« Nul ne peut ignorer le reste du monde », c’est le constat par lequel commence cette nouvelle édition de l’Atlas géopolitique du Dessous des cartes. De la pandémie à la guerre en Ukraine, en passant par l’accélération du dérèglement climatique, la géopolitique s’est invitée dans nos vies de tous les jours. En effet, la nouvelle invasion russe d2023,e l’Ukraine en février 2022 a remis les cartes à la une de l’information. Elles nous rappellent la position centrale de l’Ukraine, carrefour entre deux mondes, celui de l’Union européenne et celui de Vladimir Poutine : nous voici entraînés dans une guerre de territoires et de valeurs. De la pandémie de Covid au retour de la guerre au cœur de l’Europe, nous mesurons comme jamais nos interdépendances : climat, santé, énergies, alimentation, défense … Dans les années 2020, nul ne peut ignorer le reste du monde. La géopolitique est l’affaire de tous et, pour reprendre Yves Lacoste, « la géopolitique, c’est aussi une manière d’éviter les guerres ».
L’Atlas est divisées en six parties consacrées aux différentes grandes régions du monde ainsi qu’une dernière partie intitulée « Du monde d’avant au monde d’après ». Emilie Aubry (journaliste diplômée de Sciences Po Paris et rédactrice en chef du magazine de géopolitique « Le Dessous des cartes ») et Franck Tétart (docteur en géopolitique, enseignant dans le secondaire et à l’université Paris-1, auteur de nombreux atlas) commencent leur tour du monde par l’Europe qui se 2023,construit et n’avance jamais autant que dans les crises. La guerre de Vladimir Poutine en Ukraine a renouvelé l’attractivité et l’unité de l’Union européenne. Elle a également entraîné une réactivation d’un certain leadership américain et un clivage monde « libre » / monde « autoritaire », clivage qui disparaît bien vite derrière certaines contraintes relevant de la Realpolitik. En parallèle, une « guerre des récits » bat son plein entre Chine – Russie d’un côté et Occident de l’autre, chaque camp visant à diffuser dans le monde son modèle et ses valeurs. La guerre en Ukraine met aussi en évidence le « monde des non-alignés », ces pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud qui n’ont voulu ni sanctionner ni soutenir, lors des votes à l’ONU, l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ainsi s’affirme un monde démographiquement incontournable, qui ne veut plus se laisser enrôler dans les affaires des grandes puissances. Et puis, au fil des pages, la nouvelle centralité de l’enjeu climatique se retrouve.
Emilie Aubry et Franck Tétart ont choisi une approche par les lieux avec un focus sur 28 lieux différents. Dans un format assez dynamique, mêlant cartes, infographies et photographies, regards universitaires et journalistiques, cet atlas propose un décryptage des grandes évolutions de notre époque. Chaque article commence par l’analyse d’une photographie, puis enchaîne sur l’analyse de cartes à différentes échelles avec des textes clairs et concis, accessible à tous. Les articles sont complétés par des doubles pages proposant des analyses plus courtes de certains lieux.
L’Europe, le temps des crises
La pandémie avait déjà été l’occasion de renforcer l’esprit de solidarité européen, avec la mutualisation des moyens pour l’achat de vaccins et le plan de relance post-Covid en 2020. En février 2022, la guerre en Ukraine a de nouveau donné raison à Jean Monnet, lequel prophétisait au siècle dernier, que « l’Europe se fera dans les crises et sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Aides financières, humanitaires, militaires, les institutions européennes et les Etats membres de l’UE ont répondu aux appels du président Zelenski. Avec le retour de la guerre à ses frontières et l’adhésion des opinions publiques à la cause ukrainienne, l’UE a globalement fait bloc, décevant Vladimir Poutine dans ses manœuvres de division du continent européen. Mais, si la guerre s’inscrit dans le temps long, comment évoluera le rapport de force ?
Cette partie propose de revenir sur la guerre en Ukraine et la stratégie russe, sur une Union européenne qui, depuis la Covid-19, fait face à de multiples crises, sur un changement d’ère en Allemagne, sur la Suède et sur une Pologne aux portes de la guerre.
