien est une donnée factuelle qui échappe aux élèves. L’Afrique est soumise à un état de fixité permanente dans les représentations dominantes. La vieille expression de « Tiers-Monde » a encore la vie dure. Les élèves sont aussi très surpris en découvrant les gacacas et leur fonctionnement. Penser l’Afrique et les Africains avec les élèves suppose donc un long travail de déconstruction.

La Russie : plus communiste mais toujours aussi menaçante ?

Ce qui est d’emblée frappant, c’est l’assimilation effectuée par les élèves entre Poutine et son pays. L’auteur propose plusieurs types de documents qu’on peut étudier avec les élèves et, parfois, une photographie permet de montrer l’évolution des rapports diplomatiques, par exemple avec la France. Un élève terminant sa scolarité qui n’aurait pas suivi l’HGGSP n’aura jamais traité la géographie de la Russie si ce n’est à travers des études de cas parcellaires. L’histoire soviétique est également vue très rapidement.

Face à la Chine éveillée

D’usine du monde, la Chine est devenue aujourd’hui une puissance capable d’édifier une station spatiale. C’est dans sa capacité de projection à l’international que la Chine est évoquée. Tik Tok est évidemment connu de tous les élèves. La Chine occupe une place importante dans les programmes d’HGGSP mais nettement moindre dans le tronc commun.

L’Oncle Sam, gendarme bienveillant ou cow-boy génocidaire ?

La connaissance de la géographie intérieure des Etats-Unis est plutôt défaillante. Les Etats-Unis sont vus comme le grand vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, quitte à oublier les 20 millions de Soviétiques morts durant le conflit. Le regard actuel des élèves vis-à-vis des Etats-Unis est un regard positif mais sans angélisme. Dans les programmes scolaires, les Etats-Unis ne sont traités qu’à travers des épisodes historiques spécifiques.

En conclusion, l’auteur souligne que le monde est davantage vécu que compris par les élèves. Sur le plan géographique, on note un recul des espaces déconsidérés. Les jeunes ont une perception très atomisée de la géographie. La grille interprétative de la jeunesse se construit à partir de structures d’équivalence. Les Ouighours connaissent le même sort que les Kurdes par exemple. L’univers mental de leurs parents était marqué par la guerre froide, ce qui est très différent d’aujourd’hui. L’auteur note que les jeunes font désormais peu de cas de l’information généraliste. «  Ma conviction est qu’il ne faut plus enseigner l’histoire en cherchant dans le passé des facteurs du présent mais au contraire enseigner le présent à la lumière du passé pour que les jeunes puissent mesurer les ruptures et les continuités qui façonnent l’existant. »