Les deux Amériques. America is back ?
La gouvernance de Trump a accéléré le déclin de l’Amérique prescriptive et incontournable. Depuis janvier 2021, son successeur, Joe Biden, s’emploie à « détrumpiser » l’Amérique, avec comme slogan « America is back ». Si la ligne dure avec la Chine reste perceptible, les Américains tentent de restaurer leur leadership et le multilatéralisme. Mais, le nouvel enjeu stratégique de l’Asie-Pacifique a été perturbé par le retour de la guerre et le soutien massif à l’Ukraine depuis février 2022. Enfin, en se confrontant à la Russie de Vladimir Poutine, l’Amérique de Joe Biden remet au premier plan l’enjeu démocratique, tout en renouant avec les autocraties (Arabie Saoudite, Vénézuela…) pour contourner le pétrole russe. En parallèle, l’Amérique latine connaît une nouvelle ère, avec d’autres influences politiques et géopolitiques. Cette partie propose quatre articles sur le leadership américain de Donald Trump à Joe Biden, sur le Brésil de Bolsonaro à Lula, sur le fléau des cartels et de la violence au Mexique, et, enfin, sur la question d’un retour en grâce du Vénézuela. Cette partie est complétée, notamment, par une très intéressante double-page sur le Panama, enjeu des nouvelles routes de la soie.
L’Asie, l’épicentre du monde qui vient
Jusqu’à l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, les analystes constataient le glissement du centre névralgique des relations internationales de l’Occident vers l’Orient. L’Asie-Pacifique notamment concentrait les efforts de la politique extérieure américaine, afin d’y contenir les ambitions chinoises. Si les Etats-Unis doivent désormais se réengager sur le continent européen après l’invasion russe de l’Ukraine, ils ne baissent pas pour autant la garde face à la Chine qui affiche clairement sa proximité avec Moscou.
Chine-Russie : deux acteurs qui misent sur la désoccidentalisation d’un monde devenu multipolaire. Ainsi, de Hong Kong à Taïwan en passant par les mers de Chine, Pékin intensifie la pression. Dans cette région du monde devenue stratégique, le duel sino-américain pousse chaque Etat à se positionner.
Cette troisième partie revient sur la Chine et sa volonté de puissance, sur la fin des libertés à Hong Kong, sur le fort pouvoir de nuisance de la Corée du Nord, sur la puissance japonaise à réinventer, sur le tournant autoritaire de Modi en Inde, ainsi que sur la nécessité de choisir son camp en Australie. Des doubles-pages sur les routes de la soie, sur l’Indo-Pacifique, ainsi que sur Taiwan, la prochaine Ukraine ? complètent les articles.
Moyen-Orient. Nouveaux maîtres, nouveaux enjeux ?
Le compte-rendu de Christine Valdois sur la première édition de cet Atlas, en 2022, résume parfaitement le contenu de cette partie. « Après le retrait chaotique des Occidentaux en Afghanistan, les Talibans reprennent le pouvoir. C’est le retour de l’autoritarisme religieux sans avoir éliminer DAECH et le repli des femmes dans la sphère privée en fermant les écoles de filles. L’Arabie saoudite s’ouvre au tourisme malgré une politique réprimant toute opposition alors que le Qatar, organisateur de la coupe du monde de foot n’a jamais été autant courtisé pour ses réserves d’hydrocarbures. A l’intersection des mondes, la Turquie d’Erdogan affirme son statut de puissance régionale selon le slogan « Zéro problème avec nos voisins ». L’extension de son réseau d’ambassadeurs indique la voie choisie du soft power ainsi que la diffusion d’aides aux pays pauvres. Mais après le tournant stratégique de la guerre en Syrie et le jeu complexe des alliances, les relations avec l’Occident se sont dégradées malgré les accords commerciaux et les intérêts liés au contrôle des flux des migrants, sans oublier la forte communauté turque vivant dans l’UE. »
Cette présente édition insiste davantage sur les effets du conflit ukrainien qui remet la lumière sur les réserves pétrolières du Moyen-Orient, dont les Européens, privés des hydrocarbures russes pourraient avoir plus besoin que jamais dans les années à venir.
L’Iran, épicentre des tensions, le complexe jeu d’alliances et de rivalités entre l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, la Syrie après 10 ans de guerre, la Turquie d’Erdogan à l’intersection des mondes et le dialogue au point mort entre Israël et Palestine sont au centre de cette quatrième partie. L’Afghanistan, le Liban et la guerre au Yémen sont également évoqués.
Afrique, le continent des possibles et des impossibles
Face aux crises, l’Afrique continue d’afficher ses contrastes, entre fléaux réels (instabilité politique, terrorisme, corruption, insécurité alimentaire…) et indicateurs prometteurs (taux de croissance, ressources, démographie, investissements étrangers…). Si la crise liée à la Covid-19 a plongé l’Afrique dans une récession économique, le continent a également montré sa résilience. De fait, il n’y a pas une mais des Afriques. Des Etats émergents permettent de croire à la thèse « afroptimiste » d’un continent d’avenir comme l’a été l’Asie à la fin du XXe siècle. A l’inverse, certains pays s’enlisent dans les crises : au Maghreb notamment ou dans l’espace saharo-sahélien.
En filigrane, l’Afrique devient l’un des terrains où se jouent les guerres d’influence des grandes puissances. La Russie notamment rêve de se substituer à la France comme puissance protectrice sur le continent, même si elle ne représente en 2021 que 1% des investissements directs (mais 30% des importations d’armes). En mars 2022, lors d’un vote à l’ONU pour condamner l’invasion russe de l’Ukraine, 17 pays africains se sont abstenus, Moscou capitalisant aussi sur le sentiment anti-occidental.
Cette partie propose des articles intéressants sur l’Algérie, dans l’attente sans fin d’une nouvelle ère, sur la démocratie en péril en Tunisie, sur l’Ethiopie entre émergence économique et fractures ethniques, ainsi que sur le Mali.
Du monde d’avant au monde d’après
Cette dernière partie, particulièrement intéressante, est celle que j’ai préférée. Avec la pandémie de Covid-19, l’être humain du XXIe siècle s’est souvenu qu’il n’était pas invulnérable, comme avant lui les générations qui ont connu peste, choléra et grippe espagnole. Par ailleurs, comme le montre l’article sur les épidémies et la répétition de l’histoire, le virus a agi comme un accélérateur de tendances déjà en germe dans le « monde d’avant ».
L’article « Quels transports dans le monde d’après ? » montre que le confinement planétaire a rendu possible le rêve de Greta Thunberg d’un monde sans avion. Le rail, lui, poursuit son retour en grâce, pièce maîtresse dans la stratégie chinoise des routes de la soie, il est sans doute promis à un bel avenir dans le « monde d’après ».
Dans le secteur du numérique, analysé dans l’article « Nos vie sur écrans : nouvel enjeu géopolitique », les écrans ont envahi nos vies professionnelles, nos relations sociales en présentiel diminuant au profit du virtuel. Pendant ce temps, nos données personnelles se démultiplient sur la toile, rendant indispensables les dispositifs législatifs et les organismes de contrôle indépendants propres aux démocraties.
Enfin, l’enjeu climatique, exposé dans un dernier article, s’impose comme préoccupation prioritaire chez différents acteurs. Mais les changements de paradigmes demeurent trop lents tandis que le dérèglement climatique bouleverse déjà la vie de millions de personnes sur le globe.
Conclusion
Avec un format dynamique et accessible, ainsi que des articles de fond concis mais précis, cet atlas géopolitique est une ressource indispensable pour préparer nos cours mais également nous mettre à jour sur une partie des grands enjeux actuels de notre monde. Les cartes à différentes échelles, les quelques infographies et graphiques, et les photographies qui introduisent les articles sont facilement exploitables en classe.